Richard Brisbois: « Anytime You Think of Her »

31 octobre 2021

Sur son premier album solo, Brisbois, originaire de Seattle, abandonne les guitares explosives de son groupe roots-rock des années 90, 4 Ft. Ramona pour quelque chose de nettement plus feutré. Dans sa biographie, Brisbois compare sa musique à celle de Wilco et de R.E.M., et on peut effectivement déceler des traces de Jeff Tweedy dans son timbre bucolique et rassurant, tandis que les titres « A Better Animal », teinté de mandoline, et « Take Me to the Sun », doux et tordant, évoquent respectivement « The Wrong Child » et « E-Bow the Letter », de R.E.M.

En outre, vous entendrez aussi Neil Halstead et Grant McLennan sur les beautés de Low/East River Pipe « Not Her » et « I Feel Alright ». Qu’il réimagine l’un des sonnets les plus célèbres de William Shakespeare en une ballade fantomatique aux accents de western spaghetti (« Sonnet 18 »), ou qu’il se remémore une ancienne flamme avec la voix angélique de Chelsea Carothers (le duo séduisant « Perfect Black Dress »), le folk compatissant de Brisbois est source d’apaisement.

***


Matt LaJoie: « Red Resonant Earth »

31 octobre 2021

Le dévouement de Matt LaJoie à sa pratique solo est une source d’inspiration. Son projet Colander a porté son dévouement à l’improvisation à un niveau incroyable. Pendant environ 10 mois, il a improvisé des morceaux chaque jour, enregistrant tous les résultats et les partageant régulièrement avec les abonnés de Flower Room. Le projet s’est finalement achevé en septembre, après avoir accumulé 24 heures de musique (plus de 226 morceaux). De ces sessions monolithiques sont nées de multiples sorties en dehors de ce cadre, dont l’envoûtant et exaltant Red Resonant Earth. 

Ces exultations spacieuses résonnent dans les moments du lever du jour et du crépuscule où le voile est mince et où les esprits dansent et dérivent, remplis d’un joyeux abandon. LaJoie est un médium, qui canalise la magie sonore d’un autre monde à travers sa guitare. « Gilded Hilt » est chaotique de manière exubérante, les notes jaillissant dans toutes les directions, mais interconnectées et sanctifiées. La musique de LaJoie n’est pas seulement liée à des idées astrales, elle est aussi entièrement terrestre. D’une certaine manière, des morceaux comme « Forest Sanctuary » ou « Born Free » nous rappellent le brillant Floating Rhododendron de Sarah Louise, mais électrifié et saturé d’une lumière différente. Cependant, LaJoie danse toujours avec les mêmes ombres holistiques.

Red Resonant Earth possède une force de vie qui lui est propre et qui coule dans nos veines, nous imprégnant d’une sublimité impossible à quantifier. Des torrents de vibrations dorées emportent toute désolation, du moins pour un moment, sur la merveilleuse composition qu’est « Rusted Chalice ». C’est une chanson qui regarde vers l’intérieur, cautérisant les blessures avec des flammes d’argent, une balise chatoyante pour le repos. LaJoie est tellement à l’aise que je ne serais pas surpris s’il lévitait.

Des constellations construites à partir de vrilles vertes et de fleurs aromatiques entourent LaJoie à travers Red Resonant Earth. Son jardin sonore se déplace au gré du vent, planant dans les nuages en apesanteur et baigné de lumière. Lorsque la chanson-titre commence à briller d’une extase carillonnante vers la moitié du morceau, le monde s’arrête et nous trouvons un lien commun avec la terre. L’essence éveillée et le cœur ouvert, LaJoie nous guide vers la maison qui est la sienne et aussi, peu ou prou, la nôtre.

***1/2


Dear Laika: « Pluperfect Mind »

31 octobre 2021

L’expérience d’Isabelle Thorn en tant que choriste est évidente non seulement dans sa voix principale qui se cherche, mais aussi dans la façon dont ses compositions insinuent l’espace. Dans son premier album sous le nom de Dear Laika, Pluperfect Mind le bruit électronique l’emporte sur les réverbérations acoustiques, le genre d’espace sonore que l’on rencontre habituellement dans les cathédrales. Au lieu de fermer ses cordes et le piano préparé, elle laisse ses mouvements synthétiques résonner avec son organique, flottant dans un espace creux et vide. Les synthétiseurs Roland, les glitchs de bandes magnétiques et les échantillons distordus sont tous libérés ici, jamais contraires à leurs homologues acoustiques, mais vivants dans une symbiose qui s’amplifie mutuellement ; ils grandissent ensemble jusqu’à ce que la différence de leur origine s’estompe, sans importance. Chaque méthode d’instrumentation en ouvre une autre jusqu’à ce que l’ensemble du champ sonore soit un vaste paysage où la voix de Thorn peut se promener.

À travers cet espace illimité, Pluperfect Mind trace la manière dont la luxure hante son objet, le soi changeant de Thorn. Comme d’autres efforts encombrés pour devenir, la transition de genre fixe le désir dans un cadre étrange : Ce que vous voulez, c’est vous-même, mais plus encore. Comment mesure-t-on la distance entre le soi que l’on veut et le soi qui fait ce que l’on veut ? Que faut-il pour qu’ils se tendent la main et se serrent les coudes ? Avec des mélodies vocales élégantes et ondulantes, Thorne triangule le soi, le moi et le toi de la chanson narrative dans une danse complexe. L’un se précipite en avant et l’autre lutte pour le rattraper. L’un perd l’autre et se lamente jusqu’à ce que les deux puissent être réunis. Il y a des aperçus d’horreur et de désolation qui laissent place à des étendues de soulagement langoureux. « Je suis prête », répète Thorne sur « Asleep in Wildland Fire », accentuant à chaque fois les mots contre leur point de rupture. Sa voix atteint son apogée et s’effondre. L’espace se dilate, la voix s’enroule autour d’elle-même, s’accroche et s’épanouit au-delà de ses limites.

***1/2


Alice Damon: « Windsong »

31 octobre 2021

Entendre « Waterfall Winds » sur la compilation séminale I Am The Center de Light in the Attic, une compilation de musique new age en 2013 en a laissé beaucoup sans souffle. C’était une collection incroyable, mais les incantations sans paroles et la douce électronique d’Alice Damon ont touché un nerf particulier. Sa musique est acoustiquement légère et haletante, mais elle transmet un esprit alourdi par un monde nuageux. Sa musique est en quête de quelque chose, comme si ses exultations obsédantes pouvaient faire surgir une vérité plus profonde.

« Waterfall Winds » déjà mentionné, est toujours aussi enchanteur, avec des voix superposées créant des mélodies émouvantes qui tentent de se libérer, mais qui restent attachées au sol par l’eau courante et les passages de synthétiseurs exploratoires. « Treetop Winds » est un sanctuaire pour des expositions de piano chantantes et une mélodie vocale à la exture de gaze suspendue à des branches légères. C’est émouvant dans la mesure où l’on a l’impression que tout peut s’écrouler à tout moment, une impermanence qui s’élève avec des timbres soyeux. Ses chansons sont des lamentations obscures qui disent tant de choses sans mots. Elle donne une voix aux fantômes qui nous entourent tous.

« Blue Heron Flies » est spacieuse, sa voix s’enroulant dans l’air libre, chaque couche étant un geste spectral. Tout au long de Windsong, Damon crée ces harmonies inattendues où chaque registre est comme un petit monde à part, et lorsqu’ils se rejoignent, ils sont illuminés par la surprise. Si les parties séparées étaient isolées, elles laisseraient quand même une trace, mais le tout est bien plus grand que la somme de ses parts. 

Windsong existe là où l’espoir et la beauté sont tirés de la morosité saillante. Un air psychédélique imprègne l’album, dans les harmonies susmentionnées et dans les structures souples des chansons elles-mêmes. Le dernier morceau, le magnifique « Path to the Cave of the Bear », évite toute voix, laissant ces explorations de synthétiseurs priants et introspectifs sculpter des corridors de joyaux dans le désert où l’on se perd dans la précarité de l’être. 

Des carillons cristallins se réverbèrent sur une plaine réfléchissante, « Path to the Cave of the Bear » prenant de l’ampleur pour devenir un miroir auditif où des vagues luminescentes s’élèvent et s’effondrent comme des empires alors que le temps s’arrête. Chaque accord de la séquence s’enfonce plus profondément, ne laissant pas s’échapper vers quelque retraite céleste. Dans le monde remarquable de Damon, nous voyons notre véritable moi regarder à travers la vitre en savourant le moment où le soleil se lève à nouveau.

Je n’étais pas sûr d’entendre Windsong dans son intégralité dans une réédition correcte, mais heureusement, « Morning Trip » et « Yoga Records » ont rendu cela possible. L’attente en valait la peine. Chaque orbite successive à travers notre psyché grave ses incantations plus profondément, une vallée sombre qui ne cessera jamais de chercher la lumière. Alice Damon était spéciale et avec cette prière pour demain, Windsong révèle le passage vers un printemps éternel.

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Claire Tucker: « Interior Monolith »

31 octobre 2021

Puisant dans l’électronique, la synth-pop, le rock et la new wave des années 80, l’audacieux nouvel album solo de Claire Tucker, Interior Monolith, semble à première vue s’éloigner des sonorités chambristes et mélancoliques de son premier EP solo Same Old Hunters.

En y regardant de plus près, vous découvrirez des fils conducteurs qui se retrouvent dans tout son travail : des paroles qui vous attirent, le caractère profondément émotif de sa voix et son sens inné de l’accroche et de la mélodie. Tucker est notre type d’artiste préféré – agité, prolifique, ne se contentant jamais de rester au même endroit, et charchant à nous surprendre avec de nouvelles idées et de nouveaux sons.

Pour cela, elle commencé à enregistrer Interior Monolith quelques mois après le début de la pandémie. Après avoir passé une grande partie de l’année dernière en confinement, elle a loué une petite cabane dans les bois à l’extérieur de Seattle a commencé à travailler. La palette sonore de l’album est essentiellement le produit des limitations imposées par l’isolement et ce backlog de chansons et de fragments.

Ainsi, il y a quelque chose d’organique et d’élémentaire dans cet Interior Monolith, approche qui est inhabituelle dans la new wave ou la synth-pop, quelque chose qui ressemble plus à « Running Up That Hill » de Kate Bush qu’à l’angularité de « Sweet Dreams » des Eurythmics. Interior Monolith a beau animé par des percussions et des sons synthétiques échantillonnés, l’album a, au final, été conçu dans les bois de l’État de Washington.

Aussi, bien que le résultat a beaucoup de points communs avec la musique new wave et synth-pop des années 80 l’objectif premier était de créer un sentiment de flottaison et d’énergie plutôt qu’un son spécifique. Il était si facile de sombrer dans une atmopshère boueuse et désespérée en s’enfermant pour véhiculer l’idée que ce projet représentaitune forme personnelle de résistance.

De ce fait, et malgré toute sa sensibilité synth-pop et rock, Tucker choisit de nous faire redescendre doucement, en terminant Interior Monolith par l’introspective « Motorists », une ballade douce et une coda parfaite de l’album qui s’accorderait avec la chamber-pop de Puisant dans l’électronique, la synth-pop, le rock et la new wave des années 80, l’audacieux nouvel album solo de Claire Tucker, Interior Monolith, semble à première vue s’éloigner des sonorités chambristes et mélancoliques de son premier EP solo Same Old Hunters.

En y regardant de plus près, vous découvrirez des fils conducteurs qui se retrouvent dans tout son travail : des paroles qui vous attirent, le caractère profondément émotif de sa voix et son sens inné de l’accroche et de la mélodie. Tucker est notre type d’artiste préféré – agité, prolifique, ne se contentant jamais de rester au même endroit, nous surprenant toujours avec de nouvelles idées et de nouveaux sons.

« J’ai commencé à enregistrer Interior Monolith quelques mois après le début de la pandémie. Après avoir passé une grande partie de l’année dernière en confinement, j’ai loué une petite cabane dans les bois à l’extérieur de Seattle et j’ai commencé à travailler. La palette sonore de l’album est essentiellement le produit des limitations imposées par l’isolement. J’avais un backlog de chansons et de fragments… »

Il y a quelque chose d’organique et d’élémentaire dans Interior Monolith qui est inhabituel dans la new wave ou la synth-pop, quelque chose qui ressemble plus à « Running Up That Hill » de Kate Bush qu’à l’angularité de « Sweet Dreams » des Eurythmics. Interior Monolith est peut-être animé par des tambours et des sons synthétiques échantillonnés, mais l’album a, après tout, été conçu dans les bois de l’État de Washington.

« Bien que le résultat final ait beaucoup de points communs avec la musique new wave et synth-pop des années 80 que j’adore, mon objectif premier était de créer un sentiment de flottaison et d’énergie plutôt qu’un son spécifique. Il était si facile de sombrer dans une boue de désespoir en s’enfermant, et je voulais que ce projet soit une forme personnelle de résistance à cela. »

Malgré toute sa sensibilité synth-pop et rock, Tucker choisit de nous faire redescendre doucement, en terminant Interior Monolith par l’introspective « Motorists », une ballade douce et une coda parfaite de l’album qui s’accorderait avec la chamber-pop de Same Old Hunters. On y trouve ainsi place pour les nombreuses nuances de sa musique, chose qui est l’un des aspects les plus passionnants de son art.

Outre le coproducteur, ingénieur de mixage et percussionniste Cameron Elliott, Interior Monolith comprend la pedal steel, la guitare et les chœurs de Bill Patton, membre du groupe Loose Wing, ainsi que la basse électrique mélodique et langoureuse d’un autre membre du groupe Loose Wing et partenaire de Tucker, Jack Peter.

***1/2


Chris Eckman: « Where the Spirit Rests »

31 octobre 2021

2020 aura été une année dévastatrice. Lorsque tout s’est arrêté brutalement au printemps dernier, personne ne savait que la misère et l’incertitude de nos vies soudainement changées allaient durer aussi longtemps. Nous avions l’impression de vivre dans le vide. Même les courses les plus banales sont devenues des excursions à l’envers dans le nouveau monde. Chris Eckman, cerveau et principal compositeur de l’un des meilleurs groupes de Seattle, The Walkabouts, s’est terré dans sa ville natale de Ljubljana, en Slovénie. Bien qu’il ait été incroyablement actif tout au long de sa carrière, son dernier album solo est sorti en 2013, deux ans après le dernier album studio de The Walkabouts, Travels in the Dustland. N’ayant rien à faire et nulle part où aller, c’est peut-être la raison pour laquelle Eckman a décidé d’enregistrer un nouvel album solo. C’était une période surréaliste qui laissait beaucoup d’espace pour une réflexion sombre et c’est exactement l’ambiance que son nouvel album, Where the Spirit Rests, capture si efficacement. Ce disque est un chef-d’œuvre d’auteur-compositeur sophistiqué, dénudé d’une gamme d’émotions qui couvrent le spectre entre l’amour et le regret.

Where the Spirit Rests est mélancolique et rude. On remarque tout de suite que la voix d’Eckman est maintenant sablonneuse avec l’âge. Il commence à montrer la rudesse de Tom Waits, Leonard Cohen et Bob Dylan en vieillissant. De plus, le nouveau disque d’Eckman est au même niveau que leurs derniers disques aventureux, où ils ont pris des risques en ne se souciant pas de ce que les fans et les critiques pensaient et ont ainsi sorti certains de leurs meilleurs et plus honnêtes albums. Time Out of Mind, Mule Variations et You Want it Darker ont largement esquivé les racines de ces artistes tout en prouvant qu’ils pouvaient encore atteindre un sommet à l’automne de leur carrière. On peut toujours compter sur Eckman pour livrer des disques brillants et celui-ci représente un nouveau sommet.

Where the Spirit Rests est la magnifique photographie d’une année de déclin en enfer. C’est un cycle de chansons qui, à certains égards, pourrait être une longue chanson en sept chapitres narratifs. Les paroles et la musique font office de carnet de voyage dans les nuits tardives et incertaines de l’isolement. Au cœur de l’album se trouvent la voix et la guitare acoustique d’Eckman. Son jeu de guitare est ample, presque semblable à celui d’Astral Weeks, et la bonne quantité de réverbération crée une atmosphère. Des accompagnements subtils complètent les morceaux. La basse droite, la batterie, le violon et la guitare pedal steel accentuent ses chansons ruminatives avec une subtilité parfaite.

« Early Snow » est le titre d’ouverture de l’album. « The snow came early and stayed long/Deep into the spring » (La neige est arrivée tôt et est restée longtemps/au printemps) est la première phrase de l’album, suivie rapidement par « Didn’t count on the bitterness/It hit me unforeseen »(Je ne m’attendais pas à l’amertume. Elle m’a frappé de façon imprévue). Ces lignes à elles seules pourraient être une métaphore de l’année qui a semblé être une décennie. La chanson n’est composée que d’Eckman et d’une guitare acoustique, mais l’ambiance générale est massive. La morosité vous prend aux chevilles. C’est une déclaration d’ouverture puissante, austère et poétique. Rien d’autre n’est nécessaire pour améliorer la performance.

« Cabin Fever » sera un moment à la fois sancré dans le passé et dans le présent. Le morceau fait appel à tous les instruments mentionnés ci-dessus, les musiciens apportant le bon niveau de couleur à la palette étendue d’Eckman. L’arrangement de la batterie et de la contrebasse rappelle presque le premier album de Nick Drake, Five Leaves Left. Eckman est méditatif dans son évocation des jours où l’on avait la possibilité de jeter l’éponge et de quitter la ville sans regarder en arrière.

« Northern Lights » est probablement la composition la plus triste de Where the Spirit Rests et c’est aussi l’un des points forts d’un album déjà superbe. L’atmosphère de ce morceau rappelle un peu l’époque tardive de Townes Van Zandt. C’est l’une de ces chansons qui s’étendent dans l’éther sans pour autant parvenir à une conclusion. Eckman cherche et cherche encore, mais il est impossible de trouver une réponse définitive. « Northern skies/Come alive/What do we really need to know ? » (Les cieux nordiques s’animent/Que devons-nous vraiment savoir ?)

Where the Spirit Rests est présenté avec une belle couverture d’album qui capture l’humeur générale avec grâce, avec la photographie d’un flanc de montagne sombre qui est principalement couvert par des nuages bas. Le mystère de cette scène inquiétante est exprimé dans les chansons contenues dans les sillons du disque. Il y a l’obscurité et la lumière, l’espoir et le désespoir, l’ignorance et la perspicacité. Eckman oscille entre des émotions contradictoires au fil des chansons. Malgré la poussière et le malaise accumulés, il y a toujours assez d’espace pour respirer, pour que l’esprit trouve la paix. Ses réflexions honnêtes sont imprimées dans ces chansons, créant une œuvre d’art indélébile.

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Every Time I Die: »Radical »

30 octobre 2021

Est-ce que Every Time I Die a toujours été aussi en colère ? La réponse est évidemment oui, comme en témoignent tous les albums du groupe, qui sont tous des albums du sud de riffs. Pourtant, il y a quelque chose de clairement, vertigineusement furieux dans Radical, une inflexion qui est tout simplement délicieuse.

Le tryptique d’ouverture « Dark Distance », « Sly » et « Planet Shit » éclate avec le genre d’énergie énervée que le quintet originaire de Buffalo n’a pas vraiment atteint depuis Ex Lives en 2012. Les tendances un peu plus posées et calculées de la production récente du groupe sont vivement secouées en échange des bords joyeusement déchiquetés de Radical, teintés comme toujours de leur flair rose vif caractéristique pour le groove et la mélodie. « All This And War » et « AWOL » font durer la fête, lançant à tout va grenade après grenade de blues infectieux et infernal. Jordan Buckley et AndyWilliams se renvoient des coups de guitare frénétiques et funky tout au long des deux morceaux, tandis que Keith débite d’interminables répliques cathartiques avec une bravade et un cran fiables.

Les morceaux plus doux sont tout aussi impressionnants, ETID conservant un soupçon de calme et de sérénité dans son répertoire malgré sa férocité renouvelée. Le serein « Thing With Feathers » et le douloureusement chantant « Post-Boredom » rythment agréablement les beats endiablés, tandis que les pensifs « Desperate Pleasures » et « We Go Together » créent, en revanche, des atmosphères moralement claustrophobes, s’ouvrant sporadiquement sur des coups de batterie et des larsens comme dûment espéré.

Le fait est qu’on ne vous dit probablement rien que vous ne sachiez déjà. Les gars ont été au centre de la fosse aux lions depuis que leur saveur préférée de heavy a été conçue, et tandis que beaucoup d’autres noms sont venus et sont partis, Every Time I Die reste toujours sur le bout de notre langue collective après plus de 20 ans. Radical n’est en aucun cas une réinvention ou une révélation pour le groupe, mais je ne voudrais pas qu’il le soit. En refusant de réparer ce qui n’est pas cassé, ETID s’impose une fois de plus comme le roi régnant de son chateau gonflable particulier et éclaboussé de sang. Covenons de penser que l’ont peut parler pour tout le monde quand on dit : p…..  de Dieu merci pour ça!

***1/2


Colleen Green: « Cool »

30 octobre 2021

Colleen Green est infiniment cool, comme elle l’a prouvé au fil de trois albums, tous ornés de ses éternelles lunettes de soleil et de références à de vieux disques des Descendants. I Want to Grow Up, sorti en 2015 son dernier disque de pop à guitare teintée de punk, a suscité des attentes élevées pour son suivi, attentes que Green a été trop heureuse de mettre de côté. À l’exception de la reprise de « Dude Ranch » de Blink 182 en 2019, Green a été très discrète pendant les six années qui ont suivi. Heureusement, ce temps d’absence porte ses fruits. La Colleen Green que nous trouvons sur Cool se sent plus sûre d’elle que les questionnements existentiels trouvés sur I Want to Grow Up, le nouveau disque la trouvant contente, à l’aise, etcomme d’habitudecool.

L’ouverture, « Somebody Else », indique l’ambiance décontractée du disque, ouvrant l’album sur des lignes de guitare rock universitaire scintillantes, une ligne de basse entraînante et un chant facile. Dès les premiers instants, Green se situe entre la légèreté et la confiance, confrontant une relation unilatérale sur le premier morceau avant de plonger dans un absurde bienvenu avec les accroches tranchantes de « I Wanna Be Your Dog ». Green imagine qu’elle abandonne ses propres névroses pour l’insouciance de la bonne vie en devenant littéralement un chien, sans doute avec toutes les tapes sur la tête et les bonnes filles qui vont avec. Cette même énergie insouciante et ensoleillée réapparaît plus tard dans la liste des titres avec « It’s Nice to Be Nice », accompagné à la fois d’harmonies agréables à l’oreille et d’un solo de guitare explosif. Les accroches et l’instrumentation enjouée sont accompagnées d’un message tout aussi positif, résumé dans le titre de la chanson.

Si les « singles » de l’album font appel au penchant bien établi de Green pour les mélodies accrocheuses, elle s’éloigne également de ses racines punk sur le reste de l’album. Les charmantes guitares floues de I Want to Grow Up sont en grande partie remplacées par un indie rock détendu et languissant. Cela peut avoir pour conséquence que l’album traîne un peu, comme avec la ballade downtempo « I Believe In Love ». Bien que le rythme tranquille manque parfois le charme distinctif de la meilleure musique de Green, son approche déambulatoire et désinhibée permet également à Green d’explorer de nouvelles subtilités.

Certains des meilleurs moments lyriques de l’album surviennent lorsque la disposition ensoleillée de l’album se brise et permet de jeter un coup d’œil derrière le cool sans effort de Green, montrant un côté plus âgé et peut-être plus sombre de Green. Dans « How Much Should You Love Your Husband « », Green explore le mariage, imaginant le stress et l’ennui d’être avec un comédien ou un avocat, ainsi que l’effort constant pour faire fonctionner l’amour. Pendant ce temps, les grooves de basse, les harmonies superposées et les solos de guitare distordue de « You Don’t Exist » accompagnent un regard sur l’anonymat dans notre monde toujours en ligne« Si j’avais un million de followers/alors peut-être qu’ils diraient, ‘CG si populaire’/Plus je vois de choses, plus j’appelle à la connerie/Tu sais que rien n’a d’importance quand tu n’existes pas » (f I had a million followers/Then maybe they would say, ‘CG so popular’/The more and more I see the more I call bullshit/You know that nothing matters when you don’t exist).

Mais même dans les rythmes émotionnels les plus lourds de l’album, Green semble calme et posée, donnant à chacun beaucoup d’espace pour respirer. Elle explore des chemins de traverse inattendus, comme dans le lent brûlot hypnotique de « Highway » ou les synthés spacieux et les rythmes motorisés de « Natural Chorus ». Ce dernier titre et « You Don’t Exist » restent enfermés dans leurs grooves d’ouverture pendant près de deux minutes avant même que la voix de Green n’entre en scène. L’ensemble des structures de chansons tordues, des chuchotements vocaux et des mélodies étonnamment collantes montrent qu’un auteur-compositeur réfléchi se cache derrière le vernis sans effort de ce disque.

Après six ans d’absence, le dernier effort de Green est aussi vif, spirituel et amusant que jamais. Elle semble facile à vivre et à l’aise, peut-être même plus sophistiquée en apparence, ses influences punk passant au second plan. Le disque qui en résulte montre une autre facette de Green, qui peut ne pas plaire à tout le monde. Mais elle offre plus qu’assez de vers d’oreille pop à guitare ensoleillés pour satisfaire ceux qui recherchent son oreille bien aiguisée pour les accroches, tout en pénétrant dans un nouveau territoire. Green s’est toujours contentée de suivre son propre chemin, et elle le fait une fois de plus avec style sur ce Cool.

***1/2


Chloe Foy: « Where Shall We Begin »

30 octobre 2021

Il est si facile de tomber amoureux de la musique de Chloe Foy. Sa voix recèle des millions d’émotions individuelles, allant du chagrin à l’amour, de l’amour à la paix, et de la paix à l’amertume – tout en abritant tout ce qui se trouve entre les deux et au-delà – dans ses mots. Il serait donc judicieux de supposer que sur son premier album, Where Shall We Begin, les sensations se déchaînent et sont gravées dans chaque note du disque.

Fruit d’une décennie de travail, cet opus retrace les expériences de Foy jusqu’à ce jour. De la perte tragique de son père à la tentative de se maintenir à flot en s’efforçant de partager son art avec les masses, ces dites expériences ont façonné chaque moment de l’album,disque qui constitue un ensemble complet et déchirant d’audace.

Ainsi, dès le début, nous sommes propulsés dans une brise béate, emportés par les caprices de la musique, qui se heurte parfois à des chemins plus rocailleux où la félicité commence à se briser, mais qui reste néanmoins magnifique.

Le titre ouvre l’album, un beau mélange de guitare douce, de touches presque silencieuses et de la voix singulière de Foy. Bien qu’apparemment simple au début, au fur et à mesure qu’elle progresse, la chanson se transforme en chœurs presque angéliques, s’élevant rapidement, puis retombant, laissant juste le temps d’apprécier pleinement la magnificence du moment.

C’e sera dans ces passages contemplatifs que l’album brillera vraimennt, chaque morceau est pensif, offrant des moments de réflexion profonde, permettant de comprendre la profondeur de la musique de la vocaliste.

Aucun titre, à cet égard, ne le prouve mieux que le sombre « Bones ». Avec ses riches couches, ce morceau est envoûtant, mélancolique et sinistre, grâce à l’impressionnante progression des cordes et aux harmonies brutes de Foy. Il y a un chaos derrière le calme, et il perce presque la surface.

Quant au reste de l’album, c’est un ensemble charmant, qui détaille toutes les épreuves que Foy a dû traverser pour en arriver là – capturant un tourbillon de sentiments en dix morceaux. « Deserve » offre une acoustique éthérée et des voix puissantes, tandis que « Evangeline » adopte une approche plus country, avec des rythmes occidentaux et des touches scintillantes. « Square Face », qui clôt l’album, apportera une fin douce-amère et sublime avec une partie centrale acapella menant à un climax orchestral élyséen, une conclusion enchantée pour un disque presque parfait.

Where Shall We Begin est à écouter absolument. Il vous prend par la main dès le début, vous guide à travers chaque obstacle rencontré sur l’album et vous soulève doucement sur un lit de compréhension à la fin. Un opus vréritablement magnifique.

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Sparkle Division: « To Feel Embraced »

29 octobre 2021

À la première écoute du « debut » album de Sparkle Division, To Feel Embraced, cette fusion poussiéreuse de jazz lounge et de rythmes somnolents, on ne penserait pas immédiatement qu’il s’agit d’un projet de William Basinski, mais c’est bien lui qui est à la barre – même si c’est autant la sortie de Preston Wendel, assistant de studio, que son propre travail qui a inspiré Basinski. Il a sorti son saxophone pour un grand nombre de morceaux et cette fumée qui monte en crescendo est une véritable révélation. Avec les chanteurs invités, les touches poussiéreuses des boucles et les titres hilarants des chansons, c’est une écoute divertissante et parfois désorientante. La houle des cuivres de l’ouverture « You Go, Girl ! », avec son tuba en arrière plan, semble un peu en contradiction avec le titre. Les cordes qui grondent font penser à une extravagance de film de James Bond, mais cela ne dure que deux minutes, et ensuite nous avons du xylophone et des drones inquiétants avec des rythmes énormes et paresseux et un saxophone vraiment sordide. L’association des deux donne une sorte d’allure trip hop, mais c’est bien plus que cela. Le klaxon souffle sauvagement à certains moments, essayant de mettre le beat hors de son pas implacable, mais il n’y parvient pas. C’est une ouverture juteuse et groovy qui ne fait que se poursuivre dans le bon sens.

Les cordes ensoleillées de la Riviera et les vibes glissando de « For Gato » nous éclairent à travers les palmiers. Son rythme est moderne, orienté vers le dancefloor, et le saxo est plus endormi ici, mais il sort un peu des sentiers battus quand on ne s’y attend pas. Les boucles de bande magnétique, qui sont en quelque sorte synonymes de Basinski, sont toujours présentes sur To Feel Embraced, mais de façon beaucoup plus atténuée, comme faisant partie de l’ambiance générale, donnant l’impression que tout cela a été enregistré pour être lu sur 78 tours, le son de la poussière dans les sillons accompagnant certains passages.

En fait, le rythme poussiéreux et la boucle de piano de « Oh Henry ! », qui fait appel à la contrebasse de Henry Grimes, se transforme finalement en une escapade animée qui rappelle Roni Size, tandis que la poussière saupoudrée dans les sillons de « To The Stars Major Tom »ressemble davantage à de la poussière endormie. Il s’agit d’une vignette romantique et rêveuse, la bande-son d’une promenade matinale sur la plage au lendemain de la nuit précédente ; mais comme beaucoup de ces morceaux, il y a un hic. Mais comme beaucoup de ces morceaux, il y a un hic. Il s’engouffre dans le morceau suivant sur une vague de saxo criard et de rythme hip-hop traînant. Il pourrait s’agir d’une bande originale, mais pour quoi faire ?

L’album évolue de cette manière, passant d’une atmosphère à l’autre, entraînant souvent le même morceau avec lui. Il y a une énergie diffuse de This Mortal Coil dans la rêverie à la flûte de Pan sur « To Feel » et « Slappin’ Yo Face » est un court travail de jazz qui dérive dans et hors de phase, tandis que « Queenie Got Here Blues » est un court scat pour la vieille amie de Basinski, Leonora Russo, qui sonne comme un enregistrement des années 40. Leur volonté de saupoudrer les morceaux d’éléments magiques pour les déformer ou désorienter l’auditeur est tout à leur honneur.

To Feel Embraced n’est pas toujours cohérent, mais c’est en partie l’inattendu qui permet de rester concentré. Il y a des parallèles avec le dernier album de Low dans la façon dont un son parfaitement beau peut recevoir une couche de quelque chose ou un courant sous-jacent d’un autre qui le sort de l’ordinaire. C’est une écoute soul, jazzy, volontaire et poussiéreuse qui fait honneur à toutes les personnes concernées.

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