Gia Margaret: « There’s Always Glimmer »

9 juillet 2019

Gia Margaret avait fait ses premiers pas en 2014 avec un premier EP intitulé Dark/Joy. Suite à cela, l’auteure-compositrice-interprète venue de Chicago a continué de monter en puissance avec des prestations scéniques qui ne laissaient personne de marbre. Il faudra attendre quelques années pour que la musicienne publie son premier album intitulé There’s Always Glimmer sur lequel, au travers de ses douze compositions autoproduites, Gia Margaret reste dans une zone de confort pour lemoins attachante en nous offrant de sublimes ballades indie folk minimalistes et touchantes. Avec quelques relents slowcore et de petites touches électroniques discrètes, la native de Chicago sait nous émouvoir en ouvrant grand les portes de son jardin secret sur des morceaux à l’image du titre introductif nommé « Groceries » mais également des inspirations dignes de Marissa Nadler et de Sharon van Etten sur « Birthday » et sur « Goodnight ».

There’s Always Glimmer est un disque de rupture mais la qualité d’écriture de Gia Margaret ira élever un peu plus le niveau. Entre la ballade pianistique aux saveurs électroniques de « Smoke », la vaporeuse « In Normal Ways » en passant par les dépouillés « Looking » et « Exist », la magie opère à chaque seconde tandis que l’interprétation de la mamzelle nous laisse sans cesse sans voix. Le premier disque qui contient aussi d’autres perles comme « For Flora » et « Wayne » arrivera à nous faire relativiser sur le comportement humain grâce à ces ballades angéliques et riches en émotion.

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Big Bend: « Radish »

30 juin 2019

Nathan Phillips, l’homme derrière Big Bend, s’inspire, pour créer, de son quotidien ; e de son boulot dans un café, laissant les mélodies de la radio du bar s’imprégner en lui pour les chantonner discrètement lorsque les clients ne le regardent pas, et improviser pendant les silences. Radish est le premier album de Big Bend où Phillips se risque à chanter. Et on se demande pourquoi il ne l’a pas fait plus tôt ; sa voix douce n’est pas sans rappeler le Mark Kozelek des débuts, avec davantage de retenue. Lui qui s’était auparavant illustré au sein d’une musique instrumentale beaucoup plus proche d’un minimalisme gorgé d’un psychédélisme assez abrasif, le voici à présent à écrire des chansons calmes, aux sonorités douces, qui développent un écosystème passionnant – les instruments respirent, les timbres s’invitent et puis repartent…

On pense parfois à un Mark Hollis aux arrangements plus luxuriants. Radish se ressent avant tout comme une expérience de studio. Nathan Phillips, semble avoir envisagé les différents segments de son album au cours de sessions studio séparées les unes des autres (par groupes de 4 musiciens à la fois, si on en croit les infos à disposition), ce qui est à la fois super et frustrant. Exemples: « Swinging Low » et « Four », qui font intervenir la violoncelliste Clarice Jensen et le gourou new age Laraaji (avec un sample vocal de la mère de Nathan, chanteuse d’opéra, sur la première des deux pistes), laissent bien deviner qu’il s’agit de parties coupées de sessions bien plus longues. Et si ce sont deux morceaux superbes, on assiste à regret à l’arrêt prématuré de « Four », qui développait une stase parfaitement reposante, qui aurait bien pu durer 10 minutes de plus, et qui se voit obligée de conclure brusquement.
Mais il s’agit là de plaintes secondaires ; s’il est vrai que Radish peut laisser par moment l’impression d’un patchwork de sessions différentes (cas étrange de ce « 12′ – 15 », brève pièce électroacoustique contemplative avec Susan Alcorn, fort belle mais curieusement placée entre deux chansons « pop » qui auraient tout aussi bien pu se suivre), chacun de ces segments est d’une beauté paisible qui réchauffe l’âme.

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Max Santilli: « Surface »

23 juin 2019

Édité dans la collection « International » du label Into The Light Records, ce premier album solo de Max Santilli repose sur des archives d’enregistrements à domicile réalisés entre 2016 et 2018 avec guitares, synthés et instruments acoustiques.

Surface est un disque légèrement différent de l’album Scenes que le multi-instrumentiste australien a enregistré il ya un an avec Jacob Fugar dans le duo Angophora. Moins d’instrumentation électronique, une dimension baléarique toujours présente, mais dans une atmosphère où prédominent les instruments et percussions traditionnelles dont joue Santilli.

il y a beaucoup de douceur et de sérénité dans ces plages ensoleillées par la guitare (« Watching », « Crossoveer »).

 

On y trouvera des réminiscences d’autres multi-instrumentistes, tels que Mickey Hart ou Nana Vasconcelos (« Vision »), un rappel aussi des plages ethno-ambient de Robert Rich (« Crb »).  Et on appréciera un univers minimaliste lo-fi  qui enchantera par la simplicité et l’émotion qu’il dégage.

***1/2


Ellicist : »Point Defects »

30 mai 2019

Comme souvent, lorsque deux musiciens actifs par ailleurs (au sein de groupes, ou en solo) se retrouvent pour constituer une nouvelle formation, c’est le label qui héberge leurs autres projets qui publie la résultante de cette rencontre. C’est ainsi qu’Ellicist voit son premier album sorti par le label berlinois, attentif aux carrières parallèles de deux intervenants familiers de cette structure : Florian Zimmer fut membre de Lali Puna aux débuts du groupe avant de rejoindre notamment Saroos, pendant que Thomas Chousos, sous le nom de Tadklimp, multiplie les participations aux albums de Fenster, Slow Steve ou Rayon.

Avec de tels héritages, on imaginait plutôt un disque de pop, légèrement matinée d’électro. Surprise, donc, à l’écoute de Point Defects car il s’agit, en vérité, d’une proposition électronique minimaliste, avec souffles, touches de synthé impressionnistes, accords pastels, perturbations des bribes mélodiques et mini-cut-ups.

Au-delà de l’étonnement de trouver un tel registre sur Morr Music, qui renoue là avec des sonorités que le label pouvait accueillir dans ses premières années, au début du siècle, on est en mesure de goûter les huit morceaux d’un album limité à vingt-sept minutes. On tient d’ailleurs ici une limite de ce premier effort, probablement trop bref dans son ensemble, et livrant des titres pas suffisamment longs.

Restent néanmoins l’intérêt de la découverte et la capacité d’Ellicist à se renouveler, y compris sur cette petite demi-heure. En témoigne, par exemple, les accointances quasi-dub des rythmiques d’ « Ihnen Steg » ou les percussions semblant être frappées à la main de « Ponds & Graves ». Plus généralement, on gardera en mémoire une approche non ostentatoire, marquée par une forme de délicatesse dans le toucher, qui pourrait peut-être gagner à se bousculer un peu mais qui séduit malgré tout.

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Morton Gordon: « Chamber Science »

21 mars 2019

Véritable fourre-tout sonore dans le sens le plus noble qu’il peut revêtir, fourmillement d’idées et d’expérimentation sans rupture brutale, Chamber Science navigue entre synthétiseurs stellaires, downtempo hanté, tourbillons acidulés et incursion free-weird. Son auteur est Morton Gordon, un bricoleur de sons qui déniche des samples dans sa collection de vinyles, dans des films de monstres et même des jingles publicitaires.

Si les sources semblent hétérogènes, l’architecte parvient à en faire un ensemble aussi solide que stimulant, jamais dénué de second degré, comme sur ce « Cyber-Pet » où, autour de blips rappelant les sonorités des vieilles connexions ADSL (ancrage dans les débuts de l’Internet), les aboiements d’un chien assurent la rythmique.

« Fancy Laser » s’entichera, da la même manière, des illustrations de vieilles séries télé ou de jeux vidéo d’époque (cette dernière étant le début des années 90).

Pourtant, cette démarche ne semble jamais forcée, ces excentricités n’apparaissant jamais en étant. Ce travailleur de l’ombre solitaire invite par ailleurs Turtle Handz sur deux titres, ce dernier posant son flux sur « Apollo 132 » autour d’une rythmique hip-hop agrémentée de blips lunaires, tandis qu’il se montre plus lourd sur l’abrasif mais quasi-minimaliste « Retro-Prediction ». Le disque s’achève avec « Frost In Space », pendant déglingué et ralenti du titre du même nom situé en deuxième position sur la tracklist. Comme si, même au moment de boucler la boucle, Morton Gordon se fendait d’un « à peu près » aussi anecdotique que révélateur de la folie douce qu’il injecte dans ses brillantes compositions.

***1/2


Stuart A Staples: « Arrhythmia »

27 septembre 2018

Plutôt connu comme leader de Tindersticks, Stuart A Staples a peut-être bien réalisé l’un des disques les plus étranges et intime de 2018.

Arrhythmia n’est pas étrange parce qu’il cultive l’étrangeté dans sa musique même si celle-ci est faite d’arrangements dépouillés et de vocaux sobres et presque étrangers mais il l’est par sa structure : quatre titres seulement dont le dernier dure plus de trente minutes.

Celle-ci, « Music for a Year in Small Paintings », a été conçue pour une exposition de 365 tableaux créée par sa femme Suzanne. Le résultat en est un quelque chose d’ambient et d’éthéré, accumulant les variations de direction mais sans paraître être dans l’urgence. Parvenir à un tel résultat est preuve que Staples est, en effet, un artiste atypique et également un orfèvre en matière de retenue.

Le titre d’ouverture, « A New Real », préfigure ainsi la tonalité de ce premier album solo depuis 13 ans ; il démarre sur une boîte à rythmes minimaliste et se construit peu à peu tout au long des cinq minutes qui en feront le morceau le plus court du L.P. Il atteindra ensuite des hauteurs vertigineuses avec une instrumentation dont la distorsion montée en épingle témoigne de l’effort à vouloir aller toujours plus avant.

Les 10 minutes de « Memories of Love », sont si clairsemées qu’elles sonnent par moments comme de l’air raréfié et l’accompagnement musical est si spartiate que le phrasé quasiment inaudible de Staples a pour effet de vous aspirer avec encore plus de magnétisme.

Les textes eux-mêmes sont des ruminations sur la vie énoncées sous la forme la plus pure qui soit (« Sometimes we live on our memories of love, sometimes we live on our memories, and breathe the fragrance. ») ; une manière de véhiculer ses émotions qui appartient au chanteur. Le personnel est ainsi introduit avec tant d’aplomb que l’intime nous y engloutit et nous fait en être submergé.

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Low: « Double Negative »

14 septembre 2018

Les premières secondes du dernier album de Low sont l’équivalent aural d’une tempête de sable électronique. Puis, lentement mais sûrement, de cet éboulis sonique, s’élève la voix de Alan Sparhawk, semblable à un fantôme s’employant de toutes les forces dont il dispose, à se réengager avec le monde physique.

Cette méthode peut être fascinante car elle est nouvelle chez eux et qu’elle ouvre la voie à ce qui est peut-être leur album le plus expérimental et le plus étrange.

Une esthétique à la David Lynch court tout au long de Double Negative. Ce mélange de menace et d’inquiétude traversé par des moments d’émotions où la tendresse et l’affection tentent de se faire une place, à l’exemple de « Dancing And Blood » qui s’évertue à accroitre la tension en faisant se faufiler l’auditeur dans la réalité et le présent.

BJ Burton a travaillé à la production et, grâce sans duote à son expérience dans le studio de Bon Iver, il montre son aisance à édifier une atmosphère de déconstruction créative. L’approche de la chanson traditionnelle y est carrément mise en pièces et les vocaux de Mimi Parker, par exemple sur « The Fly », amalgament sans heurts ces moments où le liturgique e frotte à vents et marées.

Ce ne sera pourtant que répit quand « Tempest » va submerger sa voix et celle Sparhawk en un antre où te n’est qu’acidité et décomposition. « Always Trying To Work It Out » ira encore encore plus loin dans la disruption sous un registre soul suffoquant alors que « Poor Sucker » englobera le tout dans un climat dérangeant lacé de terreur existentielle.

Quand émergera Dancing And Fire » l’atmosphère adoptera une qualité presque virginale avec des des guitares et des vocaux non trafiqués. Calme et apaisement sont alors de rigueur avec la voix de Mimi Parker entonnant en leitmotiv un «  It’s not the end, it’s just the end of hope » qui résonne en chambre d’écho atonale.

La thématique de l’album est ici, résumée ; il s’agit de se dresser et de se battre pour ce que l’on croit, d’être conscient du fait que perdre de son optimisme est un danger, que les forces de la négativité sont toujours à l’affut et nous guettent.

Low nous quittera sur « Disarray », plage robotique dans une disco gangrénée par la mort d’ou s’élève une incation au changement : « Before it falls into total disarray, you’ll have to learn to live a different way » : épilogue final d’un album puissant et viscéral, fusion d’avant-garde et de compositions traditionnelles, mêlant friction et harmonie.

Double Negative rappellera ainsi que moins plus moins égalent plus et c’est aussi cela qui en fait un opus comminatoire.

****1/2