« Tel père tel fils dit-on. » Jamais cela n’a semblé être aussi vrai que dans le cas de Adam Cohen. Mais plutôt que de choisir les traces de son père, le chanteur a surtout cherché à lui être en quelque sorte fidèle. C’est ce qu’il nous explique ici pour la sortie de son nouvel album We Go Home, disque où, enfin, il lui a paru aisé d’aborder le problème de son legs et de la filiation puisque, désormais il a un fils en âge de l’appréhender et à qui, lui aussi, il pourra transmettre le lien familial.

L’album précédent s’appelait Like A Man, celui-ci We Go Home. Le premier n’était-il pas une déclaration d’émancipation et le dernier une retour vers ses racines, vers son soi, et pas simplement quelque chose de littéral ?
Vous avez tout compris. La question est tellement bonne et il serait difficile de répondre autrement. Vous avez parfaitement saisi qui s’est passé avec le dernier disque ; il y a eu une certaine naissance, une certaine conscience. J’ai mais les bras autour d’une tradition, une Vox et maintenant il est question d’assumer cette vox. Il s’agit d’en sortir aussi, d’existe dans une communauté à l’extérieur de la maison mais tout en restant conscient d’où je viens.
Vous semblez résumer ça dans « So Much To Learn » où vous faites référence au père et au fils, comme un passage de traditions dans la filiation, comme dans la Diaspora.
C’est un beau mot la Diaspora. Ça me fait plaisir parce que je pense que je fais partie de la Diaspora comme on le fait tous. Ce titre est, en effet, une des pièces centrales avec « Put You Bags Down » ; ce sont deux chansons où on peut trouver la voix du père ou la voix du fils. Sur ces titres c’est les deux en même temps : le souvenir de la Diaspora, de la terre père et de la terre mère. Dans mon cas c’est le souvenir d’une certaine architecture folk, de la voix de mon père en particulier et du besoin de transmettre d’où on vient et ce que l’on est.
« Put Your Bags Down » c’est un peu poser ses caisses après un exode;je me demandais si ça n’était pas plutôt adressé à votre fils.
Celle-là oui mais ça vient directement d’une conversation que j’ai eue avec mon père quand j’avais 17 ou 18 ans. Je lui ai parlé d’un problème et il m’a dit : « Écoute, imagine dans un wagon. Il tient inconfortablement plusieurs valises dans chaque main et il en a une autour du cou. À un moment il réalise qu’il peut poser ses affaires et que ça ne change pas la destination du voyage. Tout ce que ça change c’est que tu vas être un tout petit peu confortable. » Alors, comme on dit : « Enjoy the ride. » j’ai essayé de l’expliquer à mon fils mais il n’a que 7 ans, alors je l’ai mis dans une chanson et il la consultera quand il voudra, un jour.
D’où sa photo sur la pochette…
Et derrière il y a lui et moi. Ce disque est une chronique de conversations que j’ai eues avec mon père et j’ai l’intention d’avoir avec mon fils, que ce soit à travers des chansons ou pas. Sur chaque morceau je fais un clin d’oeil ou une référence soit envers mon père soit dirigée vers mon fils.

Sur « Uniform » c’est le plus flagrant.
Il y en a plein d’autres mais c’est le truc qu’on va capter immédiatement comme sur le dernier disque ou je dis : « So long Marianne. » Ça me plait car toute ma vie et toute ma carrière j’ai voulu être digne de lui, que mes chansons puissent être en dialogue avec les siennes. Et je n’étais pas encore à ce niveau en fait. Maintenant c’est le cas, il m’appelle pour des conseils, je suis dans une entreprise familiale et j’ai un poste qui est digne d’une conversation avaec lui. Ça m’aura pris toute ma vie.
Est-ce une manière de tuer le père comme chez Dolto qui disait qu’on ne se construit qu’en s’opposant ?
Pas du tout mais je peux comprendre la question. Je crois que c’est le contraire au fond. C’est plutôt vouloir honorer le père au sens biblique et historique.
Vous abordez le thème de l’Amour sur « So Real » en disant qu’il est difficile d’échapper aux clichés. Puis il y a « Love Is » ; n’est-ce pas une manière de vouloir monter que l’on veut que son état amoureux est unique et transcende tous les autres ?
Tout ce que je peux dire à propos de l’Amour est beaucoup plus convaincant à travers une chanson ; je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus. Quand j’écris, je réfléchis, j’essaie d’être généreux, d’être clair, de toucher les clichés sans tomber dedans. C’est pour ça qu’on fait de la musique, qu’on est artiste.
Musicalement, comment tentez-vous justement de ne pas tomber dans les clichés ? Par exemple les cordes de nylon c’est assez original dans le domaine du folk-rock ou des « singer songwriters ».
Le nylon est plus doux. Pour moi ça évoque le son d’un matin où je me lève, tranquillement, où je vais à la cuisine et trouve mon père en caleçon dans la maison. Pour moi, ça évoque ce qu’est la musique de MA maison. C’est donc un outil familial. C’était assez inattendu mais j’ai trouvé que ma muse était ma famille. Ce qui m’inspire le plus aujourd’hui c’est qui je suis, d’où je viens, qui j’ai toujours voulu devenir. Les obstacles que j’ai rencontrés, la myopie dont j’ai souffert mais que j’ai pu vaincre.
À quoi faites-vous allusion ?
Le manque de courage à faire ce que je voulais vraiment faire et la confusion par rapport à ce que je voulais devenir. Je savais que je voulais devenir quelque chose (sic!) d’important, quelqu’un qui valait quelque chose. Mais c’était toujours par rapport à ce que je connaissais comme exemple de succès. Mais les jeans serrés, une bonne coupe de cheveux, les femmes, des succès au hit-parade ça aussi ça m’a beaucoup séduit. J’ai déraillé et il m’a fallu beaucoup de temps pour remettre mon wagon sur les bons rails.
Et avez-vous jamais songé à aborder un registre plus rock ?
Oui, bien sûr. J’ai tout fait, même un album en Français et mon premier disque était plutôtdu R & B assez soigné. Je crois avoir cherché partout en fait et j’aurais bien aimé faire ça quand j’avais 15, 16 ou 18 ans au lieu de le faire à 26, 32 ou 39.

Et pourquoi cet album en Français d’ailleurs ?
Ma démarche a toujours été de trouver une certaine vérité et le Français n’est pas ma langue principale. Mon quotidien est en Anglais et les gens ne s’y intéressent pas d’ailleurs. Si c’est un gimmick, c’est pas mon truc non plus. Au moment où je l’ai fait, j’avais quelque chose à prouver, prouver mon appartenance à quelque chose puisque je suis Québécois et que j’ai un peu vécu en France. C’était comme un costume qu’on veut porter quand on vient de l’acheter.
We Go Home a été enregistré dans une île grecque.
La moitié dans la maison familiale que mon père a acheté en 61 à Hydra. C’est un endroit important car j’y ai grandi et l’autre moitié à Montréal. Ces deux lieux représentent les deux domiciles fixes que j’ai toujours eus car on a beaucoup voyagé.
Le titre de l’album vous est venu pour cette raison ?
Et parce que ma source d’inspiration était d’où je viens et qui je suis devenu. Ce sont mes racines, ma connexion avec ma famille.
Il y a ce titre, « I Swear I Was There » où il y a un sens de déplacement, de désespoir presque.
J’adore cette chanson. J’essaie de vous y raconter ce qui s’est passé réellement et, avec la cadence et l’architecture de la mélodie, vous transporter et de toucher l’universel à partir de ma petite histoire très personnelle. C’est un exercice très commun mais quand c’est bien fait…
Quand on entend « The radio is on but the signal is weak » ou « Everyone feels unprepared, everyone is feeling scared » il y a quand même un sentiment d’insécurité.
C’est un sentiment que tout le monde peut ressentir, voilà tout. Je préfère ne pas raconter mes textes ou les contextualiser. Je crois que la démystification d’un texte c’est un virus. Je mets beaucoup de temps et de réflexion à écrire et, quand tout est achevé, j’aimerais ne plus avoir à les expliquer.
Il y a toute une palette d’émotions dans ce disque, sérénité, inquiétude… Est-ce que, durant sa conception, vous vous êtes dit que la voie était dure ?
Il y a une chose qu’il faut savoir en termes de protection. Le disque d’avant a été mon premier succès. J’ai 42 ans et je fais ça depuis longtemps. J’ai vu des sales remplies et j’ai eu la sensation que j’avais trouvé ma voie. J’étais angoissé de fournir un « follow up » à Like A Man. Je me suis planté en fait, je suis allé à Los Angeles. Je pensais avoir du vent dans les voiles, que tout allait être facile, que j’avais appris de mes leçons et que j’allais tout pouvoir mettre en place. En fait j’ai été humilié, j’ai dépensé tout le budget et j’ai fait un disque qui était mauvais ! Il puait l’angoisse, comme un mec qui porte trop de gel dans les cheveux ou une femme trop maquillée. J’avais tellement envie de séduire et plaire et j’ai pris des mesures assez drastiques. Je ne pensais pas pouvoir retourner chez moi , m’hypnotiser dans les endroits qui m’ont vu grandir protégé par le confort et la peluche. Home c’est donc aussi une protection ; imaginez un dîner familial, on ne peut pas y entrer avec des airs, une attitude. On sait exactement qui vous êtes et il me fallait aussi me protéger contre mes airs avant de renaître.
Avez-vous jamais pensé abandonner la musique ?
Bien sûr d’autant que j’avais déclaré à tout le monde que j’avais trouvé ma voie et que je m’étais exonéré d’une certaine responsabilité. Je me suis donc remis en taule et me suis dit que peut-être je subissais un pardon divin pour me prouver de quoi j’étais capable, mais une fois seulement ! Quelques semaines plus tard j’ai décidé de ne pas accepter ce constat d’échec et de continuer à travailler.
Est-ce que ça peut être un fardeau d’être le fils de…. ?
C’est une question qui est un peu chargée et je ne suis peut-être pas la bonne personne pour vous répondre. Je comprends ce que j’ai vécu moi, je ne connais pas l’autre côté, celui qui vous permet d’être libre de cette influence. J’ai toujours eu ce besoin mais je ne connais pas l’autre versant en fait. Je n’ai pas vécu cet héritage comme une ombre, une tyrannie. Je l’ai vue comme une lumière et une inspiration. Je n’ai pas toujours pu la suivre comme je le voulais mais je l’ai trouvée finalement, et ce avec beaucoup plus de fidélité.