Interview de Sarah Slean: Le Jeu des Élements.

30 janvier 2013

La carrière de Sarah Slean n’a jamais suivi les chemins de la facilité. Beaucoup de ses albums précédents, Night Bugs en 2002 ou The Baroness en 2010, montre qu’elle a toujours été une artiste en décalage par rapport aux dictats d-es genres et de la scène musicale. Elle le monte encore mieux aujourd’hui avec un majesteux et conceptuel double album alors que l’heure est plutôt à l’économie du côté du music business et d’un repli sur soi rassurant chez maints de ses collègues.

Land & Sea est délicat à catégoriser. Ce pourrait être deux albums, un double album, un «  concept album  » voire un double «  concept album  »…

Ou un chef d’oeuvre (Rires). Je le vois comme une seule œuvre. Quand j’ai commencé à composer, je me suis aperçu que les morceaux gravitaient autour de deux pôles. Ils avaient chacun des sensibilités très contrastées et j’ai souhaité que cet élan de créativité puisse s’épanouir. Ce faisant, j’ai très vite vu qu’il me serait impossible de mettre tout cela sur un seul album et que ces deux univers devaient être dissociés. Ainsi, en l’écoutant chacun pouvait choisir dans lequel il souhaitait entrer. Je crois que si j’avais mélangé des tires de Sea avec d’autres de Land, il y aurait un un décalage.

Quand vous parlez de deux univers, voulez-vous dire uniquement en terme de son ?

Ça englobait aussi les textes.C’est pour cette raison que la pochette double a été créée pour qu’elle évoque deux températures différents. Land est très physique, organique, chaud. Sea est intérieur, sombre et plus spirituel selon moi, il a ne concerne pas des choses spécifiques mais des questions plus larges, voire même éternelles.

Land démarre sur « Life » et englobe ces deux éléments que sont l’eau et le feu.

Tout à fait, mais l’image que j’en fais est qu’ils se mélangent l’un dans l’autre. La glace de nos souvenirs est fondu dans la chaleur que représente la Vie. C’était ma façon de planter le décor de Land. La chaleur représente lumière, énergie. J’adore ce poème de Dylan Thomas qui y fait référence en parlant d’une force qui fait pousser les fleurs. Je crois que la Terre (land) représente cette chose spectaculaire qu’on nomme la Vie. Cette vie organique est vouée à se perpétuer et je dirais que la Mer (sea) représente ces phénomènes plus grand que nous qui englobent toute Vie. Notre expérience de la vie fait de nous des êtres humains séparés, individuels mais, d’instinct, nous comprenons également que nous faisons partie d’un seul phénomène.

Le titre qui suit, « The Day We Saved The World », voulait-il signifier u’il y avait un fil thématique avec « Life » ?

Certainement et j’adore les questions comme ça !C’est le rêve d’un artiste qu’on l’on fasse attention à ce type de choses. Il y a une narration qui parcourt le disque et elle est là si vous voulez la trouver. Je comprends qu’on puisse me dire qu’on aime bien tel ou tel titre, qu’on en reste à un niveau de plaisir, mais si vous décidez d’investiguer vous trouverez bien plus de strates. C’est comme un roman en quelque sorte quand si vous souhaitez y trouver plusieurs sens…

Les personnages dont vous parlez, Napoléon par exemple, sont avant tout des stéréotypes en fait ; on pleure un tyran mais un autre va apparaître.

Exactement.

Ce qui est curieux est que vous parlez de sauver le monde, qu’un de vos titres s’appelle « Society Song » mais que la tyrannie aura toujours sa place.

La tyrannie est une chose naturelle. Il y a une phrase de la Bible qui dit qu’elle sera éternellement parmi nous. Je crois que si notre vie est celle d’êtres séparés, c’est pour être les témoins de ce qui ne va pas dans le monde et de se sentir investis du désir de l’améliorer. En même temps, l’Histoire de la Vie a toujours été construite de cette manière : quand nous faisons des progrès, d’autre problèmes surgissent. C’est donc un cycle sans fin selon moi ; la tête du serpent qui repousse dès que vous l’avez tranchée. Je crois qu’avec l’âge, j’essaie de me sentir en paix avec tout cela. Quand j’étais dans mes années 20, la tyrannie me mettait en rage, me déprimait et j’étais dans un désir maladif de tout chambouler. Aujourd’hui je me dis que cela fait partie du Grand Dessein et c’est ainsi que je parviens à trouver une espèce de paix en moi.

Dans la façon dont vous contemplez le « spectacle du monde », diriez-vous qu’il y a un élément d’ironie par rapport au narcissisme sur « Everybody’s on TV » ? Warhol parlait de nos « quinze minutes de gloire »…

Aujourd’hui ça n’est plus quinze mais juste une minute ! (Rires) C’est tout à fait exact, oui. Ça reste intégré dans le concept qui préside à Land. Une expérience spécifique à un moment donné, et les détails de cette expérience. C’est pour cela que, sur Sea, j’essaie d’allais au-delà de la frivolité de ce quotidien.

Le symbolisme est très chargé sur Sea, est-ce une chose à laquelle vous prêtez attention ?

L’eau est, en effet, un principe fondamental. J’ai vécu dans un monastère bouddhiste une dizaine de jours. Je me souviens avoir écouté ce moine qui faisait des interventions chaque jour et il parlait de l’océan. Il disait que c’était ce qui englobait tout. Il disait que les vagues qui étaient à sa surface représentaient nos consciences individuelles et qu’elles seraient toutes débordées par son immensité. Elles se sentiraient alors concernées par ces autres vagues, ou intimidées ou même en compétition avec elles. Elles se leurreraient en se focalisant sur ces émotions primaires et ne réaliseraient pas qu’elles passaient à côté du fait que ce sont toutes ces vagues qui constituent l’océan et qu’elles faisaient partie du Tout. Cette analogie ne m’a jamais quittée ; elle est très simple, presque enfantine mais elle est parlante. J’ai le sentiment que nous sommes emprisonnés à l’intérieur de notre propre individualité mais que nous sentons que nous sommes semblables aux autres et que nous ne pouvons pas ne pas être déconnectés d’eux. Il y a ce philosophe français, Emmanuel Lévinas…

Il a une théorie sur le visage…

Absolument. Et il parle de comment celui-ci nous sommes attirés par le visage car c’est là qu’il puise ses souvenirs. Et je pense que ces souvenirs sont la compréhension d’une unité qui préexistait et c’est à celle-ci que je m’adresse dans Sea.

Souvent l’eau est symbole d’apaisement ou de fécondité. Pourtant dans cet album vous évoquez Napoléon et vous avez des titres plus pernicieux comme « Attention Archers » ou « The Devil & The Dove » qui évoque le Feu et l’Air… Il y a quelque chose de cosmologique, non ?

Oui c’est vrai que je veux tous les intégrer. Je pense néanmoins que l’eau est l’élément fondamental qui a permis à la vie organique de se développer en conscience humaine. Nous sommes les témoins de cette chose étrange et si j’ai choisi l’eau c’est parce que c’est la genèse de la vie. Ça n’est pas pour rien que nous faisons une analogie avec la matrice.

Sur Land, il y a ce titre très enlevé, « Set It Free » et vous vous référez à la mer. Vous évoquez tous les soucis possibles et vous dites que vous les ferez disparaître en les jetant à la mer. C’est presque un avant-goût ou une anticipation de ce qui constituera Sea,

Absolument ! Bravo, Monsieur. (Rires)

Thématiquement il y a des passerelles entre Sea et Land, aussi comment avez-vous « su » dans quel album iraient tels ou tels morceaux ?

Il y a avait le son, bien sûr mais il y avait également la perspective dans laquelle je me situais au niveau des textes. C’était comme si il y avait deux personnalités : quand j’écrivais un titre qui allait finalement aboutir sur Sea, c’était comme si il s’agissait d’un point de vue différent. Un autre narrateur ayant une connaissance plus profonde ou quelqu’un issu d’un endroit à l’intérieur de moi. C’était comme un arôme, quelque chose d’aussi distinct que le sucré l’est du salé.

Ensuite est venue la césure sonique.

J’ai choisi des producteurs différents déjà mais je savais qu’il y aurait principalement des cordes sur Sea. Je voulais qu’il n’y ait presque rien d’autre car j’estime que les cordes sont le procédé le plus judicieux pour articuler les mouvements de la mer, ceux qui sont tempêtueux ou ceux qui sont plus amples et enflés. En plus je crois qu’il n’y a pas mieux que les cordes pour communiquer de l’émotion. Elles frappent là où il faut comme aucune autre instrumentation ne le peut.

Et pour Land ?

J’ai pris un compositeur que j’adore, Joel Paskett. Il aime les meilleurs songwriters ayant jamais existé comme les Beatles par exemple et c’est un fana de guitares et de percussions. Je me souviens avoir beaucoup discuté avec lui et lui avoir dit de façon précise les couleurs que je voulais donner à l’album et où je souhaitais les placer par rapport à ce qui constituait le noyau central de mes textes.

Comment avez-vous travaillé les cordes alors sur Sea ?

Je suis allé voir un compositeur de musiques de films, Jonathan Glodsmith. Je lui ai indiqué ma démarche, lui ai parlé des livres que j’avais lus qui l’avait inspirée. Je lui ai raconté les mêmes choses qu’à Joel il a parfaitement compris et a écrit trois des arrangements d’ailleurs.

Il y a dessus beaucoup de références à la Musique Classique…

J’ai reçu une éducation allant dans ce sens mais je n’ai jamais voulu jouer la musique des autres. Mes héros ont toujours été Dvořák, Leonard Bernstein, Samuel Barber et Debussy.

Toujours à propos du « sequencing », Land s’achève sur « Society Song » et nous savons ce qu’est la société, (sourires) et Sea s’ouvre sur « Cosmic Ballet ». C’est presque antithétique.

C’est exact et c’était délibéré. « Society Song » a une atmosphère presque « live » ; il y a des choses très physiques dedans, des piétinements de pieds, des battements de mains, des gens qui crient, des corps qui manifestent leur présence. « Cosmic Ballet », au contraire, ouvre sur quelque chose qui balaie et se déroule avec grandeur. Il n’y a aucun langage dedans et il se passe beaucoup detemps avant que je ne commence à chanter. Je crois que cela me permet de réitérer ma thèse : cela était du domaine de la terre, ceci appartient à la mer.Et ainsi j’ouvre à cette toute nouvelle perspective. J’ai accompli trois ou quatre grands pas en arrière et maintenant nous regardons au travers de cette position plus avantageuse.

Diriez-vous qu’il y a, à certains moments, des éléments qui induisent au soulagement dans Sea ? Comme s’il marquait le dénouement d’un itinéraire spirituel…

J’espère que c’est la cas pour celui qui écoutera. De toutes manières je vois cet album comme un voyage spirituel en effet. Des gens m’ont dit que c’est uin disque triste…

C’est triste sans l’être, mélancolique plutôt.

Exactement, mélancolique, doux amer.Mais il y a toujours ce désir qui est presque un désir existentiel. La nostalgie du temps qui existait avant que notre conscience ne se fragmente. C’est pour cela qu’il y a un tel contraste entre les deux albums.

Vous mentionnez l’existentiel ; on a l’impression que des titres comme « You’re Not Alone » ou « The One True Love » sont plus que de simples cahnsons d’amour à cet égard.

C’est exact ; ça ne s’adresse pas à une personne particulière mais ça traite plus de la perte, de la solitude ou de l’état amoureux si on peut les qualifier ainsi. J’avais déjà évoqué des choses personnelles dans des albums précédents ; là ça ne me semblait pas l’endroit approprié. La musique est la carte qui indique ma progression spirituelle. J’ai eu une période d’exubérance, une autre de créativité à l’emporte-pièce, puis j’ai vu toutes les complications qu’entrainait l’attachement romantique avec ses descentes brutales dans la solitude que j’ai évoquées dans « Shadowland » sur The Baroness. Je crois que ça fait partiedes titres les plus brutaux que j’ai jamais écrits. Aujourd’hui j’ai une nouvelle appréhension du monde, sur le monde.

Dans l’écriture terrible que vous mentionnez, il y également pas mal de causticité si on écoute « Girls Hating Girls ».

C’est pour cela qu’il est sur Land. Ça fait allusion à toutes les embrouilles dans lesquelles nous tombons quand nous sommes dissociés de nous-même et que nous nous comparons aux autres. De là nait la jalousie, la cupidité…

La soif de pouvoir ?

N’est-ce pas la question absolue. Un de mes écrivains favoris, un Canadien nommé David Adams Richards, dit que le seul péché c’est de vouloir exercer du pouvoir à l’encontre d’un autre être humain. Je réfléchis beaucoup à ce que nous faisons en tant qu’espèce : est-ce que nous apprenons, est-ce que nous changeons positivement ? Il y a cet écrivain russe je crois qui a dit que la ligne entre le Bien le Mal ne passait pas par une ligne entre les pays ou les classes mais par une ligne à l’intérieur de chaque être humain. C’est pour cela que ce que nous avons à faire ne passe pas par de l’externe, empêcher un groupe ou un être humain de faire telle ou telle chose, mais par chacun d’entre nous et de façon régulière.

Si c’est le rôle que vous vous assignez en tant qu’artiste, comment ne pas être trop didactique ?

Très bonne question ! Je déteste tout ce qui est didactique. La théorie esthétique de James Joyce est que si n’importe quelle œuvre d’art essaie de vous attirer en elle ou de vous repousser c’est qu’elle est didactique ou pornographique. J’ai trouvé cette idée très intéressante : pour lui et aussi pour moi le vrai art est celui qui déclenche un arrêt, une pause esthétique semblable à la mémoire à laquelle Lévinas fait allusion quand il parle du visage. Une unité plus grande qui va transcender tous les moments de votre vie et qui va, précisément, faire que vous vous trouviez dans cet état où vous êtes interdit. C’est ce que j’essaie de faire et je crois que je vais passer une grande partie de ma vie à m’y efforcer. Il est déjà difficile de délivrer un message avec les mots, alors imaginez ce qu’il en est avec des concepts !

 


The Holydrug Couple: « Noctuary »

29 janvier 2013

Le duo The Holydrug Couple fait partie, au même titre que Föllakzoid, de la scène rock psychédélique qui semble éclore en ce moment au Chili. Tout comme lui aussi, il partage le même label de Brooklyn, Bare Bones.

À l’inverse de ces derniers pourtant, il ne nous emmène pas dans un voyage où l’obscurité prévaut mais plutôt dans un univers dans lesquels les schémas bluesy demeurent prégnants.

Sur leur deuxième album, Noctuary, la toile de fond sera donc celle d’une tapisserie doucement tissée et donc les circonvolutions répétitives seront confortables et presque chaleureuses (le disque a été enregistré dans leur « home studio »).

Ce choix contribue à apporter une atmosphère de méditation relaxante, intérieure donc,plutôt que de s’inscrire dans un courant qui se voudrait une explosion au-delà des limites de nos consciences.

Même s’il s’agit d’une « dérive », ce qui frappe le plus dans Noctuary est la nature concise de l’album. Nulle place n’est donc accordée aux longs délires soniques, trop souvent synonymes d’inefficacité dans ce cas, comme si le groupe souhaitait pointer directement vers l’essentiel sans perdre de temps ni faire étalage de trop d’auto-indulgence.

En bref, pour atteindre le cœur des choses, The Holydrug Couple choisit la démarche de l’impact direct plutôt que celle des jam sessions en spirale. Ne restera plus par conséquent qu’à ajouter un sens des textures pour ajouter profondeur à l’ensemble et une autre dimension aux climats oniriques auxquels il s’efforce de nous convier.

★★★☆☆

Follakzoid: « II »

29 janvier 2013

Föllakzoid est un groupe de psyche-pop originaire du Chili. Ce deuxième album offre par conséquent une musique labyrinthique (le combo s’est fait connaître par des longs « freak shows ») et le plus souvent sombre.

Le résultat en est contrasté car, malgré des morceaux qui s’étirent et intègrent ainsi la tonalité d’une jam session de space rock, les sensations qui priment sont celles d’un exercice détaché et même solitaire. Les grooves sont solides et tenaces, s’incrustent pourtant en nous par leur côté syncopé, mais les pédales d’écho relaient, a contrario, le son d’une manière glaçante tout comme l’usage des renforts pourvoyés par l’électronique.

L’effet visé est celui de transe avec cette constance des « dones » qui louvoient d’une façon qui semble sans but au travers des structures répétitives. Celles-ci sont construites de manière métronomique autour d’un maximum de deux notes de basse, d’un seul accord et de percussions à la régularité hypnotique.

On comprend dans quel passé Föllakzoid puise ses influences : le Krautrock et en particulier Can. Seules idiosyncrasies, les vocaux sont curieusement intermittents et les synthétiseurs sont alliés à la guitare pour créer des textures qui simulent des mouvements spasmodiques. « Pulsar » va ainsi sonner de façon sinistre comme un croisement de Can et de Joy Divison s’étirant sur près de 15 minutes. II ne totalise en effet que cinq morceaux ; ajoutant une impression brumeuse et pénétrante à la glaciation qu’il évoque. Ce sera une écoute idéale pour ceux qui veulent s’imprégner d’une musique « ambient » jalonnée de pics et de fossés douteux.

★★½☆☆

Jimbo Mathus & The Tri-State Coalition: « White Buffalo »

28 janvier 2013

Avec ses « collègues » des North Mississippi Allstars, il y a peu de musiciens qui symbolisent aussi bien que Jim Mathus le concept de cette musique venue du Sud des États-Unis dans ce qu’elle a de plus profond et d’authentique. Le fondateur des Squirrel Nut Zippers a délaissé les tendances rétro de ce groupe pour nous entraîner depuis dix ans, en solo, dans des tréfonds musicaux qui ont nom boogie, blues, rock and roll, country, folk ou ragtime parus sur des disques aussi décousus que les labels obscurs sur lesquels ils étaient enregistrés.

Désormais doté d’une distribution plus conséquente, il a engagé un groupe de musiciens teigneux, The Tri-State Coalition, pour ajouter punch à ses rocks musclés et « soul » à ses ballades rugueuses.

La production de Eric Ambel, forte de sa collaboration avec Steve Earle, accorde libre cours aux interprétations instinctives de Mathus tout en parvenant à les canaliser pour éviter trop d’égarements.

Énergiques tout en n’étant pas débridées, les compositions vont aller du rock stylisé (mais point trop stylé ici) à la Crazy Horse sur « Useless Heart » aux refrains vaudous et marécageux tels que Dr. John sait si bien les faire naître (« Run Devil Run ») en passant par le « roots » façon Band sur « In The Garden ». On trouvera même un titre qui pourrait passer pour un « hit » prospectif avec l’entraînant « (I Wanna Be Your) Satellite » preuve que Mathus sait manier la plume autant que la voix.

White Buffalo remplit par conséquent à merveille la mission qu’il s’était assigné : décrire une Amérique bagarreuse, négligée et rude lais fidèle à l’héritage de son sol.

★★★½☆

Interview de Yo La Tengo: L’Indépendance de la Variabilité.

28 janvier 2013

On a toujours défini Yo La Tengo comme la quintessence du groupe pour critiques. Ils sont connus pour une approche de la musique avant-gardiste et pour avoir toujours résisté à la tentation d’être perçus comme des rock stars. Ils ont, au contraire, continué à s’en tenir à leurs propres règles et c’est sans doute cette intégrité qui fait d’eux autre chose qu’un groupe culte pour les deux générations de fans qui l’ont écouté. Ira Kaplan, un des fondateurs du combo, parle de cette démarche passée au prisme de leur tout dernier album, Fade.

ur Big Day Coming, le documentaire qui vous est consacré, vous sembliez réticents à faire un nouvel album. Pourtant Fade est perçu comme un disque direct, personnel et cohérent. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis?

Je ne crois pas que nous ayons été jamais ambivalents par rapport au fait d’enregistrer. Vous vous référez à une période où Matador nous demandait un autre disque. On a été les voir et on leur a dit: «Voulez-vous des «singles»,? Voulez-vous que l’on fasse des morceaux à télécharger? Comment souhaitez-vous que notre musique soit diffusée?» On avait envie que les choses soient claires. Il nous ont répondu qu’un album c’était très bien. On a donc sorti Fade

Un jour vous avez déclaré que le groupe avait réellement démarré sur l’album Painful. Depuis vous avez toujours travaillé avec Roger Moutenot; or ici vous avez pris John McEntire pour le production…

Comme nous avions décidé de travailler ensemble il nous semblait naturel d’enregistrer dans son studio, à Chicago. Je en sais pas trop pourquoi, l’idée nous semblait bonne et on en a pas creusé les raisons. On le connaît depuis pas mal de temps, et quand l’idée de travailler avec lui est venue, ça nous a semblé être une bonne décision. John a un emploi du temps très chargé mais on a eu la chance de pouvoir être s’y glisser.

Vous aviez pensé à d’autres producteurs?

Non, ça n’est pas comme si on avait délibérément décider de ne plus travailler avec Roger. L’idée initiale était d’utiliser John et pas de nous séparer de Roger. Je ne sais pas, par contre, ce qui serait arrivé si John n’avait pas été disponible.

Fade rappelle des albums comme I Can Hear The Heart Beat As One ou … And Then Nothing Turned Itself Inside Out. Il est pourtant plus complexe d’autant que certains des musiciens les plus expérimentaux de Chicago y participent. Est-ce que ceci ainsi que l’équipement dont vous disposiez au studio Soma ont modifié le son par rapport à la la vision préalable que vous aviez?

Je ne sais pas trop pour les musiciens car ils sont surtout bossé sur des parties qu’on avait déjà travaillées. La seule exception en est le passage où figurent des cordes sur «Is That Enough?» Jeff Parker s’y est collé, c’est donc là qu’on peut parler d’une influence de Chicago. En ce qui concerne le studio, je suis certain qu’il y a eu un impact. Il m’est pourtant difficile de pouvoir l’évaluer. Quand vous êtes dans un processus où les idées affluent, une chose en amène une autre… Il y a eu un crescendo c’est certain et John y a largement contribué. Je sais que c’est là sans pouvoir préciser ce qui a contribué à telle ou telle chose…

C’est aussi l’album le plus court depuis Painful avec des morceaux très brefs également. Était-ce délibéré?

La longueur des titres n’a pas été une décision consciente. Il en a été autrement pour la durée du disque. On avait déjà tenté de le faire sur nos deux précédents albums; à force d’essayer on y arrive!

Pensez-vous que ça puisse être lié à John McEntire?

Je ne crois pas… Déjà nous sommes entrés en studio avec moins de compositions. Il y a eu un moment où on a juste cessé de composer car on n’avait pas confiance en notre capacité à ôter des éléments du disque. On avait noté qu’une fois certaines choses enregistrées, on avait du mal à s’en séparer. Finalement on, a quand même enregistré trois titres qui ne figurent pas sur l’album. La chose a été plus facile une fois qu’on a réalisé qu’on pouvait s’en tenir à un album simple. Une fois une chanson supprimée, ça a été plus aisé ensuite…

Cela peut-il changer la nature de concerts?

Sans doute oui. De toutes façons on souhaitait approcher les choses différemment mais il est délicat encore de dire en quoi.

Sur scène, il est plus facile de s’étendre et de se lâcher; vous est-il arrivé de créer des chansons avec, en tête, le côté «live», surtout si on pense à des arrangements plus amples?

Non, on ne pense jamais à cela. On essaie juste d’interpréter un morceau vous savez, enregistrer ce qu’on aime. Le disque achevé, on pense maintenant à la meilleure façon de l’aborder sur scène et tout n’est pas aussi fluide que ça…

Vous avez insisté sur le fait que Fade était un effort de groupe. Est-ce que la façon de composer de Yo La Tengo a changé au fil des ans?

Je crois que ça a été le cas depuis Elect-O-Pura. En même temps notre approche a évolué. Notre liberté de faire certaines choses s’est plus épanouie. Nous nous en accordons plus. Je ne veux pas dire plus de choses mais l’idée que nous pouvons plus nous le permettre…

En quoi faire la musique du documentaire «live» The Love Song of R. Buckminster Fuller a-t-elle été différente du fait de créer d’autres bandes-sons?

Comme on travaillait plutôt intensément sur le disque à l’époque, on n’a pas eu autant de temps qu’on le souhaitait. Normalement on compose une musique, on l’envoie au réalisateur, on regarde ce qu’il en dit, on le renvoie, etc. C’est un processus de va et vient. Comme on n’avait pas trop de temps, on a fait quelques sessions assez intenses avec Sam Green le réalisateur à Hoboken. On jouait et on avait tout de suite son feedback. Parfois on entendait des choses que, lui, n’entendait pas. Parfois c’était le contraire. Toute cela nous obligeait à nous réajuster très vite et avec une plus grande charge émotive je crois. Il y a aussi un autre aspect dont je ne sais pas à qui il est dû. Ici la musique est plus composée que sur d’autres bandes-sons où l’atmosphère était plus importante. Sur ce documentaire, tout devait être très spécifique et on ne pouvait pas rester dans le flou. Cela nous a fait comprendre certaines choses en matière de composition. Imaginez ensuite ce que ça serait d’avoir à les rejouer…


Iceage: « You’re Nothing »

28 janvier 2013

Sur leur premier album, New Brigade, les Danois de Iceage avaient, bien que tout jeunes, revigoré le punk. C’était une véritable déclaration d’intention, immédiate, crue, violent et pleine de cette attitude nihiliste à laquelle nous avions été habitués.

You’re Nothing dont le titre accentue encore plus ce comportement en sera un approfondissement mais il le fera sous forme de manifeste, c’est-à-dire de manière moins monolithique. Il sonnera moins comme le coup de pied dans la fourmilière que constituait New Brigade mais il voit le groupe définir de façon plus appuyée ses paramètres soniques.

Ceux-ci sont plus émotionnels, plus chargés d’adrénaline hardcore mais aussi plus catapultés par une ambition post punk. Pour simplifier on pourrait dire que leur éthique « allez vous faire tous foutre » a été remplacée par une approche plus cathartique et nuancée.

Il reste toujours un esprit « live » mais les harangues punk feront, peu à peu, place à des refrains plus développés même si des morceaux comme « Burning Hand » ou « Ecstasy ». demeurent des brûlots. Ainsi, on voit apparaître, ça et là, des scansions différentes parfois même articulées comme sur « Awake ». Ce qui ne changera pas sera, par contre, la brièveté de l’album, similaire au premier, c’est-à-dire largement inférieure à la demie-heure. Restera à apprécier la façon dont Iceage parvient à basculer de l’atonal à la mélodie ; c’est certainement cette faculté qui donne àYou’re Nothing sa véritable puissance.

★★★☆☆

Nightlands: « Oak Island »

28 janvier 2013

Au début de son deuxième album, Oak Island, Dave Hartley évoque l’endroit où il était quand il avait 17 ans. Ce t élément nostalgique sera perméable tout au long de ce disque. Tout comme sur Forget The Mantra ; le chanteur renoue avec cet assemblage qui vise à rendre l’intime épique, ou l’épopée plus personnelle. La voix sera ainsi comme un cocon fragile et émerveillé, coincé au milieu de sons qui semblent la dépasser.

Ce qui distinguera l’approche unique que fait Hartley de ce domaine est que sa « dream pop » se veut en perpétuel mouvement vers l’expérimental. Pour cela, il compose en utilisant des accords majeurs en septième, ceux qui sont le plus à même de véhiculer un climat de désuétude. Le résultat harmonique en est une atmosphère rappelant le soft-rock des années 70 mais surtout un climat de légère et enveloppante euphorie.

Ce seront alors les textes, littéraires et souvent cryptiques, qui vont donner une autre profondeur aux idylles que narre Nightlands, sur « Born To Love » par exemple.

Les morceaux les plus pop (« So Far So Long »,  « I Fell in Love with a Feeling »), ne seront joyeux que de façon trompeuse dans la mesure où, tout comme le très floydien « So It Goes », ils ouvrent le chemin vers des escapades free-form ou même jazzy (« You’re My Baby » avec ses guitares sirupeuses et des vocaux « bliss out » pelin de sève). « Rolling Down The Hill » explorera même des territoires afro ce qui pourrait donner une vue d’ensemble apparaissant presque scientifique.

Oak Island oscille donc entre le risque calculé de sonner stérile et le retour vers l’innocence juvénile des années adolescentes. Il nous permet de les regarder avec des yeux neufs , il danse sur la corde raide d’un regard qui s’abstient d’être blasé.

★★★½☆

ERAAS: « Eraas »

28 janvier 2013

Robert Toher et Austin Stawiarz faisaient déjà de la « dark music » avec le groupe de post-rock Apse bien avant que ce courant ne redeviennent à la mode au seuil des années 2010. ERAAS s’inscrit donc dans ce courant revival mais le duo s’emploie à la rendre plus complexe grâce à ce qu’il a appris avec Aspe.

Si les titres, pris dans leurs significations, symbolisent frayeur et mysticisme, ils ne sont, pourtant, que la partie la plus simple de cet album. Même sur des interludes comme « Black House » ou « Moon », l’expérience post-rock des musiciens procure à ces morceaux des tonalités majestueuses à la fois ouvertes et massives.

ERAAS va aussi s’inspirer d’artistes visant à délivrer des climats sombres mais en adoptant des postures moins évidentes. L’utilisation de percussions fébriles et envahissant chaque mesure rappellera aisément Liars tout comme le chuchotement dépouillé et glaçant qui convulse « Ghost » évoquera Soft Moon (avec qui ils ont tournée) sans pourtant adopter sa stylisation. « Skinning », lui, ne pourra que faire penser à Radiohead dans ses tendances les plus commémoratives voire païennes par sa façon de superposer piano endeuillé, mélodie de guitare écrasante et incantations rituelles.

De façon bien plus originale, ERAAS parviendra à teinter de lumineuses compositions comme « At Heart » ou « Fang » de vocaux andogynes en « reverb » donnant ainsi une touche electro inhumaine et spectracle à ces deux titres conçus pour la danse.

Bien qu’unilatéral dans sa démarche, Eraas, ne sera jamais monotone précisément par sa capacité à alterner son « discours de la méthode ». Il offre, en tous, cas une approche différente dans sa captation de l’héritage « dark ».

★★★½☆

Our Lost Infantry: « The New Art of History »

28 janvier 2013

Pour ce quatuor issu du sud-est de l’Angeleterre., The New Art History est comme unappel aux armes tant il est emphatique, rugissant, accompagné de riffs de guitares rocailleus et de percussions acérées et mordantes. Produit par leur guitariste et chanteur Thom Ashworth il se veut un album conceptuel qui vise à réfélchir à la façon dont les idées nouvelles se répercutent sur nos visions de l’histoire de l’art.

Chose dite, il convient de se pencher sur la transcription musicale qu’en fait le groupe et de constater qu’elle est plutôt attirante dans ses textures qui vont du pop-rock à du post-rock instrumental.

Si l’on considère les accords éruptifs du piano et de la guitare sur « Tremors », l’interlude rock de « The Hollow » et la section de cuivres de « Day After Day » on ne peut que souligner l’aspect composite de The New Art History. Our Lost Infantry na, en effet, pas son pareil pour nous embarquer sur des fausses pistes (un « Fearless » qui sonne comme une musique de pub avant de décoller sur un immense choruus, le mélange de rengaine et de falsetto sur « Avogadro »), ils ne perdent pas de vue l’impact mélodique que peuvent avoir leurs riffs de guitare (« Kenning », « All the Streetlights of My Hometown » ou ‘ »Meet Your Maker ») pour nous offrir une approche atypique et assez novatrice du rock-progressif.

C’est vraisemblablement en cela que The New Art History justifie et son titre et son « concept » ; faire preuve d’une telle vision des choses et parvenir à la transcrire sur partition lors d’un premier disque est plutôt inaccoutumé et ne peut être que prometteur.

★★★½☆

Christopher Owens: « Lysandre »

28 janvier 2013

Pour l’ex membre des Girls, Lysandre est à la fois un « concept album » et un disque de romance trempé dans sa réalité. Lysandre est en effet le nom de cette jeune femme qu’il rencontra en France lors d’une tournée de son groupe d’origine et qui, plus ou moins directement, sera la cause de la dissolution des Girls.

Sur cette première expérience solo, Christopher Owens s’emploiera à faire part, de la façon la plus nuancée possible de cet épisode amoureux au travers des sensations multiples qui l’ont parcouru. Il y sera question de vulnérabilité , d’insécurité avec pour toile de fond récurrente cette jeune personne dont le thème musical jalonnera l’album.

Soniquement, l’instrumentation est plus légère, alternative inévitable au rock aux nuances prog-rock des Girls. Un titre comme « Here We Go » avec sa flute et son harmonica va ainsi transporter l’auditeur dans un climat onirique doux-amer proche du médiévisme, élément qu’ un « A Broken Dream » doucement chuchoté accentuera tant il pourrait s’apparenter à une chanson de geste.

Comme dans tout itinéraire sentimental, celui-ci va être traversé par des sinuosités qui visent à évoquer aussi la vivacité de ce que peut être une relation. On peut voir dans le saxophone en roue libre de « New York City » un moment d’euphorie, tout comme la presque inaudible pédale wah wah sur « Here We Go Again » dont on peut se demander s’ils ne font pas aussi écho à la trajectoire de The Girls.

Indépendamment de la thématique et de la coloration musicale aplatie de Lysandre, l’unité est maintenue par le fait que chaque morceau est construit sur une même clef et qu’ils se fondent l’un dans l’autre sans qu’il y ait un break. Ce procédé épouse bien que que peuvent être des ruminations introspectives, et Owens a, néanmoins, l’intelligence de ne pas s’en contenter.

Le saxo aura qui introduira « Riviera Rock » développera une atmosphère lounge ou jazzy, sans doute née de cette rencontre qu’il a faite dans le midi, et « Love Is In The Eye Of The Listener » transformera une ballade qui aurait pu être larmoyante en refrain détendu et presque laid back.

Beaucoup de fils se nouent donc si on considère le déroulé de ces onze titres mais, curieusement, l’ambition ne semble pas être là. L’album n’atteint même pas les trente minutes ce qui, avec l’invariable clef tonale qui a été choisie, tend à faire penser que Lysandre a été conçu pour être consommé d’un seul coup.

On atteint, sans doute alors, la vraie nature de ce qu’est un premier jet. Une confession est avant tout un exorcisme ou une catharsis. De ce point de vue, il a avant tout une valeur de défoulement ou d’auto-analyse. C’est un travers qui jalonne l’album même si des efforts de frivolité sont faits pour éviter l’auto-apitoiement. Ce disque répond avant tout à un besoin ; il apparaît alors comme une purge. La dernière plage, « Part of Me (Lysandre’s Epilogue) », se veut vectrice d’optimisme. Peut-être désormais, Christopher Owens n’éprouvera plus le désir de cacher son visage sous sa chevelure comme le montre la pochette de l’album. On ne peut qu’espérer que cette porte soir fermée pour lui et qu’il sera à même de délivrer autre chose que cette éloquence qui n’évite que de très peu de verser dans le pathos.