Le minimalisme austère de Chance of Rain en 2013avait été signe d’un grand pas en avant artistique de Laurel Halo par la manière abrupte dont il avait été conduit. La transition stylistique de l’artiste américaine lui avait fait mettre de côté les vocaux qui avaient caractérisé Quarantine, un « debut album », conçu, il semblerait, pour une expérience brutale.
Le second opus avait, alors, fait montre d’une beauté revendiquée et inattendue ; Dust, lui, va s’employer réunir les deux composants desdits albums et y ajouter de nouveaux schémas tout aussi captivants.
Le phrasé râpeux et le hurlement de « Buh-bye » fera référence à la techno dépouillée du disque précédent mais le coeur du disque sera sur cet ersatz de soul constituée par « Do You Ever Happen » ou « Sun To Solar ».
La respiration de Dust sera, par moments, facile et régulière et même ses beats seront relâchés et distendus. On remarquera alors le groove bouillonant de « Moonwalk » où l’esthétique de Halo se révèlera affranchie de toute tension mais tutoyant l’euphorie.
La ligne de guitare mélancolique qui introduit ce deuxième opus du combo installe immédiatement la trame lo-fi que Big Thief veut faire naître dans Capacity. On y ajoute des notules tendres et lyriques pour un résultat qui vise à nous hanter.
Cette obsession a sa source dans ces émotions qui ont pour noms douleur amoureuse et ferveur des saisissements.
Un titre comme « Mythical Beauty » ou la chanson titre ajoutent ainsi souffrance et accalmie comme signes de rédemption avec guitares en distorsion et vocaux qui s’approfondissent la notion de chagrin.
Il ne restera alors qu’à laisser les mélodies flotter en apesanteur pour se libérer de cette tension sous-jacente et de ces traumas.
Quand on se plonge dans le répertoire des Decemberists, on ne peut que noter la façon dont le combo a été influencé par le folk britannique traditionnel. Il n’est donc pas totalement surprenant qu’il se soit associé à Olivia Chaney vocaliste anglaise, elle aussi imprégnée des mêmes éléments sous le nom de Offa Rex.
Les musiciens assurent ici les « backing vocals » à The Queen of Hearts et l’ensemble nous offre une revisite modernisée de ce que d’autres groupes comme Fairport Convention ou Steeleye Span se chargeaient de véhiculer au seuil des années 70.
Sur « Blackleg Miner » c’est Colin Meloy qui va s’emparer des vocaux alors que ceux de Chaney (par exemple sur « Sheepcrook and Black Dog ») font preuve d’une envolée lyrique inhabituelle dans le genre.
Le groupe nous propose d’ailleurs ici des arrangement de guitares métalliques rappelant le label « Kill Rock Star » et, si on trouve matière à parler d’exploration de la chose obscure, c’est plus du côté de Black Sabbath que de Jethro Tull qu’il convient de se pencher.
On pourra également évoquer ces artistes illustres que sont Sandy Denny et Richard Thompson tant dans la façon dont Meloy et Chaney s’entendent à merveille pour rivaliser de somptueuses harmonies (« To Make You Stay ».)
Les schémas narratifs des onze titres qui jalonnent Peasants se placent dans le royaume anglo-saxon de Bryneich mais, si on peut y trouver fétichisation de l’époque médiévale, elle n’a rien à voit avec celle de Game of Thrones.
L’album se veut, en effet, dépourvu de tout climat épique et s’attache plutôt à nous présenter des vignettes à la Mervyn Peake, saugrenues et faites de personnages cinglés, paillards et rabelaisiens.
Dawson crée pour cela une musique dont l’expression semble rabougri, le phrasé écervelé et divaguant et un jeu de guitare tendu et brutal.
Accompagné de quelques interjections de synthé, Peasants nous propose le panorama assez cru et peu amène d’une humanité incapable d’échapper à ses travers.
Il aura donc fallu attendre six années pour que ce troisième album des Fleet Foxes voit le jour et l’on retrouvera sur Crack-Up les mêmes harmonies dont la fluidité était la marque de fabrique du combo indie-folk dirigé par Robin Pecknold.
Pourquoi si longtemps serait-on alors à-même de se demander d’autant que la technicité des arrangements multi-couches si idiosyncratique du groupe est toujours là.
La réponse se trouve sur le titre phare du disque, un « Third Of May / Odaigahara » dont la mélodie est tout simplement éblouissante. Le morceau ne se laisse pas saisir facilement mais il est représentatif de ce que le groupe a pu emprunter au chant grégorien.
L’approche minimaliste de « Fool’s Errand » nous rappellera ainsi ce qu’un choeur de vocalistes peut apporter avec rien de plus que des voix a cappella et une steel guitar peuvent véhiculer en matière d’émotions. La chanson finale, morceau titre de plus de six minutes, résumera parfaitement en quoi le combo est capable d’installer son empreinte sans compromettre un style qui sait à merveille ne pas se contenter de répliques de second ordre. On touche ainsi à la quintessence de ce qui constitue Fleet Foxes, la réticence aux accommodements mais aussi la véhémence de la prolifération régie par l’instinctuel.
En 1978, Peter Perrett introduisit ses débuts avec cette phrase : « Je flirte toujours avec la mort. » Près de 40 ans plus tard, depuis la séparation des Only Ones le chanteur nous déclare : « Mais je ne suis pas mort, du moins pas encore. »
Entre ces deux proclamations, Perret a eu le temps de passer au travers de désillusions et addictions, le tout constellé d’élans mystiques et d’effondrements crépusculaires.
La dégradation est toujours là mais elle est ici comme jugulée, aguerrie qu’elle est par des choses comme l’humour, l’intérêt pour choses autres que son égo (allusions à la politique américaine par exemple), des références musicales comme Dylan (plutôt que Lou Reed à qui il était comparé auparavant) et une utilisation de la slide qui va au-delà des archétypes de la mouvance post-punk.
Cette immédiateté et cet esprit se retrouvent tout au long d’un album, tout comme cette plongée dans l’intimité qu’il nous révèle sans fards en exposant son amour des femmes qui sont autant de muses (Zena, de Troika, par exemple).
À 65 ans, Perrett exsude confiance et sûreté de ses choix, sentiment d’accomplissement (aidé qu’il est par ses fils), un regard en arrière qui n’a rien de blasé ni de complaisant mais, au contraire, des vocaux toujours aussi fermes et une production qui crépite.
How The West Was Won est conduit par des titres comme « An Epic Story » et « C. Voyeurgeur », un truc qui nous fait espérer que la mort demeure toujours une source de flirt pour son imaginaire.
Jack Antonoff représente l’essence du « songwriter » pop qui aime à faire étalage de ses émotions et à les exprimer de la manière la plus vivace possible. Rien à voir donc avec un quelconque artifice, Gone Now est le parfait pendant de son premier album, Love Letters, dans la mesure où on y retrouve cette correspondance amoureuse pour la pop indie telle qu’on la pratiquait dans les années 80.
Antonoff utilise à nouveau cette focalisation en mode grand angle pour véhiculer ce qui constitué l’essentiel de son répertoire, un exutoire aux peines de coeur. Pour accentuer catte tonalité dramatique, les arrangements sont grandioses voire grandiloquents et les orchestrations se veulent audacieuses.
Il appartiendra donc à chacun d’y trouver sa thérapie ou pas ; l’honnêteté revendiquée de « Let’s Get Married » ou un « Foreign Girls » pris sur le registre de l’auto-tuning peuvent sonner dérisoires, infantiles ou, au contraire, palpitants de véracité. On ne peut s’empêcher de penser pourtant que Gone Now résonne de manière terriblement datée et rien moins qu’anachronique.
Quatre ans ce peut être énorme si on considère l’immédiateté et l’inconséquence qui gouvernent la marche de notre monde ; ça l’est encore plus quand il est question de musique, en particulier dans le domaine de la pop-rock.
Si on prend en compte le fait que Ella Yelich-O’Connor (alias Lorde) n’avait que 16 ans au moment de son premier album, on ne peut que qualifier de pari osé le contexte présidant à la sortie de Melodrama, son deuxième opus.
Ce nouveau disque va conserver certains éléments clefs du précédent : un son immédiatement repérable, des arrangements minimalistes, des mélodies immédiates et, habituel chez la chanteuse néo-zélandaise, des performances vocales d’où le phrasé demeure impassible et désabusé.
Quatre années ont passé pourtant et, ce qui s’apparente encore à Pure Heroine, son « debut album », est désormais réintégré sous une forme beaucoup plus adulte. Son humour noir, ses tonalités sardoniques et son exacerbation de frustration adolescente sont verrouillés par ce qui pourrait passer pour une réflexion désabusée sur ce qui l’a amenée si brusquement au statut de superstar.
La notoriété permet de verrouiller certains dans une image dont on ne peut se défaire, Lorde a choisi de déboulonner tous schémas de manière à rendre encore plus prégnante sa créativité. La vision qu’elle a du monde s’élargit et perd sa myopie et pour se concentrer sur une vie intérieure beaucoup plus riche et, parce qu’elle se débarrasse d’une représentation unidimensionnelle,moins hermétique et, en conséquence, plus accessible et en phase avec la société.
La vocaliste se donne enfin la liberté de se montrer vulnérable et hantée par l’amour sur des titres comme « Liability » et « Writer in the Dark » ce qui sonne comme une volte-face bienvenue par rapport à ce qui était auparavant expression de narcissisme et d’amour de soi. Accepter d’être « un jouet avec lequel les gens s’amusent » ne va pas de soi et, même s’il n’est que défoulement, a le mérite de générer de l’empathie pour la demoiselle.
Cette dernière n’oublie d’ailleurs pas de se départir d’observations cinglantes où, sur un « The Louvre » croulant sous un déluge de sarcasme s’adressant à deux amoureux perdus dans un musée les murs-même regorgent d’indifférence (« They’ll hang us in the Louvre/Down the back, but who cares? »)
Il en est de même pour cette façon sarcastique de considérer la le nombrilisme propre à l’adolescence et ses tentation hédonistes, l’alcool, la drogue, le sexe allant jusqu’à persifler sur le désir de mourir dans un accident de voiture, (un « Homemade Dynamite » raillant les penchants romantico-gothiques de certains de ses pairs.)
Ce qui évitera au disque de sombrer dans la caricature c’est la dextérité à jongler avec les points de vue. Ainsi, sur le « single » « Green Light », sa colère est tempérée, non pas par une simpliste crise de jalousie, mais par la perspective non pas que son amant l’ait trompé mais que, peut-être, elle ne le connaissait pas vraiment.
À cet égard le titre de l’album n’a rien de théâtral, il nous emmène plutôt sur une fausse piste, direction que Lorde semble affectionner ici. La tessiture est, en effet, plutôt à la lente ébullition qu’à l’acrimonie. Les plages s’enchaînent même avec fluidité et constance impavides. Ce peut être le refrain parlé de « The Louvre » , la provocation triomphante et ludique qui enrichit un « Sober II (Melodrama) » pris sur un registre inhabituellement haut ou même les accroches atypiques qui jalonnent l’album, « Loveless » ou le semi-industriel « Hard Feelings » épicé avec goût de refrains pop et de bons mots.
Avec ses récits où thèmes avinés côtoient exaltation euphorique, Melodrama est un disque idéal pour tout type de célébration. En effet, qu’il soit un break-up album déguisé en opus festif ou un opus festif travesti sous les habits d’un album de rupture, il s’offre le luxe d’être à la fois dramatique et cathartique et, ainsi, de refléter à merveille tout ce que l’on peut attendre d’une production ainsi intitulée.
En se concluant alors sur une « Perfect Places » ultime épiphanie de maturité, il nous met en relief que, inévitablement nous sommes voués à l’échec et que la volonté d’y échapper est simultanément futile et sublime.