Personne ne sonne comme Richard Thompson, hormis, bien sûr, le Grand Richard Thompson. Il est, en outre, étonnant que, aujourd’hui, Thompson soit encore considéré comme l’ancien leader de Fairport Convention alors qu’il a quitté le groupe il y a près de 40 ans.
Bref, Richard Thompson, ne change pas ; Richard Thompson reste Richard Thompson et jamais le terme d’idiosyncratique (tout cliché mis à part) ne s’est autant justifié que pour lui. Ce n’est pas Sill, son 19° album solo, qui changera la donne même si son « closer », « Guitar Heroes » le voit aduler les guitaristes de son enfance devant qui on l’entend faire une étonnante confession d’humilité sous la forme de ce « I still don’t know how my heroes did it. »
On ne peut que rester admiratif devant le fait qu ‘un des plus grands guitaristes de notre génération demeure, aujourd’hui encore et avec une telle carrière, en admiration devant ses pairs. Le titre en soi et une jolie et intéressante petite chanson, prêtant hommage à certains héros de la six cordes en interprétant quelques petites vignettes de leurs meilleures compositions et les célébrant à la fin de chaque vers. On aura donc des petits extraits de « FBI » des Shadows, de « Susie Q » ou du « Little Queenie » de Chuck Berry. C’est un morceau « fun », ressemblant, dans sa démarche, au « Rock and Roll Jamboree » de cette autre fine gâchette qu’est Chris Spedding.
Mais Still n’est bien évidemment pas que ce travail d’hommage. Produit par Jeff Tweedy pour qui Thompson est « le musicien ultime », le leader de Wilco est parvenu à refaire surgir le meilleur de ce que l’on doit à Thompson.
Eu égard à l’étendue de sa carrière, le thème du voyage dément le titre d’un album qui tout sauf vecteur d’immobilité. Cela se traduit sur plusieurs plans, par exemple le somptueux morceau d’ouverutre, « She Never Could Resist A Winding Road », une ballade délicieusement cadencée décrivant un maniaque saisi d’une agitation démesurée ou, à l’inverse, le désenchantement du troubadour qu’est l’artiste sur « Beatnik Walking », qui le voit délaisser le quotidien et ses horreurs télévisuelles pour se ressourcer à Amsterdam.
Musicalement ce morceau sonne comme du Paul Simon et du Peter Gabriel ce qui le place assez haut dans les canons mis en place par Thompson même si c’est un titre dénué de profondeur. Pour accéder à celle-ci il n’est nul besoin d’aller chercher loin. Il n’est que d’écouter le dénuement fracturé qui s’étale sur « Broken Doll » et sa poignante incursion dans le domaine de la maladie mentale (« Wish I could give love to you, and life to you, and hope to you ») ; c’est un des moments où le compositeur nous affecte le plus quand il témoigne de son désarroi à ne pas savoir comment aider l’autre.
Ajoutons, dans le registre de l’émotion, « Dungeons For Yes » se référant au refus de Jesse Owezns de serrer la main de Hitler aux J.O. De Berlin, merveilleuse parabole sur le fait de se poser la problématique du comment réagir si on rencontre un homme, politicien ou pas, responsable de la mort de milliers ou de millions d’innocents. « He’s smiling at me, the man with the blood on his hands/the man with the snakes in his shoes/Am I supposed to love him? » se demande sceptique Thompson, question judicieuse aujourd’hui comme avant.
Tout n’est pas pour autant misérabilisme ou dramatisation. « All Buttoned Up » le voit se gausser de manière enjouée de la frigidité supposée de son sujet ou ce rocker à propos de pirate « Long John Silver » où le chanteur va s’amuser de la plus grande confiance qu’on peut donner à quelqu’un. Il est évident que Thompson éprouve beaucoup de joie à s’abandonner de manière frivole à certaines sensations de style « There’s nothing but black in a pirate’s harrrrt » qu’il entonne de façon ludique et débridée.
Sans doute est-ce Tweedy qui l’a persuadé d’ajouter cette touche d’humour ; elle fonctionne ici à merveille. Le bouquet final se situera sur « Pony In The Stable » ; un texte rempli d’amertume dirigé sans doute à une ancienne amante comparée à Cléopatre mais délivré avec un élan si splendide qu’on ne peut que s’y identifier.
Sur Still, Thompson prouve qu’il demeure un des guitaristes et des songwriters les plus talentueux de sa génération et de celles qui suivent, le tout avec cette humilité que l’on ne retrouve que chez les plus grands.
***1/2