Kamron Saniee: « Euphoric Studies »

3 mai 2021

L’artiste new-yorkais Kamron Saniee a qualifié sa musique électronique de « techno expressionniste abstraite ». Son parcours musical reflète celui d’artistes comme de Kooning, qui ont utilisé leur formation classique en peinture et en dessin comme tremplin vers des œuvres moins représentatives. Saniee est un violoniste et compositeur classique qui a même récemment donné des récitals de musique classique occidentale et persane. Quelque part, il a réalisé que la musique électronique pouvait toucher un public plus large et s’est intéressé aux sonorisations en direct et à la synthèse spatiale. Toutes ces influences se retrouvent sur l’étonnant nouvel EP de Saniee, Euphoric Studies. Avec un tel bagage, on pourrait s’attendre à ce que le travail de Saniee paraisse anodin ou académique, mais le titre de ce maxi est littéral.

Il s’agit d’une musique expérimentale intelligente qui connaît le genre d’euphorie que procure un soundsystem de club bien réglé. La composition de « Rhythm Force » ressemble à celle d’un jack track, mais ici la caisse claire est faite de bruit blanc et la grosse caisse est si rapide et insistante qu’elle pourrait presque être un drone claquant et rapide « Amnion », quant à lui, sonne comme si Rrose s’essayait à un morceau de footwork, une plaque étonnante de techno inspirée du Mills College. Sur « Euphoton », des percussions techno profondes se heurtent à une section de cordes synthétiques qui s’enflent dans une tonalité difficile à placer, ressemblant moins à une boucle qu’à l’inspiration et à l’expiration d’un orchestre en équilibre. Le design sonore d’Euphoric Studies est capiteux mais immersif, plaçant Saniee dans une classe rare de producteurs, comme Minor Science ou Rian Treanor, qui utilisent des techniques de composition et de production obliques au service de morceaux de club futuristes qui font appel autant à la tête qu’au corps.

***1/2


Steve Hauschildt : « Nonlin »

17 décembre 2019

Steve Hauschildt poursuit la forme de mue constatée l’an passé sur le très bon Dissolvi qui l’orientait vers une techno minimaliste, misant beaucoup sur l’alliage entre des rythmiques précises et parfaitement dosées, d’une part, et des plages chromatiques. Entièrement instrumental (tandis que son prédécesseur invitait deux chanteuses, sur deux morceaux), Nonlin capitalise donc sur les très bons moments recensés l’année dernière, ajustant impeccablement ses éléments et les durées de ses titres.

Jouant à l’évidence sur la dimension spatiale de sa musique (réverbération des nappes, travail autour de l’écho, quasi-absence de basses) et sur la forme d’invitation au voyage stellaire qu’elle provoque (le visuel de pochette y aide aussi), Steve Hauschildt déploie sur l’album une atmosphère plutôt apaisée, permettant d’apprécier la précision des composantes (« Cloudloss », » Substractive Skies », « The Spring In Chartreuse »).

Son souci de la qualité des matériaux est constant, même lorsque les rythmiques s’avèrent plus marquées (« Attractor B) ». Parfois, cependant, l’Amaricain se retrouve à frôler l’emphase qu’on regrettait par le passé, mais parvient, au final, à, d’une part, contrôler ses éléments pour en faire ressortir une polyrythmie bien troussée et, d’autre part, réactiver en fin de titre des apports mélodiques (le morceau-titre).

Conviant la violoncelliste Lia Kohl sur « Reverse Culture Music », Hauschildt croise ses pizzicati et son jeu à l’archet avec des rythmiques tapotantes et des petites bribes chamarrées et cristallines. Très belle réussite, ce morceau confirme la capacité du musicien à combiner astucieusement divers concours, dans une veine à la fois minimale (peu d’effets, vraie volonté de laisser l’auditeur profiter de chaque matière) et fournie. Au-delà de cette piste-ci, c’est donc bien l’album tout entier qui mérite d’être salué et de nous faire espérer voir Steve Hauschildt définitivement entériner sa belle progression.

***1/2


Rod Modell: « Captagon »

30 juillet 2019

Les beats de Rod Modell tournent autour de 140bpm sur son début en solo, Captagon. Auparavant, l’artiste nous avait gratifiés d’un Autonomous Music Project qui avait également allègrement franchi cette même barre de son avec une musique rappelant  les années 90, époque où le haut du pavé était occupé par Monolake, Matrix et Erosion (T++), à savoir une musique techno profonde et hypnotique.

Cette approche se veut ici comme une bouffée d’air frais et d’énergie qui, en boostant ainsi le tempo, sert à véhiculer sentiment d’urgence qui nous sortirait de notre rêverie pour nous entraîner vers une belle tranche de mysticisme mâtiné d’aérobique.

Si on ajoute des références ces claires à la scène de Detroit, la manière sont Modell s’empare de ces dynamiques subaquatiques place automatiquement la barre de Captagon au plus haut et fait de ce nouvel opus la meilleure production qu’il a réalisée depuis un bon nombre d’années.

****


Test Dept.: « Disturbance »

24 juin 2019

Test Dept. est un des pionniers de la scène industrielle britannique puisque Tactics For Evolution date de plus de 20 ans. Il était donc temps de saluer le retour du tandem et de son Distrurbance.

Si les enregistrements de la fin des années 1990 avaient été marqués par les sonorités techno, breakbeat ou house, on sent immédiatement ici un retour aux origines ; mais comme pour leurs performances récentes, ils ont su mêler les percussions métalliques et les bourrasques bruitistes et martiales avec une production digitale de pointe. En effet, les musiciens sont allés piocher dans des archives des années 1980 certaines idées et les ont faites évoluer vers un son contemporain.  
Épaulés par une belle brochette d’invités, le projet en revient à un son industriel à l’ancienne : machineries, densité noise, martèlement sur plaques de métal, samples symphoniques… On pense aussi bien à Laibach (les cuivres de « Speak Truth to Power »), à Front 242 (la pulsation de « Full Spectrum Dominance ») ou même à Coil (la dévastation qui entoure « Debris »).

Mais c’est surtout vers la période The Unacceptable Face of Freedom (1986) que le groupe semble s’en retourner. Pas aussi enragé que les débuts (Beating The Retreat, Ecstasy Under Duress, 1984), cet album avait su conjuguer la puissance percussive à des arrangements plus électroniques et travaillés, et des ambiances totalement apocalyptiques.


Disturbance s’inscrit dans cette veine, et les ruines de la société anglaise laissées par l’ère thatchérienne semblent entrer en écho avec la vision qu’ils donnent du monde actuel, et de l’Angleterre en particulier.
Le premier morceau fait figure de manifeste : «  Speak Truth To Power »), et les paroles sont claires, et l’engagement politique de Test Dept. contre l’aliénation capitaliste et les inégalités sociales n’a pas fléchi. Leur musique en appelle toujours autant à la résistance et à la contestation.
Comme à leur habitude, les beats prédominent, à la limite du dancefloor et de l’EBM. Le son est profond, massif, piochant dans des banques sonores riches mais mettant souvent en avant une dimension chorale, guerrière et grandiose. L’aspect tribal n’est pas mis de côté non plus (« Gatekeeper ») et le tout reste aussi noir qu’on pouvait l’espérer, jusqu’à un final plus lumineux (le plus optimiste « Two Flames Burn »). Chaque pièce musicale est un hymne en elle-même, et on appréciera aussi les morceaux plus atmosphériques (« Gatekeeper », « Debris ») qui font beaucoup pour souligner le climat menaçant, tendu et dystopique qui se dégage de l’ensemble.

***1/2


Joel Mull: « Arrow Of Time »

19 juin 2019

Le producteur suédois Joel Mull n’est pas inconnu des amoureux de techno. Son quatrième album Arrow Of Time, ne déroge pas à la règle, mais il est enrobé d’un sens de la mélodie qui manque depuis quelques années au genre.

Arrow Of Time est une invitation au voyage, nous transportant sur des rythmiques hypnotiques et des nappes fluviales, créant des atmosphères propices à danser sur des tessons de coton.

C’est le genre d’album qui surprend, de par sa pureté et son esthétique musicales, marchant sur les pas des disques qui contractent le temps et imposent leur énergie, gorgée de vibrations et de tribalité suave.

La douce puissance qui s’en dégage est enivrante de par ses roulements constants et ses cascades moelleuses, appuyés par des kicks tapant du pied sur des dancefloors carnivores. Techno jusqu’au bout des snares, Arrow Of Time fait preuve d’une efficacité captivante, gorgé de sensations multiples et de décrochages dimensionnels tripants. Superbe.

***1/2

 


S.H.I.Z.U.K.A.: « Infinite Eyes

1 mai 2019

S.H.I.Z.U.K.A. frappe fort avec la parution de son nouvel opus Infinite Eyes, découpé en 19 plages sobrement intitulés Haiku, suivis du numéro de piste correspondante.

Plus dépouillé que jamais, à l’image des poèmes japonais auxquels il fait référence, Infinite Eyes enchaine les trouvailles mélodiques et les axes rythmiques, se débarrassant du superficiel pour accéder à nos tympans sans emprunter de sentiers de traverse.

Il se dégage une pureté de cet opus, qui n’est pas sans rappeler les premières heures de la scène minimal tendance  Plastikman où abstraction mentale et impulsions charnelles se chargeaient de nous électrocuter sur place, à coups de fourmillements et de doux vrombissements glissant sur les pores de notre enveloppe charnelle.

S.H.I.Z.U.K.A. aime escalader les espaces en suspension, jouant avec les notions de profondeurs et de superficie, d’éloignement et de rapprochement, traçant des axes à l’équilibre ténu qui voit la densité capable de s’effondrer sur elle même, pour passer de la lumière à la noirceur et vice versa. Un album d’intelligent techno qui renoue avec une certaine tradition, tout en anticipant l’avenir. Terriblement addictif.

***1/2


Purl: « Violante (Lost in a Dream) »

7 avril 2019

Le prolifique producteur suédois Purl propose une nouvelle déclinaison de ses musiques mêlant ambient,  dub et techno.

Nourri des sons de la nature depuis toujours, Ludvig Cimbrelius qui officie sous le nom de Purl vient de sortir son nouvel album et c’est encore une fois un très beau moment dédié à la méditation… mais pas seulement.
Comme le dit son auteur, le son de Purl est étroitement lié à la nature organique, profonde et vivante.

Cela s’avère flagrant dans une production où les field recordings, parfois, peu reconnaissables, s’entremêlent délicatement avec les nappes ambient.
Sur la fin de l’album, des morceaux aux beat techno légers font leur apparition mais tout en gardant ce côté très deep dans les ambiances.
Pour clôturer le tout, trois variations seron t judicieusement proposées pour donner parure au titre éponyme, « Violante ».

***1/2