Fenella: « The Metallic Index »

13 novembre 2022

Le projet Fenella de Jane Weaver a été présenté avec une bande-son alternative au film d’animation culte Fehérlófia. Leur deuxième album, The Metallic Index, est sans doute plus cinématographique, même s’il n’est pas lié à un film particulier. Essentiellement instrumental, l’album s’appuie sur des pulsations de synthétiseurs cosmiques et des textures balayées, avec la voix sans paroles de Weaver. Après s’être ouvert sur un titre censé évoquer un voyage en train, le disque passe d’arpèges bouillonnants et chargés (« Instituts Métapsychique ») à des guitares atmosphériques à la dérive (« A Young Girl of Medium Height »).

« Telekinetoscopes » cassera un peu l’ambiance, avec des séquences de glitches flous qui clignotent et résonnent. « The Metallic Index » est un interlude plus léger mené par des rythmes sautillants, mais « Lilacs Illuminate in Indigo » marque une descente vertigineuse dans l’ombre. « Stellar in Spectra » est un voyage inquiétant avec des boîtes à rythmes grondantes et des synthétiseurs spatiaux, qui débouche sur un sentiment d’extase. « Are They with You (The Final Chord) » est la seule chanson lyrique de l’album, et c’est un joyau psychofolk émouvant, qui ressemble un peu à une version acoustique de Broadcast. Même si The Metallic Index semble plus clairsemé et moins développé que le premier album de Fenella, qui était plus long et un peu plus dynamique, il n’en reste pas moins un effort captivant qui mérite d’être exploré.

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Frankie Cosmos: « Inner World Peace »

21 octobre 2022

Le cinquième album studio de Frankie Cosmos, Inner World Peace, progresse comme on installe une cheminée dans un manoir désuet, commençant comme à la lueur d’une bougie, réfléchissant délicatement, avant qu’une chaleur réconfortante n’apparaisse et ne se transforme en une narration délicieusement nostalgique. Des morceaux comme « Abigail » et « Empty Head » sont timides et sensibles, s’ouvrant à l’auditeur et l’invitant presque à faire de même. Pendant ce temps, « Fragments » et « Prolonging Babyhood » présentent tonalement une nostalgie estivale. 

Inner World Peace élargit le twee indie des années 2000 en reconnaissant l’existence des pédales de guitare et, en général, du registre inférieur. « Aftershook » passe de la fusion des guitares des années 70 à un solo croustillant à la manière d’un stylophone et, combiné à une voix légèrement brute, sonne de manière attachante comme si les Moldy Peaches avaient pleinement exploité le potentiel de leurs instruments.

Cependant, parfois, cette crudité et l’accent mis sur un ton aigu deviennent grinçants, les accords diminués devenant durs et désagréables au lieu de créer une tension. L’ouverture vocale de « Magnetic Personality « est exaspérante, ce qui est regrettable car plus tard l’instrumental se lâche de manière vraiment agréable.

Inner World Peace va-t-il changer l’histoire de la musique ? Probablement pas. Mais il deviendra certainement un album de réconfort pour beaucoup.

**1/2


Daniel Lanois: « Player, Piano »

24 septembre 2022

Daniel Lanois ? On pense guitares pas trop propres, trempées dans les eaux boueuses du Mississippi (ou d’un lac pas loin de Gatineau, terre d’origine). On pense réalisation, pour Dylan, U2, Gabriel, longue liste. Qui aurait dit : Lanois, pianiste ? Personne. Sauf Lanois. On le savait capable de tâter de tout. Peur d’avoir l’air amateur ? Au contraire. Ce que dit ce premier album à l’enseigne de BMG — et le rapatriement de son catalogue —, c’est qu’il n’a pas à refaire du Lanois. Occasion saisie, mode de création renouvelé.

Piano ? Va pour le piano. Pas fluide mais futé, Lanois compense : il enregistre la main gauche, puis la droite. Ou le contraire. Un contrariant chronique, le Daniel. Ainsi naît un pianiste pas vraiment pianiste. Un peu de programmation en sus. D’autres claviers. Ressort un album un peu artificiel. Pas du Lanois en prise directe, ni du Lanois enraciné. Plutôt Lanois en pleine expérimentation, fin mélodiste tout de même. Pas tellement ce que le titre Player, Piano annonce. Esprit de contradiction, va !

***1/2


Lisa Cameron / Damon Smith / Alex Cunningham: »Time Without Hours »

14 septembre 2022

Ce nouvel arrivage d’improvisation libre des vétérans Lisa Cameron (batterie), Damon Smith (basse) et Alex Cunningham (violon) fait mouche. Il combine juste ce qu’il faut de structure, d’ouverture, de discordance et de virtuosité. Cameron et Smith sont tous deux de formidables interprètes. Le premier utilise des passages de rythmes semi-prévisibles pour accentuer davantage les motifs plus mercuriens. La basse acoustique du second est profondément timbrée et presque hypnogène. Mais Cunningham est au premier plan pendant la majeure partie de l’album, sciant et grattant agressivement les notes de son instrument.

Par exemple, « A Wave Reborn » commence par des percussions lentes mais non conventionnelles, couplées à une basse à archet et à un thème de violon subtil et grinçant. L’utilisation de techniques étendues fait que l’exploration texturale prend le pas sur la mélodie. Cunningham extrait les notes comme s’il forgeait une œuvre d’art métallique abstraite à partir de matériaux bruts. Le morceau se transforme en une forme de ligne de basse qui marche (qui danse ?), avec Cameron qui joue beaucoup de cymbales et le violon qui va et vient au premier plan. Le tempo augmente vers la fin, avec le solo extérieur de Cunningham sur des rythmes denses et anguleux.

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Jagath: « Svapna »

13 septembre 2022

Jagath est un collectif russe qui produit de la musique d’ambiance « rituelle », mais le fait de manière inhabituelle. Ils évitent le traitement numérique et le synthétiseur en couches, et enregistrent plutôt dans les emplacements de résonance abandonnés – égouts et réservoirs souterrains par exemple – pour créer une bande-son pour la désintégration industrielle.

Les quatre longs pistes sur Svapna sont pilotées par l’instrumentation acoustique personnalisée, la percussions à partird’objets du quotidien et les voix. Les structures rythmiques vont au-delà des motifs de frappe typiques que l’on trouve dans la plupart des musiques rituelles et incorporent plutôt des éléments aléatoriques.

Associé à un jeu en grande partie improvisé d’instruments à cordes atypiques, en bois et en métal, cela donne à l’album un sentiment d’imprévisibilité. Les battements suivent rarement un tempo ou une cadence particulière, mais sont densément structurés avec plusieurs artistes contribuant. Les voix varient entre le chant, le drone et la chanson parlée. Il en résulte un effort édifiant particulièrement édité – c’est comme si les formations créées par l’homme s’effritent vers une bande sonore mélancolique d’acceptation.Si vous n’avez pas encore essayé l’ambient rituel, Svapna en sera une excellente introduction.

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Anna Erhard: « Campsite »

9 septembre 2022

Anna Erhard avait manifestement déjà le goût de la vie simple lorsqu’elle faisait de la musique de rue en Suisse avec son groupe Serafyn. Le deuxième album solo d’Erhard après son déménagement de Bâle à Berlin ne fait pas que s’appeller Campsite, il consacre également plusieurs chansons aux joies et aux peines de l’extérieur. « I used to have a good time at the campsite / I was the leader ’cause I had the most mosquito bites » (J’avais l’habitude de m’amuser au camping / J’étais la cheffe parce que j’avais le plus de piqûres de moustiques), chante Erhard dans le morceau-titre, accompagné d’un synthé qui couine et bleepe de la plus belle des manières.

En effet, il ne faut pas s’imaginer le trip en plein air d’Erhard trop tricoté à la main et folk, mais plutôt bien varié comme une randonnée à travers monts et vallées : avec son producteur éprouvé Pola Roy, Erhard concocte des hits au sneaking décontracté comme « Horoscope » ou « 90° », qui répandent toutefois plus de style urbain que de romantisme de feu de camp.

Celui-ci s’installe plutôt dans les chansons à la guitare comme « Family Time » ou « Three Tons Of Steel », tandis que « I Wish » sonne aussi décontracté et enlevé qu’une chanson de surf de Jack Johnson. Dans chaque morceau, on trouve de petits moments de surprise, des voix spooky qui semblent venir de partout comme des moustiques, ou la guitare commémorative de Dinosaur Jr. dans « Idiots ». Un bon disque, pas et pas uniquement pour les joies du plein air.


Superorganism: « World Wide Pop »

16 juillet 2022

World Wide Pop nous offre un  bel assortiment de sons et d’énergie, et c’est la version ambitieusement bizarre de la pop de Superorganism. Subvertir la « pop » n’est pas nouveau, ce qui rend d’autant plus spécial le fait que dans une scène saturée, Superorganism ait réussi à faire quelque chose de totalement unique et – plus important encore – d’amusant. « Don’t mind me, I’m just a fruit fly that’s floatin’ on by » (Ne faites pas attention à moi, je ne suis qu’une mouche à fruits qui flotte), lance Orono Noguchi sur Into the Sun sur fond de synthés chaotiques, de batterie et d’une mélodie qui devient progressivement plus complexe et trippante. Sa voix nonchalante et caractéristique indique que, parfois, au milieu de l’absurdité et du chaos, il ne reste plus qu’à se détendre et à profiter du voyage.

Le son de WWP, tourné vers l’avenir, s’inspire davantage de l’éthique du « couper-coller » de l’âge d’or de l’indé que de l’hyperpop. En effet, la plupart des membres du groupe, désormais au nombre de cinq, originaires de Corée du Sud, du Japon, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, se sont rencontrés en ligne, ce qui rend World Wide Pop d’autant plus approprié, faisant allusion à l’esprit de collaboration qui sous-tend leur travail. Bien que le maximalisme soit au cœur de ce disque (sur des morceaux comme « Solar System », on frôle parfois le trop de trop), dans l’ensemble, il trouve le juste milieu entre le chaos et la structure, la bêtise et la profondeur, et cça n’est pas un pétard mouillé

***1/2


Shrine: « Nausicaä »

30 mai 2022

Shrine est le patronyme de Hristo Gospodinov, dont les œuvres sont souvent classées dans la catégorie grossière de la dark ambient. Mais les paysages sonores futuristes de Gospodinov sont très variés, bien que souvent influencés par la science-fiction dystopique.

Explorant une Terre future recouverte d’une flore mortelle, il utilise des textures granuleuses, des drones brumeux et haletants, ainsi qu’une quantité surprenante de percussions régulières. Ces dernières, lorsqu’elles sont présentes, font avancer ces pièces à un rythme rapide. En effet, il y a une bonne dose de répétition en général, avec des thèmes qui se développent lentement au cours de plusieurs minutes, allant crescendo. Ces fragments vont et viennent à la fois au premier et au second plan.

Premier album de Shrine depuis près de trois ans, Nausicaä est une déclaration suffocante sur la relation fragile de l’humanité avec la nature. Bien que synthétisés, les sons sont organiques, leur aspect brumeux ajoutant peut-être un degré d’imperfection attrayant aux tonalités. La production est dense et claustrophobe, mais aussi balayée par le vent et étrangère. On ne peut pas faire beaucoup mieux comme exemple de musique de synthèse aux atmosphères obsédantes de dark ambient combinée à des éléments d’electronica et de post-industrialisme.

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Static Dress: « Rouge Carpet Disaster »

25 mai 2022

Après leur premier EP Prologue et une multitude de singles, Static Dress sort son premier album tant attendu, Rouge Carpet Disaster, et c’est un brillant mélange de post-hardcore planant et de divers autres sons. 

Lesdits sons comprennent des éléments électroniques et un sens aigu de la mélodie, qui mettent en valeur la musique du groupe et lui permettent de se démarquer de la masse. Sur cet album, Static Dress explore une multitude de vibrations différentes, trouvant un équilibre entre la lourdeur hymnique et des moments plus oniriques.

Des compositions telles que les sublimes et brumeuses  » Attempt 8  » et  » Marisol  » côtoient des titres plus lourds comme  » Courtney « ,  » Just Relax  » et  » Push Rope « , mais toutes sont délivrées avec un sentiment de passion palpable, ce que Static Dress fait avec aisance. 

Avec Rouge Carpet Disaster, Static Dress a réalisé un premier album assuré qui les voit explorer des styles au-delà de leurs débuts post-hardcore et bien qu’ils embrassent sans aucun doute ce son, et le font très bien, il y a beaucoup plus ici et c’est ce qui les élèvera. 

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Jesse Mac Cormack: « Solo »

11 avril 2022

Jesse Mac Cormack est passé du côté électro de la chanson pop et ça ne devrait surprendre personne qui s’est intéressé à sa production des dernières années, tant comme auteur-compositeur-interprète que comme collaborateur ou réalisateur d’albums. On oserait même croire que son expérience auprès du compositeur house CRi, qui l’a invité à chanter deux chansons sur son album Juvenile, a nourri son inspiration pour SOLO, disque fait à peu près seul, hormis pour une touche de programmation de la part de Félix Petit, complice des Louanges.

Les claviers aux sonorités grasses choisies par Mac Cormack étreignent généreusement les rythmiques presque house qui dominent cet album, où le musicien trouve l’équilibre entre la chaleur des sonorités et la froideur des boîtes à rythmes. Avec sa voix aiguë et brisée, le Montréalais rappelle sur ce deuxième album le travail solo de Thom Yorke et le Radiohead plus planant, mais avec une forme d’abandon qu’on écoutera avec l’expérience angoissante de deux années de pandémie, ses mots se perdant dans le tourbillon des hypnotiques notes de claviers.

***1/2