Le premier album des Heads Off les avait signalés sur la carte. Le deuxième devrait, dans un monde idéal, leur permettre de faire parler d’eux. Mais il est fort probable que Everything Is Everything Else devienne jamais un sujet de discussion pour personne. C’est bien dommage car cet album qui prolonge musicalement le précédent est un excellent exemple de ce que le rock devrait être plus souvent : une série d’uppercuts au menton, un enchaînement de titres confus, enthousiastes, brefs, exécutés dans l’urgence du moment et avec quelques bricoles à dire.
C’est ce qu’on vient chercher ici : l’efficacité, l’intensité d’une livraison mêlant à la fois un sens inné des mélodies et une énergie punk sous laquelle l’herbe ne repousse pas. Il suffit d’écouter « At One With Doom », l’un des meilleurs morceaux de ces dix titres, pour comprendre de quoi il est question. Danny Lowe est seul en piste, à la guitare, à la batterie et au chant. Il produit aussi. L’intro est foutraque et dissonante, la rythmique brutale et rudimentaire. La musique de Heads Off est frustre et pensée comme une performance, unique et sauvage. Le chant est lui-même poussé en limite de voix, doublé par un chœur artisanal qu’on imagine enregistré au repos. Le résultat est impeccable, infectieux, intelligent et incisif. On pense aux White Stripes en version DIY et en beaucoup plus cool, à un Jay Reatard qui aurait dépassé les 35 ans et se déchaînerait en studio après avoir été conduire les enfants à l’école. Tout est là : « Reptiles Around You », presque hard rock dans son entame et qui agit comme un pamphlet psychédélique et politique. Le groupe a déjà utilisé ce riff sur son précédent album mais qui s’en soucie quand les reptiles vous encerclent et sont prêts à vous enlever. Heads Off fourbit une musique de résistance, montée depuis l’underground.
C’est le rock des arrières-caves, des clubs cheap et des héros à guitares. « Black Magic » est épatant ; il ne nous souhaite pas la bienvenue dans la tête de son créateur car la pensée unique n’a pas cours ici et le punk est avant tout une revendication d’indépendance. Le solo de guitare après deux minutes fait penser à John Perry des Only Ones. On n’a pas fait plus cool depuis la mort de Keith Richards. « Antisocial Me » est encore meilleur dans sa vindicte qui veut bannir l’ennui et qui estime que le refus de faire société est le nouvel héroïsme, la non-participation au fantasme des autres, la seule planche de salut.
Everything is Everything Else est un cri de colère, presque amusé, une critique sociale radicale et réjouissante. Il y a encore des gens qui se foutent de tout et qui peuvent composer une chanson joyeuse et crâneuse qui s’appelle un « In Misery » et évoquera les rapports entre la dèche et la liberté et vie affranchie des nécessités et de ce qui nous attend tous quand le capitalisme n’aura plus besoin de nous pour participer à son entretien. Est-ce qu’il y a mieux à proposer ? Lowe s’en donne à cœur joie et sert un texte remarquable qu’il propulse sur une exécution à toute berzingue. L’album s’appuie sur des riffs incroyablement efficaces et puissants mais aussi sur une recherche dans la production qui donne à ce punk des origines un cachet moderne bluffant. Les guitares orientales de « Rotting » sont fascinantes et font de ce titre un des joyaux de l’album. Le morceau est imposant, critique, nihiliste tant Lowe pratique la politique de la terre brûlée. Avec lui, c’est la voix de la normalité qui s’exprime, celle des collaborateurs malgré eux et des artistes de cirque, la voix de ceux qui n’en peuvent plus et s’en amusent. La couverture du disque ne trompe pas : le monde est devenu burlesque et notre participation un numéro de prestidigitation et de clownerie surréaliste. Danny Lowe est Monsieur Loyal. Le spectacle est assuré. « Take Back Contro » est tranchant drôle et terrifiant. L’interprétation fait sourire mais met en relief la triste vérité : «celle qui nous voit expirer.
On pourra s’offusquer ou, au contraire, s’enthousiasmer pour le dernier truc à la mode, mais la subversion n’a pas changé d’adresse. Dire vite, dire fort : c’est la loi de Heads Off, celle de l’authenticité et de la force de rire de son sort.
****1/2