L’imagerie de la « gymnastique des yeux » a quelque chose de surréaliste : elle est très visuelle, mais en même temps, elle va au-delà de la physique et, en tant que telle, elle possède une qualité de dessin animé. Ce surréalisme s’étend également à la pochette : qu’est-ce que nous regardons exactement ici ? Il s’agit du premier album d’un duo lituanien composé de Viktorija Damerell et Gailė Griciūtė, qui se sont réunis pour la première fois en 2018.
Et c’est ainsi que ces indices sont également représentatifs de la musique : les mots sont étranges, fragmentés, abstraits – mais aussi pas, avec des images improbables et incongrues, et le premier morceau de l’album, ‘Eye Gymnastics’ pourrait être une sorte de signature pour le duo. Il est clairsemé, les rythmes sont subtils, distants, discrets, mais insistants, et ils pulsent dans des tourbillons de synthétiseurs semi-ambiants, à travers lesquels une voix distante intonise rêveusement des abstractions lyriques. Si le surréalisme a une certaine préoccupation pour les rêves et le subconscient, alors sur Nothing Supernatural, Eye Gymnastics pille ce royaume intérieur pour s’en inspirer et le rendre de manière à rester dans le flou, la focalisation indistincte de l’état de fugue, les déconnexions et l’étrangeté des rêves, et recréer la façon dont ces sensations et images font écho, de manière obsédante, dans les heures d’éveil qui suivent ces expériences nocturnes les plus vives.
Le titre semble vaguement ironique dans le contexte des traitements vocaux déconcertants et disloqués de l’inquiétant et sinistre « Tree Tops », où un rythme industriel glitchy s’impose, épais et plombé. Mais ses pulsations sombres sont autant le produit d’un esprit troublé que de quelque chose de surnaturel.
Bien qu’il y ait quelques tendances significatives vers l’ambiance et les dérives hypnotiques imprégnées d’un sentiment d’ailleurs, ailleurs, l’électronique hargneuse et grondante domine un certain nombre de morceaux, avec « Sadness and Joy » qui est vraiment très lourd, avec une basse glauque qui fouette, siffle et pétille. You Destoy Me » incarne cette noirceur industrielle : la batterie sombre s’active avec la tension palpable de » March of the Pigs » de Nine Inch Nails, tandis que le chant multicouche murmure et fait écho à de sombres pensées. La pulsation implacable de » Let it In » est plus dure et plus rude encore, la grosse caisse est un grondement sourd, la caisse claire – telle qu’elle est – un fracas de distorsion. Vous ne voulez pas le laisser entrer : non, vous voulez le faire taire, le faire disparaître. Ce n’est pas agréable, c’est inconfortable, claustrophobe, suffocant. Spéculaire et sinistre, « Bitter Night » fait le lien entre Young Marble Giants et Throbbing Gristle.
C’est troublant, c’est comme si l’on entendait le monologue interne d’une personne. Ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler une expérience » racontable « , du moins pour la majorité d’entre eux. Ce n’est pas de l’horreur pure et simple, mais c’est glaçant, stimulant, inquiétant, déstabilisant. Mais c’est aussi fascinant, hypnotique, et c’est un début tout à fait remarquable.
***1/2