La voix patiente et légèrement plaintive de Liza Victoria est enfin de retour. S’il y a eu le court Barn Coat au printemps, il y avait deux ans que la musicienne du Maine ne s’était pas lâchée en longueurs. Six pistes en 42 minutes : un format parfait pour sa construction mélodique lente, en volutes libres et imprévisibles. C’est ainsi que naît la grâce. Momentary Glance, enregistré à Montréal (à l’exception d’un morceau) dans le froid pénétrant de l’hiver dernier, fait entendre pour la première fois le groupe qui accompagne Lisa/Liza — la guitare est maintenant électrique, on entend des percussions, de la reverb, de le pedal steel, des bruits. Mais c’est toujours aussi fuyant qu’avant : comme une seule piste qui traverserait plusieurs paysages.
Lisa/Liza fait d’ailleurs souvent référence à la nature, aux oiseaux, à ce qui nous entoure pour poser sa contemplation. Et cette fois, sa voix vacillante a chanté malgré le deuil d’un ami, qui s’est suicidé peu avant l’enregistrement. Pour cela, et pour le talent qu’il recèle, Momentary Glance est d’une précarité grandiose.
Le nouvel album de Josephine Foster, Faithful Fairy Harmony, est une nouvelle fois marque par la cohérence et l’étrangeté. Si le terme « freak-folk » devait trouver une représentation, ce sera sans doute à elle qu’on devrait l’appliquer. Singularité aussi pour une artiste qui est à la fois anachronique et intemporelle et qui est capable de trouver beauté et agrément dans la noirceur et l’affiction.
Fosterenchaîne ainsi les merveilles ; le superbe dénuement sur «Eternity » ou « Force Divine », le mélancolique (« The Peak Of Paradise », « Little Lamb) », varie les ambiances en alternant les moments expérimentaux comme « Pearl In Oyster », avec l’americana (« Force Divine », « Indian Burn »), en passant par le folk apaisé (un « Pining Away »qui invoque leNeil Young champêtre d’Harvest Moon ou le doucement allumé qui éclaire « Challenger »).
C’est avec son habituelle aisance déconcertante queFoster parvient à créer une nouvelle faille temporelle nous projetant au siècle dernier, à l’entre-deux guerres. Comme à chaque fois le charme « suranné » de ses chansons réussit à nous prendre dans ]ses filets, sa voix nous envoûter.
Ce qui semble démarquerce disque des autres disques, outre sa longueur, c’est la bienveillance qui en émane, que ce soit quand elle expérimente ou quand elleva sur des terrains connus, balisés par ses propres soins. Fosterirradie d’une lumière intérieure finissant presque par nous éblouir et faisant découler del’album une spiritualité qu’on percevait précédemment surI’m A Dreamermais qui, ici, prend une ampleur inédite, contaminant chaque chanson et parvenant à unifier le tout.
On en ressort apaisé avec un arrière-fond d’émerveillement permanent, transporté dans un monde singulier et enchanteur, comme si Lynch s’éclipsait sur la pointe des pieds pour laisser place à Browning et son cirqueFreaks. Ça pourrait être effrayant maisil y a une telle empathie pour son sujet que lorsque la dernière note se termine, il nous faut quelques bonnes minutes avant de réintégrer le monde moderne. Faithful Fairy Harmonynous offre un temps suspendu en apesanteur on ne saurait jamais assez remercier Foster de ce superbe cadeau.
Jeff Tweedy n’a plus besoin de présentation. Le leader de Wilco est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants songwriters de sa génération. En plus d’être un musicien hautement compétent, le monsieur est un parolier doué qui a toujours su bien lire la société dans lequel il vit : les États-Unis d’Amérique, ce pays, pour employer un euphémisme, en net déclin intellectuel .
Avec Wilco, Tweedy a fait paraître d’excellents albums au cours des dernières années. Que ce soit The Whole Love(2011), Star Wars (2015) et Schmlico (2016), la créativité de la formation n’a jamais fait défaut, et ce, malgré les années qui s’accumulent au compteur. Wilco est l’un des rares groupes à demeurer pertinent après autant d’années de galère.
En mode solo, Tweedy, aujourd’hui âgé de 51 ans, avait lancé Together At Last (2017); une rétrospective du corpus chansonnier de l’artiste en format acoustique. Un disque correct, sans plus. En 2014, le père de famille a travaillé avec son fils Spencer à la batterie afin de nous offrirSukierae. Et c’est aujourd’hui que le vétéran nous propose son premier véritable album solo intitulé judicieusement WARM). Des proches du créateur se sont joints à l‘enregistrement : fiston Spencer, Glenn Kotche (batteur de Wilco) et Tom Schick (coréalisateur des trois dernières productions du groupe).
Réalisé et enregistré par Tweedy dans son mythique studio situé à Chicago, ce WARM est une production qui fait du bien à l’âme. Tout au long de ces 11 chansons, le rockeur se positionne comme le miroir de notre conscience. Tweedy doute, se met dans la peau de ses compatriotes apeurés par l’ampleur du désastre « trumpien » en faisant preuve d’une admirable empathie. Chose immensément rare en ces jours narcissiques et ultras compétitifs.
Musicalement, l’artiste demeure dans ses pantoufles, offrant son folk rock habituel, juste assez inharmonieux et magnifiquement mélancolique, à des fans conquis d’avance. Ce n’est rien d’inventif, mais ça fonctionne toujours parce que Tweedy est un chansonnier immensément talentueux. S’ajoute à ce « don », une forte compétence à bien réaliser et produire sa musique. Tweedy met sa voix à l’avant-plan dans le mix afin d’accentuer la couleur « intimiste » qu’il veut donner à ses chansons.
Dans « The Red Brick », le bonhomme nous rappelle qu’il est encore capable de brasser la baraque en nous offrant des salves de guitares dissonantes et bien grasses. L’épuration sonore dans « How Hard it is for a Desert to Die » captive totalement l’attention. Les ascendants country dans « Warm (When The Sun Has Died) » sont superbes et la conclusive « How Will I Find You « provoque la chair de poule.
Bref, ce grand de la chanson US semble être incapable de rater son coup. Dans cette période où le marketing est élevé au rang d’art, où l’argent est devenu le nouveau « Dieu », Jeff Tweedy nous rappelle que l’empathie et la chaleur humaine sont essentielles. Ne serait-ce que pour se sentir humain encore un peu, si possible…
Lindsey Jordan est une artiste folk-grunge récemment signée qui a affublé son groupe du sobriquet de Snail Mail. Voilà un terme qui convient parfaitement au répertoire du combo, un rock indolent et minimaliste qui s’ajouterait aisément à une cure d’antidépresseurs mais dans sa phase ascendante.
On pense, à cet égard à Waxahatchee (en moins organique) mais on ne peut nier à la chanteuse une force d’évocation dans sa voix. Celle-ci peut transfigurer ce spleen ambiant qui se colle souvent à la peau.
La demoiselle est encore post adolescente et, toute bien dégrossie qu’elle puisse être, une langueur gémissante se fait parfois un peu trop jour.
Entre Dinasaur Jr et Liz Phair, Lush s’écoutera sans déplaisir avec des titres comme « Pristine » ou « Golden Dream » ; restera à Jordan de se frotter à des climats moins indolents.
Cette jeune Australienne de 19 ans, après des passages en première partie de Frightened Rabbit, quelques « singles » et EPs encensés par la scène de Brisbane et plusieurs nominations aux trophées locaux, sort Thick Skin, son premier album. Il s’agit d’un opus de de dream pop atmosphérique, souvent éthérée (« Phone Me ») ou garnie d’effets de guitares dans ses chorus (« Strangers »).
Sa voix planante survole avec aisance les six cordes saturées et son n’est pas sans évoquer des artistes comme Mazzy Star ou Widowspeak.
Tia Gostelow fait preuve d’adresse pour faire cohabiter sa vision de la musique finalement très pop, mais interprétée à la manière d’un chanteuse plutôt folk qui laisse passer une émotion brute et sans fards à travers son chant.
Les chansons, sont solide et, sans temps mort ; elles s’imbriquent parfaitement pour faire de Thick Skin un « debut album » qu’on ne peut pas passer sous silence et qui devrait faire parler de la chanteuse au-delà de son Queensland natal.
En 2014, My Brightest Diamond avait, enfin, percé un certain plafond avec son dernier album This Is My Hand. Dès lors, la popularité de Shara Nova a atteint un nouveau pic avec sa pop baroque et arty et,plus tard, la new-yorkaise est de retour avec son sixième opus A Million and One.
Cette la taence a été mise à profit car My Brightest Diamond continue d’avancer en mettant un pied sur des territoires plus dansants. Le premier morceau « It’s Me On The Dance Floor » en attestes avec une atmosphère beaucoup plus pop et entraînante qu’à l’accoutumée. L’exploration se poursuivra d’ailleurs avec les accents hip-hop de « Rising Star » et « Champagne ».
L’art-pop de Shara Nova atteint de nouveaux sommets et on la sent plus requinquée et plus ambitieuse comme sur l’intense « A Million Pearls » mais aussi sur les rythmés « Sway » et « Supernova ».
Moins baroque que ses prédécesseurs et plus accessible qu’autrefois, elle n’oublie pas pour autant sa touche magique qui a fait sa réputation notamment à l’écoute de « You Wanna See My Teeth » et de « Supernova ».
Après un envoûtant « Mother », elle terminera sur une note des plus funky , un « White Noise » résolument fantomatique qui la montre néanmoins prête à envahir les dancefloors.
On ne peut pas parler d’Eiko Ishibashi n’est pas une inconnue puisqu’elle accompagne Jim O’Rourke depuis belle lurette. La Japonaise publie ici son sixième album, The Dream My Bones Dream.Elle y explore, comme elle l’a toujours fait, un grand nombre de recoins de la scène indie d’une manière qui se veut exhaustive.
Dès l’entame, avec des titres allant de « Prologue: Hands On The Mouth » à « To The East », l’interprétation d’Eiko Ishibashi vise à nous immergerdans une multitude d’influences musicales, mais ceci sans nous y noyer.
Même si un cap est tenu, The Dream My Bones Dream ira chercher du côté de Stereolab sur les accents art-pop d’ « Agloe » ou d’autres plus robotiques avec « Iron Veil ». Ce sixième disque sera ainsi riche en surprises de tous genres dans lequel le duo nous offre un condensé de les talents.
Entre des moments solennels comme l’instrumental religieux joué à l’orgue de « Silent Scrapbook » et d’autres plus krautrock avec le sinistre « Tunnels To Nowhere », TheDream My Bones Dream déclenche des sensations du début à la fin ; le rêve et le frisson sur « A Ghost In The Train, « Thinking » des pleursavec a ballade piano/voix qu’est « To The East ».
The Dream My Bones Dream est le genre de disque qui tournera sur une platine pendant un petit bout de temps et c’est très bien comme ça.
Il y a trois ans, Jacco Gardner avait fait parler de lui avec son second album Hypnophobia contenant, entre autres, un tube « Find Yourself ». Le musicien hollandais s’était ainsi imposé comme un des fers de lance de la pop psychédélique et, trois ans plus tard, il vient d’en pousser les limites un peu plus loin avec son troisième disque intitulé Somnium.
Cette fois-ci Jacco Gardner se veut plus ambitieux avec un opus dans lequel il s’efforce de mettre à plat ses phobies, en particulier le sommeil.
L’instrumentation en est majoritairement analogique, ce qui lui donne la tonalité d’une bande-son rétro où alternent onirisme pur et démonstrations plus cauchemardesques.
C’est d’ailleurs sur cette humeur que s’ouvre le disque avec un « Rising » qui débute le bal. Ensuite, on est accueilli dans un univers parallèle avec des compositions mystiques comme « Langragian Point », « Past Navigator » et autres « Eclipse ».
Somnium bouscule dans la foulée alors les codes de la musique et se met à flirter avec des influences littéraires et cinématographiques comme pour composer une ode à la rêverie.
Ainsi se révèle l’univers du musicien ; que ce soit sur « Tain » , les sonorités orientales atypiques de « Privolva », la pop lumineuse de « Levania » ou celle, plus obscure, de « Pale Blue Dot ».
Toutes les sonorités sont mises à contribution pour faire du LP une bande-son immersive permettant au musicien hollandais d’alimenter et, peut-être, de conjurer des névroses, phobies dans lesquelles il ne sera pas inintéressant de se plonger.
Laura Kidd est une artiste productrice anglaise qui exerce ses talents sous le patronyme de She Makes War. Brace For Impactest son quatrième album et il exemplifie ce qu’est le rock indépendant de manière condensée tout en tenant compte de sa versatilité.
Le disque démarre par « Devastate Me », premier « single » tiré de l’album. C’est, en effet, un titre, dévastateur avec ses guitares tapageusestout comme un « London Bites » tendu comme il n’est pas permis. C’est la voix de Laura Kidd, tour à tour sauvage, cristalline et chaleureuse, tiendra lieu de transition pour un disque qui amorcera ensuite des chemins détournés.
« Strong Enough » en est la pierre angulaire, ballade tendre de toute beauté qui révèle à quel point Kidd est également une compositrice hors pair. Le disque se répartira, ensuite, entre rock vigoureux (« Undone ») et mélodies apaisées comme un « Then The Quiet Came » on ne peut plus lustré.
Mais il ne faut pas uniquement s’attarder à l’art compositionnel de Kidd. Brace For Impact est également un opus subtilement arrangé que ce soit dans les titres les plus lumineux (« Fortify ») ou un retour au gros son (« Weary Bird »).
Cet éclectisme rappellera un peu le les années 90, plus précisément The Breeders ; efficace et enchanteur, impératif et sophistiqué voilà un album qui fonctionne à pleins gaz tant il marie à la perfection juste équilibre entre pop et grunge.
Un an après la sortie de Sleeping Through War, All Them Witches, revient avec un cinquième album en grande partie autoproduit et enregistré près de Nashville. Éponyme, l’opus se veut plus abouti et, titre oblige, plus intime.
Accompagné de Rob Schnapf au mixage (Beck Elliott Smith, Kurt Vile), le groupe a redéfini son identité musicale en l’allégeant :.exit la fureur primaire des grosses guitares, et place à des jams plus fluide et à des boogies monstrueux.
Aux antipodes de leurs premières productions, ATW est donc un album d’une élégance remarquable, aux lignes mélodiques épurées qui subliment la voix de Charles Michael Parks Jr et tissent plus de proximité avec l’auditeur.
On retiendra, à cet égard, une vibrante complainte, « Workhorse », ou un « Half Tongue » aux nappes d’orgues bien placées. Le single « Diamond » cristallisera alors cette riche palette d’émotions et dispersera quelques notes lumineuses, tel un prisme dans une chambre noire.
Contrastes aussi que la pesanteur de schémas de six cordes répétitifs et climats plus légers comme sur un « HTC » qui effleure le post-rock mais aussi affirmations des urgences quand il s’agit de gérer les guitares saturées et les riffs métalliques tendus et brulantes (« 1st vs 2nd ») ou « Rob’s Dream »)
ATW allie ici puissance et subtilité ; registres tiraillés et réalisations solaires ne reste qu’à souhaiter qu’un tel épanouissement continue de marier à merveille expérimentation et irradiation.