La formule « cet album est une version plus mature de [insérer l’artiste en question] » est probablement le cliché le plus éculé de la critique musicale, mais on ne peut nier qu’elle est parfois pertinente. Le deuxième LP de Beach Bunny, Emotional Creature, est l’un de ces cas. Avec la fusion caractéristique du groupe entre une indie pop accrocheuse et des préoccupations adolescentes, il y a beaucoup de maturité à atteindre, mais la question est de savoir si c’est le bon choix. Un tel changement va-t-il détruire les éléments essentiels qui ont permis au groupe basé à Chicago d’atteindre une grande popularité, grâce à la célébrité sur TikTok de leur chanson « Prom Queen » et à un premier album impressionnant (Honeymoon, sorti en 2020), ou s’agit-il d’un changement essentiel qui permettra au groupe de passer au niveau supérieur ?
Alerte spoiler : en tant qu’album, Emotional Creature ne donne pas de réponse décisive à ces questions. Pour donner un peu de contexte à cette critique, on se doit de faire quelques mises en garde sur mes sentiments personnels concernant la production précédente de Beach Bunny. Tout d’abord, on a trouvé l’assortiment d’EPs du groupe plutôt moyen
mais on a été véritablement subjugué par la magnificence de Honeymoon. Même s’il y avait beaucoup de défauts à relever, cet album était un début exceptionnellement solide et, ce qui est encore plus important, c’était le disque le plus accrocheur jamais entendu depuis cinq ans. Si vous ne me croyez pas, écoutez une chanson comme « Cuffing Season » ou « Dream Boy » trois fois de suite et essayez ensuite de vous endormir sans que l’un ou l’autre de ces airs ne vous reste en tête. Pour résumer, Honeymoon possède cette qualité indie pop tant recherchée, et fait naître de grands espoirs pour les futurs projets de Beach Bunny.
Même si ce nouvel album peut être classé dans les mêmes genres que son prédécesseur, Emotional Creature est une affaire différente. Du côté négatif, c’est un effort diminué dans l’aspect sur lequel Honeymoon a vraiment prospéré : l’accroche pure et simple. Cela ne veut pas dire qu’Emotional Creature est totalement dépourvu de jams, voire de bops, car dès le début de la tracklist, on trouve plusieurs morceaux qui pourraient y prétendre, comme l’ouverture « Entropy » ou « Deadweight », peut-être l’étalon-or de l’album en termes d’accroche. Mais même ces morceaux sont « juste » assez solides, et ne peuvent pas rivaliser avec les albums de la décennie si tel est le Òcritère.
Tout ce dernier paragraphe n’augure rien de bon pour Emotional Creature, certes, mais l’album parvient à combler une bonne partie de la différence. C’est un disque qui voit le groupe prendre des mesures pour diversifier son style, de plusieurs façons. Alors qu’Honeymoon était une collection dominée par des morceaux pop brefs et rapides, Emotional Creature mélange les choses à la fois dans le tempo et dans la longueur des chansons, avec à la fois quelques brefs interludes (dont « Infinity Room » se démarque comme un point culminant) et plusieurs chansons qui sont remarquablement expansives par rapport aux normes modestes de Beach Bunny (la dernière « Love Song » s’étend sur six minutes, y compris une belle outro rêveuse).
Cet album est aussi un peu un voyage, avec une première moitié dominée par des offres power pop mid-tempo, tandis que les dernières parties deviennent plus aventureuses. Outre « Infinity Room » et « Love Song », on trouve « Scream », certainement le morceau le plus expérimental de l’album, et probablement le meilleur de tous. Et cette tentative de secouer les choses s’étend également aux paroles. Lili Trifilio continue à chanter des vers qui ne sont pas si éloignés du fait de souhaiter être une fille de Californie ou d’aborder un certain nombre de tropes adolescents, bien sûr, mais il y a une couche supplémentaire de sombres qui apparaissent ici et là. C’est particulièrement évident dans « Weeds », où l’accent est mis sur la réalisation de soi plutôt que sur l’obsession des relations amoureuses pour la validation. Ne vous attendez pas à quelque chose de Dylanesque, mais on peut voir le groupe s’efforcer de gagner du terrain sur le plan lyrique tout en conservant son approche directe.
Emotional Creature ressemble à un album en crise d’identité, à certains égards. Bien qu’il soit toujours agréable à écouter, les points forts ne sont pas particulièrement clairs, et l’album semble à plusieurs reprises tiré dans différentes directions. C’est une position assez compréhensible. Les Beach Bunny ont atteint leur succès actuel grâce à une certaine formule, et ils sont maintenant confrontés à l’épineux dilemme de savoir s’il faut « ne pas changer de cheval en cours de route » ou s’adapter pour garder les choses fraîches. Emotional Creature offre suffisamment d’éléments pour satisfaire les fans de longue date du groupe, tout en permettant d’explorer d’éventuelles évolutions futures. En bref, c’est l’un de ces albums de transition dont l’héritage dépendra fortement de la réception des futures productions de Beach Bunny. Il est difficile de grandir, mais pour l’instant, Emotional Creature offre le solide portrait de ce que c’est que d’être un groupe en mouvement.
***1/2