Quel paradoxe que l’album le plus ambitieux de ces tenants de l’expérimentation que sont Xiu Xiu soit fait de reprises de Nina Simone ! En même temps, cette dernière était, tout comme Jamie Stewart, une interprète audacieuse, remettant en cause les frontières entre la jazz, la pop, le classique et le folk avec un aplomb incroyable. Stewart avait de la même manière excellé à traiter les genres comme des choses malléables, positionnant en permanence son goût pour la pop mélodique en opposition avec ses tendances avant-gardistes. Avec Nina, lui et ses partenaires ont confectionné un album dans lequel l’esprit de Simone se reflète amoureusement au travers du prisme de Xiu Xiu.
Le groupe attaque avec sa peut-être traduction la plus abstraite, « Don’t Smoke In Bed », reprise dans laquelle le combo démantèle complètement cette « torch song », remplaçant le piano initial plein de langueur par des percussions sombres et des cuivres sonnant comme une procession funéraire de jazz New Orleans. Les vocaux de Stewart sont à peine audibles, oscillant tout au long de la chanson entre vulnérabilité et menace. La plus grande partie de Nina présente ce même augure et les vocaux assourdis de Stewart concourent à donner à l’album cette vibration étrange et intime. « Wild As The Wind » est ainsi ré-imaginé en valse menaçante avec un saxo en « freeform » offrant un contraste saisissant qui complémentera pourtant le phrasé démentiel de Stewart.
Tout au long de l’album, ce dernier exagérera sa diction presque muette et atonale, lui donnant une nature indisciplinée. Celle-ci s’intégrera à merveille avec les arrangements les plus tantriques de certaines compositions comme « See Line Woman » ou le dissonant « Pirate Jenny ». Avec une voix qui intervient comme une force disruptive, les arrangements tiendront pourtant l’ensemble. Les musiciens avant jazz Tim Berne, Tony Malaby, Mary Halvorson et Andrea Perkins suivront ainsi la vision dérangée du chanteur tout en la canalisant. Au total, Nina sera comme l’écoute d’un disque où les artistes se catapultent l’un contre l’autre, comparent leurs tendances expérimentales et les éparpillent, mais parviennent à trouver clarté parmi tous les fragments.




