Artificial Brain: « Artificial Brain »

Depuis sa « créatio »n au début des années soixante-dix, le heavy metal a donné naissance à une panoplie d’artistes et de groupes qui se sont démarqués de leurs pairs ; pas seulement pour leur succès grand public ou leur look trop provocateur, mais pour leur pertinence artistique qui incarne en quelque sorte l’esprit du temps, faisant écho au son et à l’âme d’une époque. Et bien que le genre soit devenu essentiellement underground au cours des dernières décennies, on peut encore trouver quelques exemples qui sortent du lot pour diverses raisons. Les métalleux extrêmes de Long Island, Artificial Brain, appartiennent à cette niche étroite. Leur approche hybride dissonante, qui combine dans un récit de science-fiction la grandeur du death metal avec l’esthétique plus émotionnelle du black metal, reflète la personnalité bipolaire d’une génération qui embrasse et fusionne divers styles, rejetant les orthodoxies unidimensionnelles. Labyrinth Constellation et Infrared Horizon reflètent tous deux cette attitude agrégative, en étant les principaux représentants d’une production dissonante progressive qui s’est développée ces dernières années, revitalisant les fondements mêmes du genre, lui donnant de nouvelles formes et couleurs. Comme si Gorguts s’associait à Deathspell Omega dans un paysage sonore de science-fiction, mené par l’un des gutturaux les plus profonds que l’on connaisse. Une formule distinctive, basée principalement sur la combinaison contrastée entre le chant puissant de Will Smith et les riffs aigus dissonants, où la gorge occupe une place centrale, conférant un charisme particulier à la musique. Un peu comme Oliver Rae Aleron et les garçons d’Archspire. Une symbiose parfaite. Un lien qui, au mépris des dieux du death metal, est sur le point de prendre fin, puisque le troisième album éponyme du groupe sera le dernier avec Will Smith au micro, ce qui lui confère une aura de nostalgie et d’adieu, tout en ajoutant une couche douce-amère supplémentaire au mélange.

Vous pensez peut-être que nous en faisons fais trop, parce qu’au bout du compte, ce ne sont que des gutturales, non ? Un atout jetable, facilement remplaçable. Eh bien, pas vraiment. Le groupe ne sera jamais le même sans Smith, et Artificial Brain ne s’affirme pas pleinement dans le présent, étant l’écho d’un passé récent. En fait, nous écoutons ce que le collectif a été, et non ce qu’il est maintenant. Et ce n’est pas un détail mineur à mes yeux.

Néanmoins, il est important de noter que malgré ce contretemps, Artificial Brain ne déçoit pas. Il conserve les mêmes ingrédients que les sorties précédentes, tant sur le plan conceptuel que musical. Les textes du vocaliste continuent à graviter autour d’un futur dystopique, explorant des thèmes tels que la folie ou l’inexorabilité de la nature, et musicalement le collectif ne s’écarte pas de la voie dissonante précédemment tracée. La formule reste essentiellement inchangée. Les subtiles nuances mélodiques qui se cachent dans « A Lofty Grave » et « The Last Words of the Wobbling Sun », ou le saxophone dans le segment final de « Tome of the Exiled Engineer », ajoutent de la couleur à la composition sans nécessairement apporter plus de contraste, agissant comme des embellissements complémentaires à une structure principale plus large.

Néanmoins, le son d’Artificial Brain est légèrement plus sale et plus lourd que celui d’Infrared Horizon, ce qui lui confère un aspect et une sensation moins sophistiqués. Une approche qui, malgré ses inconvénients, confère à Artificial Brain une personnalité propre, un caractère plus brut, si vous voulez. Cela rapproche la musique des gutturaux de Smith et donne plus de corps à la basse de Samuel Smith. L’album semble massif, comme un mastodonte intergalactique. Le premier single,  » Celestial Cyst « , et  » Insects and Android Eyes  » sont les principaux représentants de ce troisième chapitre interstellaire, les deux incluant des voix invitées de Mike Browning (Nocturnus) et Luc Lemay (Gorguts) respectivement. A Lofty Grave « , le simple morceau d’ouverture éponyme, et  » Cryogenic Dreamworld  » font également partie des points forts de l’album, le premier comportant un solo de guitare Warr intéressant de Colin Marston (également responsable du mixage et du mastering) et le second donnant lieu à une section grind-ish écrasante qui précède un moment Anata-esque non moins intéressant. Comme sur les précédents albums, Artificial Brain offre une production cohérente où tout semble cohésif et prémédité, reflétant une formule musicale bien mûre. Et si l’on ne peut pas dire qu’il s’agisse de la meilleure sortie du groupe à ce jour, il est indéniable que la machine cosmique dissonante de Long Island est une fois de plus concentrée et bien calibrée, ce qui en fait un produit singulier et inimitable.

Bien que le troisième chapitre éponyme d’Artificial Brain soit à la hauteur de son héritage, il dégage une aura de nostalgie (prématurée) qui le submerge d’un poids émotionnel inattendu. C’est l’inévitable goût doux-amer de l’adieu ; le quasi chant du cygne d’un collectif qui a cessé d’être. Et en attendant que la machine redémarre, profitons de ce voyage interstellaire pour découvrir certains des meilleurs paysages sonores cosmiques que le groupe ait jamais produits.

***1/2

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