À l’instar de la pop la plus efficace, le septième album d’Alicia Keys, Alicia, inscrit ses observations sociopolitiques dans un contexte personnel, se dépouillant pour révéler l’interconnexion de la vision qu’elle peut avoir du monde et d’elle-même . L’intro de facto de l’album, « Truth Without Love », donne le ton avec une complainte vaguement politique sur la façon dont la vérité est devenue insaisissable. L’accent est ensuite immédiatement mis sur « Time Machine », qui passe de notre société post-vérité à l’autoréflexion, ou « la peur de ce qui est dans le miroir » f(ear of what’s in the mirror), ce qui suggère que nous ne cherchons pas à nous consoler dans la nostalgie d’une époque plus simple, mais dans un esprit libre.
Parfois, l’optimisme de Keys sur l’état du monde est naïf, comme un écho d’une époque où l’espoir et le changement semblaient possibles, comme sur « Authors of Forever » au climat rêveur, avec son efrain persistant disant que « ça va ». Mais ce sentiment de positivité déplacée est compensé par la franchise avec laquelle Keys chante la violence policière dans « Perfect Way to Die » et les soi-disant « travailleurs essentiels » (essential workers) dans « Good Job », dont le sentiment d’espoir est teinté d’un profond désespoir. C’est alors que l’on se rend compte que l’optimisme de Keys n’est pas seulement pollywoodien, mais qu’il est du même ordre que celui que l’on ressent lorsqu’on ne sait tout simplement pas quoi faire d’autre.
Pourtant, les arrangements de piano et de voix de ces deux derniers morceaux – bien qu’ils soient efficaces pour mettre en valeur le contenu lyrique – semblent trop conservateurs pour le sujet choisi. Et lorsque le piano signé par Keys est échangé contre une guitare acoustique, comme c’est le cas sur un trio de chansons consécutives dans la partie centrale de l’album, il en résulte une absence de forme néo-soul qui, généreusement, pourrait être décrite comme de la « musique d’ambiance ». La voix de Keys, au moins, se marie bien avec celle de Miguel sur « Show Me Love » et de Khalid sur « So Done » ; en revanche, elle est beaucoup trop proche, par son timbre et sa tonalité, de celle du chanteur suédois Snoh Aalegra sur « You Save Me ».
Parmi les nombreuses collaborations d’Alicia, les plus intéressantes sont celles qui s’écartent du style habituel de Keys. Le dub « Wasted Energy », avec l’artiste tanzanien de bongo flava Diamond Platnumz, inspire à Keys une performance vocale pleine de bonheur qui rappelle Sade, et ses vers sur « Me x 7 » – « I should push this three o’clock to no o’clock ’cause I don’t wanna disappear » – ont un franc-parler qui complète le flow éclectique du rappeur de Philadelphie Tierra Whack.
Alicia est bien intitulé, car il revient largement aux fondamentaux après le vaguement expérimental Here. Comme cet album, celui-ci n’a pas les puissantes accroches des premiers efforts de Keys, mais elle trouve un heureux équilibre entre les ballades au piano qui l’ont rendue célèbre, les jams R&B à base de kick drum vers lesquels elle gravite si souvent, et son penchant plus récent pour des titres moins commerciaux. « Time Machine », d’inspiration funkadélique, est à la fois rétro et futuriste, alternativement sexy et sombrement atmosphérique, tandis que « Underdog » et « Love Looks Better » mettent à jour le modèle de « No One » en y ajoutant respectivement une ambiance insulaire et des synthés en pâmoison. Le fait qu’Alicia soit à la fois son album le plus accessible et le plus avant-gardiste depuis des années semble approprié pour une artiste qui, jusqu’à récemment, a fait carrière en jouant les choses le plus à fond possible.
***1/2