Soul Glo: « Diaspora Problems »

30 avril 2022

Écouter Soul Glo est une expérience constante de confrontation simultanée avec le passé et le présent. Le quatuor de Philadelphie oblige le public à réfléchir sur les privilèges au sein de la musique hardcore tout en créant un espace pour ceux dont les voix ont longtemps été mises à l’écart par le genre. Diaspora Problems est la plus grande réussite de Soul Glo à ce jour, combinant le hardcore avec le hip-hop, des éléments de métal extrême et de musique électronique lourde pour créer une expérience d’écoute vraiment unique.

D’un point de vue musical, Diaspora Problems prend la musique hardcore et la saupoudre de quelques merveilleuses bizarreries. L’album s’ouvre sur  » Gold Chain Punk (whogonbeatmyass) « , le morceau le plus lourd de Soul Glo à ce jour, comprenant les breakdowns les plus chaotiques jamais écrits par le groupe.

Les morceaux qui suivent apportent chacun une touche unique au son de Soul Glo tout en gardant le hardcore comme principe directeur. Qu’il s’agisse des sections de cuivres sur « Thumbsucker », de la fin death metal de « Fucked Up If True » ou de l’énergie Death Grips sur « Driponomics », Soul Glo imprime sa propre marque sur le hardcore. Cela n’est peut-être jamais aussi évident que sur le dernier morceau de l’album, « Spiritual Level of Gang Shit », qui mélange l’excellent flux vocal d’invités tels que McKinley Dixon et lojii avec des blast beats atonaux et de la distorsion, comme un point culminant et une célébration de tout ce qui a précédé sur l’album.

Le chanteur Pierce Jordan livre des performances exceptionnelles sur Diaspora Problems. C’est un disque thématiquement dense qui aborde tout, de la politique du hardcore à l’estime de soi en passant par le traumatisme générationnel. L’album est tellement riche en contexte qu’il est fortement recommandé de s’asseoir et de lire les paroles. C’est particulièrement vrai pour « Driponomics », qui contient des lignes vives comme « 40 years of Reaganomics / The world in service and shit / Deliver food we spit in / Can’t even cook for they kids » (40 ans de Reaganomics / Le monde en service et en merde / Livrer de la nourriture dans laquelle on crache / On ne peut même pas cuisiner pour ses enfants).

Jordan contribue autant musicalement que contextuellement, contrastant avec ses camarades de groupe avec des rythmes intéressants sur « GODBLESSYALLREALGOOD » et « (Five Years And) My Family ». Jordan a des moments comme celui-ci tout au long de l’album, rendant la musique encore plus dynamique et récompensant les auditeurs qui revisitent continuellement l’album.

Explorant de nombreux sous-genres du hardcore tout en racontant de nombreuses histoires différentes, Diaspora Problems place Soul Glo dans la conversation comme l’un des groupes heavy les plus importants de 2022.

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Crime of Passing: « Crime of Passing »

30 avril 2022

Dans le désert tragiquement sombre d’un monde en ruine, les derniers sons connus des mortels pulsent infiniment à travers le temps dans un environnement autrement sans humains. Les chansons que l’on trouve sur le premier album éponyme de Crime of Passing capturent les déclarations émotionnelles d’une espèce qui court vers sa fin. Le mélodrame apocalyptique mis à part, Crime of Passing est une offre sombre et expressive de l’un des groupes post-punk underground les plus évocateurs de l’Ohio. Cette musique sophistiquée présente toute la misanthropie, les textures électroniques glacées et les riffs stridents que l’on peut attendre d’un groupe opérant à la frontière de la cold wave et du post-punk. 

Le morceau commence par un bourdonnement électronique tourbillonnant qui plonge l’auditeur dans une arène sonore liminale. Au moment où l’on pense que le son va résonner dans l’obscurité, la batterie et la guitare basse explosent sur le morceau, générant un groove obsédant et mémorable. Un riff de guitare industrialisé fait son entrée et transforme instantanément la chanson en un numéro exaltant qui plante le décor pour le reste de Crime of Passing. La première piste, « Off My Shoulder », est une introduction d’enfer. 

La chanteuse du groupe, Andie Luman, est une force expressive et dominatrice tout au long de l’album. Sa voix, imprégnée de réverbération, alterne entre des marmonnements discrets et des gémissements à la Lydia Lunch. Luman utilise sa voix comme une autre texture de la musique et explore des mélodies merveilleuses ou se penche sur un désarroi lugubre tout aussi efficace.

La majeure partie de Crime of Passing repose sur les pouvoirs divergents de la mélodie et de la violence. Des morceaux comme « Hunting Knife » ou « Damrak » sont aussi méditatifs qu’ils sont féroces. Ils existent dans un état éthéré qui parvient à capturer la beauté et la terreur que l’on trouve lorsqu’on explore le périmètre émotionnel de son esprit. « Vision Talk » et « Interlude » sont pensifs et hypnotiques. Les deux chansons utilisent des synthétiseurs pour créer une atmosphère qui s’oppose à l’inévitable déclin de l’obscurité. 

Le comboexiste dans un espace sombre et impalpable. Outre l’indéniable musicalité du groupe, l’une des plus grandes caractéristiques de la musique est l’indéniable réponse émotionnelle qu’elle suscite. Malgré la signification presque impénétrable de chaque chanson, les morceaux de ce premier album éponyme sont comme un miroir, vous forçant à vous tourner vers l’intérieur et à étudier vos propres souvenirs, humeurs et sentiments naissants.

***1/2


Mister Goblin: »Bunny »

30 avril 2022

Mister Goblin, le projet du musicien de Bloomington Sam Goblin, est de retour et sonne plus fort que jamais. Alors que leurs deux précédents albums Is Path Warm ? (2019) et Four People in an Elevator and One of Them is the Devil (2021) offrent chacun un répertoire suffisamment convaincant pour être écouté en boucle pendant des jours et des jours, leur nouvel album Bunny présente ici unemusique qui demande à être pensée à tout moment. Il puise dans des influences post-punk et hardcore inédites dans la discographie de Mister Goblin. S’il y avait encore un débat sur la capacité de Mister Goblin à passer d’un son et d’un style à l’autre tout en restant unique, Bunny y met un terme. Il est plus lourd et plus agressif que ses prédécesseurs tout en sonnant comme une parfaite continuation du son que le groupe a cultivé.

Bunny présente dix chansons d’une durée d’un peu plus de trente minutes, et pas une seule seconde n’est du remplissage. La chanson d’ouverture, « Military Discount », est lourde et bruyante. Goblin prononce parfaitement les premières lignes de l’album, « military discount at the firework store ». Sa voix sonne comme une décharge d’électricité, envoyant un choc dans votre corps et vous forçant à rester attaché. La guitare ajoute toute l’énergie nécessaire. Elle est forte et rapide sans prendre tout l’espace du morceau. « Military Discount » donne parfaitement le ton de ce qui va suivre. « In Indiana » commence lentement avec un riff merveilleux et de belles paroles. Le ton de la guitare est doux et mélancolique, correspondant au sentiment de défaite et de désir ardent délivré par les paroles. Goblin chante « J’ai attendu d’aller dehors mais les moments ne font que passer », exprimant un sentiment que des millions de personnes ont ressenti au cours des deux dernières années. Rien ne résume mieux la façon dont la vie a été ressentie ces derniers temps que « les oiseaux agissent vraiment bizarrement ». La chanson se termine sur un breakdown stellaire qui canalise tous les sentiments de défaite en un énorme cri de colère.

Sur « Over the Moon » et « Safe Words », l’influence sonore post-hardcore est la plus claire. Elles comportent toutes deux des intros industrielles qui attirent l’attention et une instrumentation lente mais lourde. Le jeu de batterie de Seth Engel est très présent sur ces morceaux et les maintient ensemble. Le kickdrum lourd et les crashs durs sont comme une longe à laquelle s’accrocher alors que Goblin crie puissamment « I don’t care if I ever come back to use the washer and drier again ». Les trois derniers titres de l’album laissent tomber l’auditeur. « Red Box » est une chanson magnifique et bienveillante sur un passe-temps simple avec un compagnon aimant. Elle capture le sentiment de faire n’importe quoi pour être avec quelqu’un, de regarder des films avec lui « même s’ils n’ont que des suites merdiques de la suprématie des Bornes ». Sadie Dupuis ajoute sa voix à ce morceau et contribue à créer un sentiment de nostalgie qui ne peut être ignoré. Sur la dernière chanson de l’album, « One Year Dark », Goblin semble fatigué mais plein d’espoir en chantant que tout est peut-être foutu maintenant mais que l’avenir est toujours là.

Bunny met ses auditeurs au défi de repenser leur vision du monde. L’album évoque la banalité de la vie, la tristesse de la disparition d’êtres chers et la frustration de tout ce qui nous entoure. Pourtant, il choisit plutôt de se concentrer sur la façon dont on peut aborder ces sentiments pour y trouver de l’espoir. Goblin a raison. Il est « difficile de vieillir, nous serons bientôt là, au-dessus de la Terre, au-dessus de la Lune » (hard to get older, we’ll be there soon, over the Earth, over the moon).

***1/2


Rammstein: « Zeit »

29 avril 2022

À ce stade, les fans des héros du hard rock berlinois Rammstein savent qu’ils doivent s’attendre à l’inattendu. Le groupe prend généralement des années pour enregistrer et sortir de nouveaux titres. Par exemple, une décennie s’est écoulée entre le sixième album Liebe its für alle da et le septième, sans titre, du groupe. La supposition naturelle serait que le nouveau matériel prendrait encore du temps, mais cette supposition était fausse. Rammstein a tourné son huitième album, Zeit, à peine trois ans plus tard.

e groupe est une force sur laquelle il faut compter, même en Amérique, malgré la barrière de la langue. Ses concerts sont sa véritable carte de visite. Le groupe a vendu plus d’un million de billets lors d’une vingtaine de concerts dans le monde entier, remplissant les stades de la planète avec des sets industriels enflammés et apocalyptiques.

Le huitième album se situe parfaitement entre le conventionnel et l’inattendu. Tous les éléments sont là – les riffs de guitare croustillants, les rythmes endiablés et le métal orchestral dramatique. Mais l’inverse est également présent : une intimité lente et menaçante qui se développe jusqu’aux moments les plus forts de l’album.

Le disque s’ouvre sur « Armee Der Tristen », qui se traduit par « Armée de l’ennui », qui donne immédiatement le ton, des riffs de guitare entraînants aux synthés sous-jacents qui complètent ce mur du son.

« Marchons au pas contre le bonheur », chante Till Lindemann (évidemment, en allemand). Bien qu’il ait presque 60 ans, le chant de Lindemann reste aussi fort que jamais, délivrant une basse déchirante mais aussi pleine et chaude. Ce qui est impressionnant avec Rammstein, du moins pour l’auditeur américain moyen, c’est que le contexte lyrique exact d’un morceau n’est pas nécessairement un prérequis. Le son du groupe est si musicalement évocateur qu’il est possible de peindre son propre portrait du message d’une chanson donnée en se basant sur l’ambiance musicale qui l’entoure.

La chanson titre commence d’ailleurs sur une note très calme. Lindemann chante avec un simple accompagnement de piano et juste un léger soupçon de cordes. Au fur et à mesure qu’il se construit, le drame s’installe, conduisant la chanson à crescendo dans une attaque palpitante menée par le chœur avant de retomber dans le calme.

« Schwarz » (« Noir ») continue sur le même chemin de rocker sombre et discret. Le titre s’ouvre sur un grunge mid-tempo sombre avant de se transformer en un rock mélodique lourd et planant.

De nombreuses chansons de Zeit fusionnent des riffs de guitare lourds avec du piano, créant un exercice de contraste qui permet de transmettre le message musical avec succès. « Giftig » (« Poisonous ») change complètement d’ambiance, en déroulant un rock industriel chargé de riffs et sans arrière-pensée. Il offre toujours quelques synthés spatiaux et des superpositions opératiques, mais pour l’essentiel, il réussit dans sa puissance brute. Ensuite, il y a le rocker tout aussi entraînant « Zick Zock » (pensez au tic-tac d’une horloge).

Compte tenu de la propension du groupe à jouer sur scène, il est facile d’imaginer une grande partie de Zeit en train de se déchaîner sur scène. « OK » s’appuie sur la férocité musicale pour laquelle les fans ont appris à connaître le groupe.

La lourde ballade « Meine Tränen » (« Mes larmes ») est le premier véritable départ de l’album, un morceau émotionnel qui évoque une relation mère/fils qui a mal tourné. « Angst » fait mouche en délivrant la lourdeur caractéristique de Rammstein, tout en faisant appel à sa sensibilité cinématographique. Lindemann pousse son chant à la limite, s’aventurant même sur le terrain du cri. « Dicke Titten » (« Gros seins ») commence différemment, avec un jingle presque cartoonesque avant que les instruments ne se mettent en marche.

De même, « Lügen » (« Mensonge ») ressemble à un conte de fées infernal avant que les riffs et les rythmes ne se mettent en marche. L’album se termine par « Adieu » qui dit littéralement adieu au disque tout en mélangeant les éléments des chansons précédentes en un dernier message.

***1/2


Lore City: « Participation Mystique »

29 avril 2022

Sur ce nouvel album de Lore City, le mot qui vient le plus à l’esprit est  « inattendu ». « Inattendu », parce que ce qu’on s’imaginait obtenir, en se basant sur les mots clés « shoegaze » et « dark wave », quelque chose de l’ordre de Slow Crush et My Bloody Valentine. Ce dont on est témoin en réalité était un peu plus proche dans le ton, de l’ambiance trippante, et des chants hypnotiques.

Cela ne veut pas dire que le reste de l’album ne séduit pas, il est au contraire, une œuvre d’art incroyable. Chaque piste est si amoureusement mise ensemble, elle fonctionne comme un tout, pour vous emmener dans une autre dimension, si vous vous permettez de vous asseoir et de tout absorber.

La piste huit, « Original Feeling », est un endroit particulier de l’album où il faut s’abandonner complètement. Quand elle débute, on ne peut que fermer les yeux et se laisser embrasser complètement avec une sensation d’euphorie incroyable,, une expérience qui vous transporte dans un état de rêve complet.

Il est difficile de mettre des mots sur ce que cette œuvre vous fera ressentir, chaque personne qui l’écoute aura une expérience complètement différente, mais, honnêtement, la meilleure façon de l’écouter est de le faire au casque, ou à un niveau approprié, pour vraiment entendre tous les éléments, et de préférence dans une pièce sombre, sans distractions. C’est un album pour lequel vous devez éteindre votre téléphone, la télévision, tout, et vous immerger complètement car vous ne serez pas déçu.

Ce n’est pas pour le fan de death metal moyen et endurci, mais si vous cherchez quelque chose d’illuminé qui vous emporte, Participation Mystique de Lore City doit absolument figurer sur votre liste. Vous serez peut-être époustouflé, peut-être pas, mais une chose est sûre, vous serez capable de reconnaître sa profondeur, sa portée et son cœur. En faisant abstraction de ce qui fait habituellement flotter votre bateau sur le plan musical, cela devrait être la raison même de ce que vous recherchez lorsque vous vous lancez dans de nouvelles aventures musicales, aventures où chaque morceau est si amoureusement assemblé qu’il fonctionne comme un tout, pour vous emmener dans une autre dimension…

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My Idea: « Cry Mfer »

29 avril 2022

Sortir un album dans n’importe quelle circonstance n’est pas un mince exploit, mais ajoutez le chaos au mélange et vous connaîtrez les turbulences qui ont testé la relation de travail de My Idea lors de l’enregistrement de leur premier album, Cry Mfer.

Le duo, composé de Lily Konigsberg (Palberta) et Nate Amos (Water From Your Eyes), a uni ses forces à l’automne 2020, leur collaboration aboutissant à un premier EP That’s My Idea. Lors des sessions de Cry Mfer, leurs prouesses sonores se sont heurtées à un sol instable qui les a amenés à se demander ce qu’ils signifiaient l’un pour l’autre « au milieu d’un tas d’autres chaos » selon Nate.

Maintenant qu’ils sont capables de se pardonner l’un l’autre, et que Lily est retournée dans sa ville natale de Hudson avec une sobriété retrouvée, Cry Mfer est, à cet égard, l’histoire de deux esprits musicaux qui s’enfoncent dans un processus pop et qui trouvent une catharsis créative de l’autre côté. L’album est empreint d’une honnêteté humoristique et d’une conscience de soi véritablement humaine, que l’on peut attribuer à l’intention lyrique et à la voix de Lily, posées sur la pop de vérité ou d’épouvante que le duo s’attribue.

Au-dessus d’une mer de cordes luxuriantes et d’un sérieux enjoué, le titre bouclé de l’album introduit une sorte de constance qui vient avec le choix d’aller de l’avant, et une distance vocale reflétant la critique extérieure. Alors que cette distance est en partie contrastée par la nature directe du  façon Moldy Peach « Not Afraid Anymore' » du country road-tripping « Pretty You », et de l’indie-pop folk ‘Yr A Blur’, le charme et le charisme de l’album sont apparents partout, et c’est peut-être la colle qui lie le mieux le matériel ensemble.

My Idea plonge dans une renaissance twee avec la maladresse sexuelle de  » Breathe You « , le doo-doo-dooing naïf de  » Baby I’m The Man  » et le crossover hyper-pop/Ting Tings de  » I Can’t Dance Part 2 « . Si, dans la plupart des cas, un véritable sens de l’humour réussit à faire la part des choses, les inclusions chargées de vocodeur manquent d’humanité et ont tendance à se détacher de l’honnêteté voulue.

Cela dit, l’album prend tout son sens lorsque les morceaux sont dotés d’une touche distincte : le grunge de répondeur conscient de soi de « Lily’s Phone » et la courtepointe de patchwork de « Popstar « , cette dernière utilisant des tubes orchestraux rétro satisfaisants.

Bien qu’indéniablement doux en surface, Cry Mfer est une réaction claire contre l’autosatisfaction qui sévit dans la musique indépendante, et bien que sa conception ait été un défi pour My Idea, ce premier album est un signe clair que des relations de travail spécifiques peuvent porter des fruits remarquables.

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Tomberlin: « I dont know who needs to hear this… « 

29 avril 2022

Parfois, en écoutant Sarah Beth Tomberlin, il est important de se rappeler qu’elle chante pour nous tous – on a souvent l’impression que ses chansons sont destinées à des sentiments ou des situations très spécifiques. Les œuvres précédentes de Sarah Beth Tomberlin, Projections et At Weddings, avaient la même capacité à être personnelles et brutes, mettant tout sur la table d’une manière magnifique et mélancolique. Cette fois-ci, sur I don’t know who needs to hear this, Tomberlin mélange un tas d’observations brutales sur la vie avec des instruments chatoyants, se faufilant presque dans notre subconscient. 

Une grande partie de I don’t know who needs to hear this est presque douloureusement difficile à entendre. « born again runner » porte un ton si profond, si vulnérable, sur fond d’instrumentaux austères. Bien qu’il soit rempli de beaux moments, ils sont profonds, la familiarité de ces sentiments est parfois un peu trop réelle. La piste se penche sur une influence country, mélangeant la pedal steel avec des harmonies à la Emmylou Harris. Tout comme son prédécesseur, « easy », les deux morceaux montrent que Tomberlin est à la limite de l’autodérision. Alors qu’elle chante « Didn’t hear from you this weekend, and I know what that means » (Je n’ai pas eu de nouvelles de toi ce week-end, et je sais ce que ça veut dire), une collection d’accords de piano dissonants signale les complications de l’amour, et de savoir ce qui va arriver.

Il y a un sentiment de solitude dans une grande partie de l’album, beaucoup de morceaux semblant avoir été écrits un jour de pluie et de morosité. « Tap » est accompagné d’un son de guitare percussif, imitant presque le bruit de la pluie frappant une fenêtre. La capacité de Tomberlin à peindre une telle image à travers la musique est à la fois inspirante et réconfortante, car elle crée un espace pour s’enfoncer dans une mer de moments cathartiques. 

La chanson « idkwntht », qui clôt l’album, ramène Tomberlin à ses racines. Il s’agit d’une berceuse détendue et minimale sur le plan instrumental. Il se concentre sur la voix et les harmonies délicates de Tomberlin, un moment simple pour réfléchir au temps écoulé entre les albums. Avec un son enfantin, on a l’impression que Tomberlin redécouvre son amour pour l’écriture de chansons et l’acte de faire de la musique. Je ne sais pas qui a besoin d’entendre que cela réalise exactement ce que Tomberlin s’est fixé comme objectif, comme elle l’a expliqué dans un communiqué de presse : « Le thème de l’album est d’examiner, de maintenir l’espace, de faire un autel pour les sentiments ». Les chansons de ce disque font que même les sentiments les plus compliqués et les plus accablants ont un endroit, un moment, pour être validés.

***1/2


Diane Coffee: « With People »

29 avril 2022

Shaun Fleming est de retour sous le nom de Diane Coffee avec son quatrième album WIth People. Comme de nombreux artistes, Fleming a sans doute été affecté et influencé par l’isolement pendant la pandémie de Covid. Le résultat est évident : son album le plus introspectif et le plus personnel à ce jour.

Une fois encore, Fleming change de registre musical, passant du son soulful Synth Pop de son précédent album, Internet Arms, à un Folk Rock jangly, une vibe Dream Pop avec une touche de Glam Rock. « Corrina From Colina », « Hollywood » et « Forever You & I » ont un aspect soyeux et fluide. « Bullied » est une ballade pop rétro des années 1950 qui raconte l’histoire d’une brute dans une cour d’école du point de vue d’un enfant maltraité qui en a assez de partager un « I just can’t take anymore » (Je ne peux plus supporter) qui en dit long.

« Forecast » est de la pure Pop dans la même veine que des icônes de la Power Pop comme Dave Edmunds et Nick Lowe ainsi que des groupes comme The dbs, The La’s, et The Allah-Las. L’éclectisme est toujours un élément essentiel de la musique de Diane Coffe, comme l’ambiance Americana Country de la trépidante « The Great Escape » et le Glam Rocker « Sharks » à la T. Rex.

L’expérience de Fleming en tant qu’acteur de voix-off se prête bien à son phrasé vif, presque enfantin, et à sa gamme vocale qui évoque un mélange d’inflexions de John Lennon, Marc Bolan et David Bowie. Sans oublier ses compétences musicales plus que profondes qui se manifestent sur les multiples instruments dont il joue sur les dix titres. Quelle que soit la voie musicale empruntée par Diane Coffee, c’est toujours une belle aventure et With People en est le dernier et brillant exemple.

***1/2


Melody’s Echo Chamber: « Emotional Eternal »

28 avril 2022

Sur Emotional Eternal, le nouvel album de Melody’s Echo Chamber, sa pop baroque et électrique s’éloigne du maximalisme de ses précédents travaux pour se rapprocher d’une sobriété réfléchie et réaliste. En comparaison avec ses autres œuvres, bien sûr. Son « minimalisme » est toujours, il est vrai, assez maximaliste et sa « sobriété » est toujours enivrée d’euphorie extatique. Plusieurs fois sur le disque, en français et en anglais, elle parle de l’odeur du pin, et c’est comme si elle s’était échappée dans les bois, qui semblent nous adoucir, où elle réfléchit à la préciosité de la vie et au besoin de chansons pour nous remonter le moral, avec des airs à la fois ludiques et matures. « Nature gives and then takes back / It makes me emotional eternal » (La nature donne et reprend ensuite / Elle me rend éternellement émotionnelle), chante-t-elle sur la chanson titre aux accents de rock classique.

Alors que son travail précédent frappait l’auditeur par sa grande énergie, il semble qu’avec l’âge et l’expérience, Melody Prochet ne ressente plus autant le besoin d’impressionner ou de surprendre par sa prestation. Les chansons sont toujours remplies de basses merveilleuses, de cordes et de sa voix d’une douceur indélébile ; les arrangements sont aussi complets que tout ce que l’on peut entendre dans la musique moderne. Cependant, en écoutant l’album, on se retrouve partagé entre la comparaison avec son ancien travail et le fait d’être emportée dans la direction différente qu’elle a prise.

« Constellation of love / I know that dream / It can’t be real / Where do you come from ? » (Constellation d’amour / Je connais ce rêve / Il ne peut pas être réel / D’où viens-tu ?) chante-t-elle sur le très réfléchi « Looking Backward ». Et on pourrait dire la même chose de Prochet, qui est à la fois hors de son temps, comme un fantôme, et très très présent. C’est ce que l’on ressent en écoutant cet album : la sensation de quelque chose d’étranger et de familier à la fois qui donne un sens à sa poésie évocatrice, bien qu’il n’y ait pas grand-chose qui puisse se comparer à la langue française en termes de beauté et de romantisme.

En français, sur la troisième piste funky et lourde en guitare, « Pyramids in the Clouds », elle chante : « Toutes ces années / Que j’ai perdues / Piquées à l’encre noire / Fleurs sauvages des îles perdues / J’aime ces vies / Que j’ai parcourues…  » (All these years / That I lost / Quilted in black ink / Wildflowers from the Lost Islands / I love these lives / That I have traveled . Elle traduit ses expériences épiques en grande forme, même si les paroles peuvent parfois être répétitives et moins poétiques qu’à d’autres moments.

Dans l’ensemble, l’album dégage une impression surprenante de « rock classique », bien que couché dans une pop baroque, comme si elle et son « Triangle des Bermudes » avaient écouté en boucle les groupes prog et jam des années 70. C’est à la fois satisfaisant et désillusionnant. Peut-être la meilleure façon de décrire cet album, qui touche aux hauts et aux bas de la vie : satisfaisant et désillusionnant. Il y a peu de gens qui font de la musique comme Melody’s Echo Chamber en ce moment, et on peut voir ces chansons trouver un vrai foyer et être des aides à la vie pour ses fidèles auditeurs, comme elles l’ont certainement été pour elle.

***1/2


Bloc Party: « Alpha Games »

28 avril 2022

Bloc Party a fait irruption sur la scène musicale britannique avec son premier album Silent Alarms en 2005, se révélant être un groupe unique sur la scène indie rock, avec une collection de chansons rythmées mêlant post-punk contemporain et art rock. Le groupe a immédiatement trouvé un écho auprès d’une nouvelle génération, comme l’avaient fait ses contemporains Arctic Monkeys et The Libertines, en grande partie grâce à la personnalité flamboyante et au style vocal distinct du leader Kele Okereke. Le disque est devenu disque de platine dès sa première année et le groupe a été encouragé par Steve Lamacq et Zane Lowe sur les radios britanniques grand public, avec un buzz également créé aux États-Unis, où une tournée intensive a suivi.

Leur deuxième album A Weekend In The City (2007) a vu le groupe intégrer des influences électroniques au goutte-à-goutte dans leur son, tout en développant le rock à guitare direct de leur premier album, avant de montrer un côté nettement plus expérimental, avec une utilisation plus importante de l’électronique et des synthés sur le troisième album Intimacy sorti juste un an plus tard.

Leur album suivant, Four, sorti en 2011, a été produit par Alex Newport du groupe de sludge metal des années 90, Fudge Tunnel, et est revenu à un son rock plus direct, mais avec une maturité dans l’écriture de leurs chansons qui vient clairement de l’expérience d’être un groupe à succès, presque une décennie après le début de leur carrière. Bloc Party s’est ensuite complètement dépouillé et a produit un ensemble de chansons plus douces et plus funky sur son cinquième album Hymns où Okereke et le guitariste Russell Lissack ont été rejoints par une nouvelle section rythmique composée de Justin Harris à la basse et de Louise Bartle à la batterie.

Alpha Games (Infectious/BMG) est leur sixième album, et il s’agit certainement d’une collection de chansons intéressantes qui suscitent la réflexion, avec une progression de leur son unique, sans doute influencée par le fait d’avoir récemment fait une tournée de leurs premiers morceaux, car il y a certainement des éléments de la vieille école Bloc Party dispersés dans l’album, avec un certain nombre de refrains classiques et hymniques, semblables au style avec lequel le groupe s’est fait connaître.

La chanson d’introduction « Day Drinker » explose dans un refrain mémorable, avec une touche ska, tout en présentant un riff de guitare lourd, fuzzy et distordu. A partir de là, le disque se lance dans le premier single incroyablement accrocheur ‘Traps’, qui est très rythmé avec un riff de basse roulant, une sorte de style Blur des années 90 dans le couplet et des paroles classiques de Kele qui incluent la ligne « Lick lick lick, lickety split … raise the stakes … talk dirty to me ! » (lick lick lick, lickety split … fais monter les enchères … parle-moi de façon cochonne).

Il y a des moments avec une vibration plus douce sur le LP qui sonnent comme s’ils avaient pu venir des sessions de Hymns, y compris « You Should Know The Truth » avec sa ligne de basse funky, l’atmosphérique « Of Things Yet To Come » et « If We Get Caught ».

Ailleurs, l’utilisation de l’électronique et des synthés semble être la plus importante depuis leur troisième album expérimental.  » Rough Justice  » comporte un couplet avec une batterie électronique de style dub, tandis que  » Sex Magik  » est traversé par un synthé psychédélique et spatial. By Any Means Necessary  » a un côté disco/dub sombre, tandis que  » Callum Is a Snake  » (l’un des morceaux les plus marquants pour moi), commence avec une ligne de basse sombre sur une percussion de style drum & bass/jungle, avec une certaine utilisation du spoken word par Kele, qui crache des paroles hargneuses comme  » You got me looking like a mug and that’s not the look I’m going for « , et  » You’re a snidey little fuck … Callum is a Snake  » (Tu m’as fait ressembler à un mug et ce n’est pas le look que je recherche, et Tu es un petit con sournois… Callum est un serpent).

L’aspect personnel des paroles de Kele transparaît une fois de plus dans le mélancolique « The Peace Offering », qui termine l’album en beauté, en commençant par un tempo lent avec des paroles telles que « I don’t wish you death by stinging nettles, I don’t wish you death by a thousand paper cuts … no no no more (Je ne te souhaite pas de mourir d’orties, je ne te souhaite pas de mourir d’un millier de coupures de papier … non non non plus.), avant d’aller crescendo.

Bloc Party est un groupe qui n’a pas peur d’expérimenter, de faire les choses à sa manière et d’injecter un peu d’humour dans son travail pour contrebalancer les moments plus sombres. Sur Alpha Games, on retrouve un peu de tout ce qu’ils ont fait auparavant, et la première moitié de l’album est certainement parmi leurs meilleurs travaux. La qualité baisse un peu dans la seconde moitié, mais dans l’ensemble, il s’agit d’un retour solide d’un groupe qui a créé un son original et qui continue à se démarquer dix-sept ans après ses débuts.

***1/2