La fin de l’année étant enfin en vue, il semble que ce soit le moment idéal pour faire une pause et prendre une respiration. 2020 a été le genre d’année dont la plupart d’entre nous seront heureux de voir le retour, en regardant avec espoir la lueur accueillante de la nouvelle année et en espérant que ce ne soit pas la lumière d’un train qui arrive. L’envie d’un nouveau départ se fait particulièrement sentir. Dans cette brèche, la chanteuse et compositrice torontoise Clara Engel s’engage avec la beauté subtile et transformatrice de A New Skin.
Engel a déjà eu un impact énorme sur mon année, puisqu’elle a sorti l’époustouflant Hatching Under The Stars au début du mois d’avril. Une merveille aux grands yeux à travers le cosmos, parsemée de harpe, de clarinette, de glockenspiel, de lap steel et de violon. C’est, sans l’ombre d’un doute, l’un des plus bel album de toute l’année. Dans A New Skin, Engel dépouille les musiciens invités et les extra-instrumentistes pour créer un enregistrement domestique fantastiquement intime. Huit chansons profondément atmosphériques construites autour de la guitare à boîte de cigares, de la guitare électrique, du mélodica et de l’harmonica. La voix sublime d’Engel et sa poésie évocatrice nous guident dans l’obscurité.
Nous sommes progressivement plongés dans le monde nocturne d’Engel avec la mélancolie gracieuse de « A Starry Eyed Goat ». Une guitare doucement grattée et un mélodica étrange et éthéré ponctuent l’obscurité tandis qu’Engel chante une chèvre rayonnante, « grignotant l’herbe du ciel » (munching on heavenly grass). Nombre des thèmes explorés dans Hatching Under The Stars refont surface ici avec la nature, la nuit, le feu et la transformation qui suintent à travers les pores de A New Skin. La différence est que les chansons, dans des arrangements clairsemés, mettent l’accent sur un sentiment de contemplation tranquille et d’isolement. Des thèmes que nous avons tous appris à connaître cette année.
« The Garden Is Sleeping « agit comme une berceuse médiatique, un hymne hanté situé quelque part entre « la poussière d’étoile et la chair » (stardust and flesh). Les images sont abstraites mais profondes ; un blues existentiel qui brûle lentement. L’ambiance hypnotique se poursuit avec le folk céleste de « Little Alien Lost ». Faisant référence à William Blake et Jim Jarmusch (deux des premières influences d’Engel), le morceau est empreint d’un espoir incertain, « laimer est un pari/ un miracle surmûri/ c’est un petit alien perdu dans les bois » (loving’s a gamble/ an overripe miracle/ it’s a little alien lost in the woods) . Remarquant, comme le grand Mark Linkous l’a fait un jour, que c’est un monde triste et beau.
« Gossamer Knives » crée des textures oniriques et ambiantes ; une composition étourdissante, apaisante et heureuse. L’idée même d’un album dépouillé peut évoquer des images d’un enregistrement de style MTV Unplugged, mais Engel crée quelque chose de bien plus subtil, texturé et d’un autre monde. L’étonnante « Night Tide » nous a presque fait pleurer, alors qu’Engel se languissait de la tendre mélodie « Est-ce que tu rentres à la maison ? La reine du monde souterrain veut savoir » (Are you coming home? The queen of the underworld wants to know ). C’est une chanson qui parvient à capturer l’isolement que beaucoup d’entre nous ont ressenti cette année ; livrée avec beauté, sincérité et espoir.
Quand Engel chante « a world turned upside down » sur « Thieves », elle pourrait s’inspirer d’un certain nombre d’expériences personnelles, mais les paroles semblent avoir une pertinence particulière en 2020. Comme dans la majeure partie de l’album, on trouve un étrange réconfort dans ces mélodies solitaires. L’album avance à un rythme lent et quasi glacial ; chaque chanson a la possibilité de respirer et de s’épanouir à son propre rythme. « On Nightingale Wings » dérive avec une grâce sinistre et fantomatique tandis qu’Engel chante calmement : « J’attends juste que le vent change/ que de nouveaux yeux voient/ que les chiens sauvages se régalent d’ailes de rossignol/ que tout le monde ait besoin de manger » (I’m just waiting for the wind to change/ for new eyes to see/ wild dogs feast on nightingale wings/ everybody needs to eat).Frisson dans la colonne vertébrale et magie à l’oeuvre iciassurés.
Les neuf minutes d’introspection qui composent le morceau titre semblent passer en deux fois moins de temps, un superbe slow qui me tient captif tout au long de la chanson. Le réconfort et la catharsis offerts par la musique elle-même sont honorés par les derniers mots de la composition, « Venez chanter avec moi/ à la fin, il n’y a pas de sortie plus douce » (come sing with me/ in the end there is no sweeter release). La chanson s’estompe et nous laisse ébahi s; Clara Engel a réussi à sortir deux des plus beaux albums que j’ai entendus cette année. Comme toutes ses œuvres, A New Skin requiert votre attention particulière et totale. Mettez du temps de côté et immergez-vous, vous ne serez pas déçu. Ce dernier album peut se révéler être le compagnon idéal des dernières semaines d’une année longue et étrange. Il est temps de prendre une grande respiration et de se faire une nouvelle peau.
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