Caterina Barbieri: « Ecstatic Computation »

31 décembre 2019

Cinquième album en cinq ans pour Caterina Barbieri, Ecstatic Computation propose 36 minutes de musique électronique minimaliste, composée de boucle aux sonorités issues de synthés modulaires qui se répètent, se chevauchent, et finissent par provoquer une forme de transe chez l’auditeur. Malgré des sonorités souvent assez acides, aux relents tantôt techno, tantôt electronica, tantôt expérimental, l’album déroule des pièces d’une grande musicalité, pleines des reliefs et jamais redondantes.

Parfois des voix fantomatiques se font entendre (« Arrows Of Time ») dans cet univers assez froid et métallique mais enveloppant.  Malgré un ensemble compact et une palette sonore assez réduite, il se dégage de ces textures plutôt variés, en évolution permanente, une forme de richesse et de complexité qui rend l’ensemble très attrayant.

un album de musique électronique assez court mais d’une grande richesse musicale.

***1/2


Health&Beauty: « Shame Engine/ Blood Pressure »

31 décembre 2019

Ce pourrait être la BO d’un film ; une musique tendue, atmosphérique et poisseuse qui se déploie sur plus de 10 minutes, une introduction à un « Saturday Night » électrique et instrumental qui vous terrassera jusqu’à ses dernières secondes. Entame idéale pour entrer dans ce nouvel album des Health&Beauty. La santé, le groupe de Brian Sulpizio, seul membre permanent du groupe de Chicago, ne l’a pas perdue puisqu’après une longue tournée, Sulpizio et trois de ses musiciens (batteur, guitariste et bassiste) sont passés par la case studio pour enregistrer cet album soigné et marqué par ce qui ressemble à une prise sur le vif en matière de compositions

Shame Engine/ Blood Pressure donne en effet le sentiment de s’appuyer sur des jams et des improvisations. Les introductions sont longues et mélodiques et débouchent sur des titres aériens et soyeux, mais aussi riches en circonvolutions et en détours. On pense, lorsqu’on écoute Health & Beauty, à Sonic Youth et Helium pour la manière dont les guitares sont abordées, entre rock, folk et free jazz, mais Health&Beauty évolue dans un registre moins expérimental et plus classique. « Yr Wives » est un titre puissant qui mêle des guitares inspirées et ronflantes, et des séquences chantées plus apaisantes. Le groupe atteindra même une forme de classicisme pop sur plusieurs titres, à l’instar de « Rat Shack », mais sans jamais tomber dans la facilité tant il s’emploie à produire des arrangements vocaux ou mélodiques complexes. La musique prend son temps, comme sur les dix minutes de « Clown », évoquant pêle-mêle Songs: Ohia ou certaines séquences de Smog.

Sulpizio explore les textures et les atmosphères avec un sens de la méthode qui peut lasser sur la longueur. Les morceaux émargent tous à plus de cinq minutes et on aurait pu espérer quelque chose de plus radical, de plus concis ou de plus sec. L’intro de « Bottom Leaves » en mode free, nous fera, à cet égard, espérer un déchaînement qui vient effectivement enflammer le morceau avec à propos. La variation sur le standard pop « Autumn Leaves » est habile et intelligente et la musique de Health&Beauty entretient, à cette exception, près un certain (ré)confort comme sur le cuivré et jazzy « Judy » ou le doucereux et pastoral, « Escaping Error. » Le rock mature de « Recourse » et la beauté embarrassante de « Love Can Be Kind » renforceront ainsi ce sentiment qu’on fait face à un groupe mature et en maîtrise mais qui se repose un peu sur son savoir-faire plutôt que de chercher à évoluer.

Ce Shame Engine / Blood Pressure n’en reste pas moins plus qu’acceptable de par un son élaboré et une texture savante qui raviront les amateurs de rock américain dense et qui se joue la nuit dans les clubs, de jazz ou autres.

***1/2


Kollaps: « Mechanical Christ »

31 décembre 2019

Mecanical Christ est l’œuvre de Kollaps, projet australien originaire de Melbourne et revendiquant la genèse d’un son noise primitif. Rudimentaire ? Non – mais une abrasion permanente, aux formes aléatoires et oppressives. La concoction se fonde sur l’utilisation de matériaux divers (métal, plastiques), recours superposé à celui de sources plus « usuelles » de la musique amplifiée : batterie, basse, voix.  C’est le deuxième album après Sibling Lovers (2017).
L’aplomb rythmique de Kollaps est l’ossature d’un processus de retour de la société post-moderne sur elle-même, voire contre elle. Le groupe assume une forme de questionnement sociétal et évoque sans vergogne, dans les développements écrits autour du cru 2019,
« l’avilissement de la moralité individuelle » : un postulat à partir duquel chacun puisera en soi ou en son histoire personnelle pour déterminer les causes de ce qu’il constate éventuellement au jour le jour. En ce qui nous concerne : l’incivilité, petite ou grande, partie émergée de l’iceberg de la médiocrité ambiante.

Mais la perte des repères prise au sens général, et notamment celui de l’intérêt général, ciment du vivre ensemble, mine lentement mais sûrement, de tout temps, les fondations du collectif. À ce sujet, chacun voit midi à sa pendule et les angles de Kollaps sont autres que les nôtres. Vengeance, toxicomanie, paranoïa, travail forcé : angles qui parmi d’autres sustentent ce travail de dissonance et de bruitisme. Une forme dégradée, écho du fond.

Le questionnement se matérialise, dans la production sonore de Kollaps, par un propos dont la noirceur et l’aridité rappellent par moments celles d’un Swans des origines. Optique : statique, dure (y compris lorsque la forme se dirige vers la chanson : par exemple le terminal « Love is a War ». L’hypnose ténébreuse engendrée par le son de Kollaps est renforcée par une orientation vocale sur ligne de crête entre scansion et vibration mélodique. La voix, que le traitement auréole – sans excès – d’écho ou de réverbérations, joue un rôle important dans le maintien de la lisibilité de cette musique, et distingue en cela Kollaps de nombre de formations noise, dont l’option pour un traitement extrême des sources peut rendre le fruit totalement hermétique et abstrait.
Là n’est pas le choix pour ce résultat de deux mois passés aux studios
Aviary avec l’assistance de Mike Deslandes, suivis d’une masterisation signée James Plotkin. Mechanical Christ ’est une musique entière, dont on vous ressortira avec le sentiment d’avoir traversé les abysses, à défaut peut-être d’y avoir trouvé toutes réponses.

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W.H. Lung: « Incidental Music »

30 décembre 2019

La scène indie de Manchester continue d‘être prolifique, preuve en est W.H. Lung et son univers musical protéiforme tel qu’il est revendiqué sur son premier album intitulé Incidental Music.

Puisant son inspiration du côté de New Order et de The Stone Roses, W.H. Lung étonne par sa musique singulière faite de longues et emballantes compositions allant de l’introduction « Simpatico People » complètement motorik qui planter zle décor sans oublier l’interprétation magnétique de Joseph E survolant les compositions ingénieuses.

On peut également citer le mariage entre guitares aiguisés, beats métronomiques et synthés vaporeux qui se concrétise sur « Bring It Up » mais également sur les ambitieux « Inspiration! » et « Nothing Is ». W.H. Lung brille pour leur côté brut et dense qui s’exprime sur « An Empty Room » et sur « Second Death Of My Face » rappelant les ambiances berlinoises des années 1970. Il ne manque plus qu’un « Overnight Phenomenon » pour que le trio de Manchester arrive à sortir du lot avec son univers musical singulier se détachant du commun.

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Whispering Sons: « Image »

30 décembre 2019

Whispering Sons est un combo de Bruxelles dont le répertoire est partagé entre post-punk et new wave à grands coups de compositions menaçantes qui retranscrivent des climats visant à nous faire frissonner. À cet égard, on retiendra des morceaux comme « Stalemate » en guise d’ouverture mais également « Alone » et « Skin ». Le groupe belge navigue entre Preoccupations et Joy Division sur « Got A Light » et sur « No Time » où la voix androgyne et hantée de Fenne Kuppens arrive à nous fasciner.

Image respecte la trame avec ses morceaux sombres presque gothiques par moment. On peut citer également le triptyque « Fragments », « Hollow » et « Waste » qui font monter la tension. Leur coldwave dark teinté de post-punk ne laissera jamais de marbre et Whispering Sons peut se vanter d’être parvenu à se faire une place sur une scène pour le moins concentrée.

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Burial: « Tunes 2011 to 2019 »

29 décembre 2019

Bien que son dernier album, Untrue, soit paru il y a 12 ans, le Britannique Burial (Will Bevin) n’a pas chômé durant la décennie qui s’achève, lançant une dizaine de EP ici réunis dans cette fascinante chronique de son évolution musicale. En tout, près de 2 h 30 de musique électronique visionnaire et envoûtante pendant lesquelles l’élusif et influent compositeur cherche à s’affranchir du garage/2-step mélancolique qui l’a rendu célèbre.

Certes, les splendides « Street Halo » et « Stolen Dog » auraient pu paraître sur Untrue, mais dès « Rough Sleeper, » on l’entend dériver vers les eaux troubles de la musique ambient qui constitue plus du premier tiers de la compilation s’ouvrant sur l’étrange « State Forest, » parue cette année. Ainsi, en lieu et place d’albums, de poignantes petites symphonies en plusieurs mouvements telles que l’inoubliable « Come Down To Us » ou le souvenir rave hardcore « Rival Dealer » (toutes deux parues en 2013). Pas une minute de perdue au fil de ces 17 passionnantes, souvent émouvantes, chansons.

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Free National: « Free National »

29 décembre 2019

Un premier album en forme de geste d’indépendance pour l’orchestre soul-funk californien Free National, mieux connu comme accompagnateur du chanteur et rappeur Anderson .Paak. L’entité existe hors de l’orbite du prolifique musicien, proposant ici treize compositions originales auxquelles collaborent une pléthore de chanteurs et rappeurs : .Paak, bien entendu, mais surtout le Torontois Daniel Caesar (excellente Beauty & Essex), Kali Uchis et le regretté Mac Miller (sur l’envoûtante « Time) » et la chanteuse et rappeuse Syd Tha Kid, révélée dans l’oisive « Shibuya ».

Sur le plan du groove comme sur celui des orchestrations, Free National embrasse la grande tradition soul de la seconde moitié des années 1970, clins d’oeil à Stevie Wonder, The Chi-Lites, Isaac Hayes (sur « Apartment « en particulier, avec la voix attachante de Benny Sings), étalant un soul-funk-R&B chatoyant et détendu. Toutes ces compositions ne sont pas mémorables, mais l’atmosphère de ce disque est parfaitement confortable. La bande-son idéale pour des après-midi paresseux.

***1/2


Tom of England: « Sex Monk Blues »

28 décembre 2019

Thomas Bullock prête son oreille bien rodée à ce mélange hédoniste de disco, de post-punk et de krautrock. L’artiste est, en effet est un vagabond ; il a rejoint DJ Harvey en tant que membre du Tonka Sound System, il a, ensuite, fui le Criminal Justice and Public Order Act 1994 et a fini par apporter la rave à San Francisco au début des années 90 en tant que membre du Wicked crew. Après s’être installé à New York quelques années plus tard, il a lancé deux projets : A.R.E. Weapons, un groupe punk free-jazz qui, après quelques rebondissements stylistiques, a fini par signer chez Rough Trade et Rub N Tug, son duo de DJ avec Eric Duncan connu pour son approche hédoniste du disco.

Il a fait un million de choses depuis. Il a enregistré un album de boogie-rock psychédélique avec DJ Harvey sous le nom de Map Of Africa. Il a ensuite sorti un classique des Baléares,

Laughing Light Of Plenty, fait avec Ed Ruscha. Il a aussi écrit un livre sur le mezcal. La discographie de Bullock est l’œuvre d’un génie désordonné qui se fixe sur un projet, fait quelque chose de beau et passe ensuite à autre chose.

Tom Of England, le projet sur lequel Bullock se concentre depuis cinq ans, a ses racines dans un breuvage impliquant des psychédéliques, un brouillard épais et une visite de la police, ainsi qu’un retour à ses racines punk. Au fil des ans, Bullock a navigué dans un tiraillement personnel entre le punk et la musique de danse ; un besoin d’agressivité lié à ses racines punks. Le disco, lui aussi, est toujours là tout comme le punk rock. C’est comme si de nouveaux enfants prenaient la relève. Les tenues sont toutes les mêmes. Les pantalons sont noirs et serrés, les chaussures sont pointues. Après avoir fait ça un moment, on veut que le pantalon soit large et les chaussures rondes. Vous passez de l’un à l’autre. Tom Of England (et le projet connexe The Hankins Mountaineers) s’efforce de trouver un juste milieu. Il a édité The Fall et Kissing The Pink, ainsi qu’une couverture campante des Sex Pistols. Des pistes pour une piste de danse, quelque part – peut-être un tea party à New York.

Son premier album en tant que Tom Of England, Sex Monk Blues, est le point culminant de ces efforts. Combinant Suicide, post-punk, krautrock et ambient avec les leçons que Bullock a apprises en tant que DJ et producteur pour la piste de danse, l’album est cohésif mais anachronique. On ne sait jamais comment classer les six titres de Sex Monks Blues. Si l’on vous remettait le disque à l’aveuglette, vous auriez même du mal à identifier la décennie dans laquelle il a été enregistré.

Le Sex Monk Blues poursuit également le partenariat de Bullock avec Rene Love, avec qui il a enregistré quatre EPs sous le nom de Bobbie Marie au milieu des années 2000. Ils se sont rencontrés à l’époque de Wicked à San Francisco.

Alors que son chant désordonné polarise l’attention, Love est un parfait pendant, l’Alan Vega de Martin Rev. de Bullock sur « Sniffin’ At The Griffin », Love affecte un gémissement enivré sur une marque unique de synthpunk grand écran. Gabriel Andruzzi du groupe The Rapture ajoute finalement le saxophone au maelström. Divers personnages du passé de Bullock surgissent tout au long du disque, comme des visages amicaux se matérialisant lors d’une soirée brumeuse. Ed Ruscha pose une ligne de basse à la Jah Wobble sur « Neon Green «  tandis que Harvey joue du kick drum sur «  Be Me », un titre qui combine l’esthétique rigoureuse de Suicide avec l’énergie psychédélique de groupes new-yorkais du milieu des années 2000 comme Oneida.

Mais la pièce maîtresse est « Song Of The Sex Monk », une incantation de neuf minutes. Ici, le chant de Love est pour la plupart indéchiffrable, plus un chant, comme le titre le dicte. De subtiles touches de production de Bullock et de l’ingénieur de studio Chebon Littlefield – comme un breakdown composé de carillons de vent déformés – ajoutent des touches trippantes et expansives à la chanson magnifiquement discrète. Avec un peu plus de 30 minutes, Sex Monks Blues est un LP. Léger. C’est peut-être à cause de tous les kilomètres que Bullock a parcourus, des vies qu’il a vécues puis abandonnées, pour que ce disque soit épique.

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Anna Tivel: « The Question »

27 décembre 2019

The Question, et très certainement une pièce maîtresse dans l’œuvre d’Anna Tivel. Quelque chose dans cet album grave et ouvragé, où les ténèbres rivalisent souvent avec la lumière, touche à l’essence même de la musique — exprimer l’individu, explorer ses territoires, ses désirs, sa résilience. À la manière d’une romancière, Anna Tivel place les lieux en quelques mots, enfile des costumes et observe. Les dédales où elle nous emmène sont si prenants qu’on en oublie tout — de la douce chanson-titre à la poignante « Two Strangers », la plus longue de l’album, les 41 minutes disparaissent en fumée.

Mais il n’y a pas que les histoires pour lui faire honneur : musicalement, Anna Tivel réussit un rare équilibre de délicatesse et d’intensité, donnant à chaque instrument (guitares, cordes, clarinette, piano, percussions) une personnalité, un rythme et un espace parfaitement justes. En un mot, disons-la virtuose.

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Blaue Blume: « Bell Of Wool »

23 décembre 2019

Blaue Blume est un groupe danois d’art pop alternatif avec une profonde connexion au romantisme de la scène britannique du début des années 80. En faisant référence à des artistes tels que Talk Talk, The Smiths et Cocteau Twins, il est clair que leurs influences se situent dans les aspects plus sensibles et magiques de la musique – et les éternelles questions de l’amour, de la vie et de la mort. Après deux « singles » (« Lovable » et « Vanilla »), l’album Bell Of Wool sort donc enfin. Il est convenablement enchanteur du début à la fin. Deux thèmes dominent l’opus ; l’obscurité et l’aventure. Le disque ayant été principalement réalisé avant que le chanteur Jonas Smith ne glisse dans un épisode dépressif, les paroles et les humeurs de l’album dessinent des images de l’obscurité, de l’anxiété et de la tension qui marqueront la dépression de Smith.

MUsicalement le disque sonne loin de tout ce qu’ils ont fait auparavant. L’indie, l’électro pop et le rock sont sortis, et à la place, l’album est fait de synthés doux et lumineux, comme une aube et un ciel transformés en sons. Même sur les traces de leur travail antérieur, comme l’acoustique « Rain Rain », le synthé entre en jeu et gonfle la chanson en en faisant ne composition grande et majestueuse. L’ouverture « Swimmer » introduit l’auditeur dans la douceur et la subtilité du nouveau son, tandis que des chansons comme « Morgensol » et « Bombard » montrent le groupe dans sa plus grande dimension et évoquant quelque chose de plus imposant.

***1/2