Cursive: « Vitriola »

14 octobre 2018

Après quelques albums en solo ou avec son « autre » groupe, The Good Life, Tim Kasher est de retour avec son avatar originel, Cursive, et un opus, Vitriola, au titre on ne peut plus évocateur. « Originel » est un adjectif qui convient d’ailleurs très bien à l’album puisqu’il voit le combo revenir à un son qui était sa marque de fabrique, aux croisées du hardcore, de l’emo et de l’indie rock stricto sensu.

Des titres comme « Free To Be Me Or Not To Be You And Me », « Under The Rainbow » et « Remorse » sont toujours aussi explosifs et, comme chez beaucoup d’autres artistes, gravitent autour d’une stigmatisation de la présidence Trump. À cet égard,  Pick Up The Pieces » en est un exemple emblématique au même titre que un « It’s Gonna Hurt » où l’apparition d’un violoncelle dénote mais n’en est pas pour autant incongrue.

« Everending » et « Life Savings » sont, quant à eux, plus immédiats mais tout aussi véhéments tout comme « Life Savings» ou « Noble Soldier/Dystopian Lament » qui, concluent un album à mi chemin entre l’honorable et le bienvenu.

***


Radiohead: « A Moon Shaped Pool »

11 mai 2016

No alarms and no surprises….

**1/2


Tuff Love: « Resort »

14 avril 2016

Le premier album de Tuff Love était l’exemple parfait des groupes C86, une musique à mi-chemin entre le grunge et la fuzz-pop. Resort emprunte toujours la même voie : percussions primitives, guitare qui s’efforcent de ne pas asséner de coups trop, frénétiques pour laisser à des tonalités plus pétillantes et vocaux lymphatiques de Julie Eisenstein.

Parfois la trace se déroute avec quelques breaks de basse en guise de solos de six cordes ; cela suffira à peine pour nous extraire de la torpeur qui peut saisir à l’écoute d’une musique qui n’a ni rime, ni raison et encore moins direction.

*1/2


Yout Friend: « Gumption »

11 avril 2016

Si le EP Jekyll/Hyde de Taryn Miller (Your Friend étant son nom de plume) était un exercice plus que satisfaisant en matière de climats « downbeat » on ne pourra qu’être surpris par la facilité avec laquelle Gumption s’éloigne aussi drastiquement de ce mode initial.

Auparavant sa musique hésitait entre dépouillement retenu façon Explosion in the Sky et vocaux faisant étalage de grands sentiments à la She Keeps Bees ; ici elle semble être décidée à plonger dans un inconnu relatif où se font discerner drones, loops et enregistrements pris sur le terrain.

Le titre d’ouverture, « Feathering », est plaisant et plaintif ; des voix qui dérivent et s’enroulent autour de guitares en « twang » et de plages harmoniques mais ce sera sur « To Live With » que le synthé trouvera vraiment sa place.

 

Suivi d’un loop menaçant qui semble servir de toile de fond à une série B, il s’engouffre ensuite dans des acrobaties vocales (« Desired Things ») puis le climat sombre qu’apportent les percussions tribales et les incantations de de « Nothing Moved ».

La chanson-titre ajoutera une brève lueur mais conservera sa tonalité onirique et « I Turned In » terminera presque un opus où règnent contemplation, deuil et ces questions non encore résolues qui sont le propre d’un album encore inégal.


Marc DeMarco: « Another One »

3 août 2015
Comment un vocaliste aussi laid-back peut-il avoir un tel impact émotionnel ? Comment un musicien n’utilisant que des sons vintage eut-il sonner si frais ? Comment, enfin un compositeur peut-il déclencher tant de sensations avec simplement huit chansons ? C’est ainsi que réside l’attrait exercé par Marc DeMarco sur Another One.

En surface tout semble facile et dénué d’efforts mais il suffit d’y réfléchir un instant pour constater que le disque est bien plus fourni qu’il n’y paraît. Des vocaus en falsetto se mélangent à une basse sexy, des jams se font lentes et langoureuses, des orchestrations semblent émaner de « Strawberry Fields Forever » et se combiner sans accrocs avec des six cordes qui s’emberlificotent et des orgues façons 70’s s’harmonisent avec des climats dépouillés et paresseux et un son de guitare hérité des 80’s.
Le mix est délibérément faux pour nous déstabiliser un peu plus ; bref on est dans l’antre d’un alchimiste expérimental qui, après Salad Days, a décidé d’apporter luxuriance et embellissement. Le résultat est patent, Another One n’est ni resucée ni tâtonnement.
***1/2

Sin Fang: « Flowers »

15 février 2013

On peut être leader d’un groupe de sept musiciens, les Islandais de Seabear, cela n’empêche pas Sindri Már Sigfússon de sortir des albums sous son propre pseudonyme, Sin Fang. Flowers en est le troisième. On aurait, à cet égard pu penser que travail en solo allait faire un contrepoint avec un ensemble aussi étoffé ; il n’en est rien tant ce nouvel opus véhicule tout hormis dépouillement et impression de solitude.

Musicien hésitant, il s’est évertué à développer une véritable méthodologie dans ses compositions. Sur Flowers, le résultat en fait un opus abouti et baignant dans l’assurance.

S’emparant des paysages propices à la contemplation de son île, il s’efforce de créer une atmosphère de beauté mystique, nimbée à la fois dans le folk, la pop et la psychedelia. Les arrangements sont amples, formés de multiples couches où synthétiseurs, guitares, percussions et vocaux cultivent l’art de la résonance, un écho amplifié qui n’a pas besoin de pousser le volume. Le son est riche tout en conservant une qualité virginale, à l’instar du fragile « Young Boys » ouvrant Flowers et qui sera emblématique des fluctuations entre percussions et cordes ou vocaux et choeurs qui vont parcourir l’album.

Fluctuations ne veut pas pour autant dire fluidité et c’est dans ce contraste voulu que la musique de Flowers va s’avérer surprenante. La transition vers « What’s Wrong With Your Eyes » va se faire sans efforts mais avec mise en relief de la dissonance qu’elle affiche avant de sombrer dans une orchestration classique tout comme « Look At The Light » laissera perméable à l’oreille drones et percussions qui traversent des vocaux timides et ondoyants.

Chaque morceau apportera ainsi sa note de distorsion, créant ainsi un bien joli halo de complexité. Exemple idéal de « crossover » classique / psychedelia ; Flowers porte bien son nom par la variété des couleurs qu’il imprime à notre écoute.

★★★½☆

The Radar Brothers: « Eight »

4 février 2013

Ce nouvel album du combo basé à Los Angeles n’a pas pour prétention de vous sauter à la gorge. Il démarre avec quiétude sur « What If We Were Banished » par des vocaux chuchotés en baryton avant que peu à peu les guitares n’émergent.

Une fois lancées, celles-ci ne vont pourtant pas vous lâcher et Eight va se caractériser par une intéressante combinaison où, amplifiées, elles se mêleront à des voix laid-back. The Radar Brothers ne cherchent pas à composer des titres immédiats mais à vous imprégner progressivement d’une atmosphère douce et apaisante parsemées de mélodies tranquilles et de délicates couches soniques.

On peut, sur ce plan, penser à Mark Eitzel ou à The National sauf que le combo est plus « rocky » que ces derniers et surtout plus psychédélique. Il y a des passages sur Eight qui ne peuvent que rappeler The Pink Floyd (« Couch » ou « Disappear») et d’autres qui sont carrément beaux et majestueux. « Ebony Bow » est carrément magnifique avec sa superposition de guitares, de piano et de vocaux se juxtaposant pour nous promener dans un univers fait d’une douce dérive qui nous donne le sentiment que rien ne presse et qui nous invite à profiter du voyage.

Les morceaux sont alambiqués mais nous entraînent ainsi le long de leurs itinéraires sinueux avec une patience et une légère mélancolie qui nous incitent à la méditation. Le groupe sait pourtant réveiller l’auditeur quand nécessaire (le clash de cymbales sur « Change College of Law ») mais c’est pour mieux ensuite nous permettre de faire vagabonder notre esprit (« Horse Down » avec le drone de sa guitare).

On ne peut mieux attendre d’un disque qui mêle ainsi alt-country et léger psychédélisme ; il invite à la ré-écoute tant l’effet qu’il induit se mesure parfaitement avec l’ambition sous-jacente dont il fait preuve.

★★★★☆

L. Pierre: « The Island Come True »

20 janvier 2013

Tout au long d’une carrière qui s’étend sur plus de quinze ans, que ce soit avec Arab Strap, en solo ou dans ses collaborations avec d’autres musiciens (par exemple sur Everything’s Getting Older, album écossais de l’année avec Bill Wells) le travail d’Aidan Moffat s’est toujours caractérisé par une exigence de qualité et, par conséquent, une grande attention prêtée à la finition de ses divers enregistrements.

Le pseudonyme de L. Pierre lui permet de s’adonner à ce qu’il y a de plus expérimental au sein des différentes facettes qui composent son univers. The Island Come True est le quatrième album sous ce patronyme et il s’agit, à nouveau, d’une œuvre séduisante ce qui tend à indiquer que c’est quand il travaille dans ces conditions particulières que son inspiration est la plus féconde.

Le titre du disque vient d’un chapitre de Peter Pan dans lequel on découvre pour la première fois Neverland et il se révèle pertinent pour le monde fantastique et enchanteur que Moffat y a créé. Les onze plages sont constituées de captures prises à vif et de sons et de samples qu’il aura récupéré au hasard de sa sensibilité. Il y a donc une démarche visant à la spontanéité dont tout embellissement ou additions soniques sont exclues. Les sifflements, crépitements et bourdonnements de vielles bandes enregistrées se révélant un thème constant tout au long du disque, celui-ci se voit parcouru alors de l’atmosphère spectrale qui serait celle d’un univers autre et décalé.

Si on s’imagine en train de l’écouter dans une pièce sombre avec un casque sur la tête, il est indéniable que ce serait une expérience qui transcenderait notre monde tangible, mais, même dans des conditions « normales » l’effet désiré serait atteint.

La nature des collages sonores permet, en effet, à l’auditeur de s’approprier l’album et d’en faire un appendice de soi, un appendice dont les manifestations seraient multiples et différentes. La fonction de la musique expérimentale, qui plus est instrumentale, est d’ouvrir notre imaginaire et de l’autoriser à flotter dans un état onirique dont on perçoit qu’il est distinct du réel.

C’est un des succès de de The Island Come True de générer une telle sensation, de s’emparer d’un état de nature pour en faire chose abstraite mais de parvenir, toutefois, à y infuser de l’émotion. S’il en est une qui sse fait perméable, ce sera celle de la mélancolie, voire de l’abattement.

On décèle ainsi une beauté presque funéraire dans les sinistres cordes qui transforment « The Grief That Does Not Speak » en lamentation ou, dans la stylisation classique de « Sad Laugh », une morosité intrusive qui prend le pas de façon drastique sur le bruit d’enfants qui jouent en arrière fond.

Mais tout en étant émotionnellement poignant, cet opus est également nimbé d’un climat surréaliste qui se veut inquiétant. La sonorité qui émane d’un camion vendant des glaces sur « Now Listen ! », toute familière qu’elle soit, introduit une toute autre atmosphère, plus dérangeante, tout comme les voix qui murmurent en sourdine des paroles indistinctes et obscures sur « Dumburn ».

Cet assemblage est cohérent par sa beauté certes mais aussi par le soin, presque artisanal, qui semble avoir été pris à le confectionner. « Harmonic Avenger » et la grâce de son piano de ballet en est un pendant tout comme « KAB1340 » avec ses chants d’oiseaux et ses bruits de la nature est est un autre.

Tous ces éléments forment une œuvre musicale impérieuse dans laquelle on ne peut qu’être contraint à trouver délice et envoûtement.


Chris Cohen: « Overgrown Path »

26 décembre 2012

On  pourrait traduire « overgrown path » par « chemin envahi par la végétation ». Ça n’est pas inexact tant, malgré les affirmations de son label qui parle de « pop psychédélique », l’album de cet ancien collaborateur de Deerhoof et de Haunted Graffiti est si feuillu que son itinéraire ne semble pas réellement distinct.

Il est vrai que, sur ce premier album solo à l’âge canonique de 37 ans (sic!), Chris Cohen peut s’honorer d’une certaine expérience et que celle-ci s’étaye aussi par ses pérégrinations qui l’ont mené de la Californie au Vermont.

Comme pour mieux brouiller les pistes d’ailleurs, Overgrown Path démarre de façon atypique pour ne pas dire anti-conventionnelle. « Monad » et « Solitude » sont en effet deux titres où Cohen sonne comme un Elliott Smith encore plus recroquevillé sur lui-même que d’habitude, le tout « agrémenté » de bruits divers qui sont plus ancrage dans l’atone qu’ornements psychédéliques.

« Caller N° 99 » sera ensuite une gentille ballade dodelinante, percutée par un chorus dissonant, comme s’il s’agissait, sans y toucher, de créer une impression de « road song ». Quelque part nous vient cette impression que, peut-être, Overgrown Path constitue une sorte de « road album » aux accents trippy intérieurs plutôt qu’un voyage au sein d’un espace. Même « Rollercoaster Rider » sonnera plus comme une dérive interne avec son piano électrique se fluidifiant sur une guitare qui claque et une basse hyperactive, procurant cette sensation de frénésie presque névrotique sous un abord tranquille.

C’est là qu’intervient le talent d’un musicien aussi affuté que Chris Cohen ; la capacité d’aller au-delà des notes de base et de créer un schéma d’accords dont la discordance n’est pas due à des effets spéciaux mais à un jeu qui évite toute suite d’accords simpliste. Il lui est alors aisé de développer des mélodies qui paraissent élémentaires, se complémentent avec régularité, sans autre heurt que ces changements harmoniques (un « Inside A Seashell » Barrettien en diable) et toujours avec ce sens de la direction que l’on pensait à tort oublié.

Si on devait apparenter la démarche de Cohen, ce serait à celle d’un Robert Wyatt (en moins bizarre) ou d’un Todd Rundgren (en moins éclectique). Il y a en effet chez lui un véritable travail sur le concept de nostalgie ; une façon de composer qui procure la sensation que son disque aurait pu être sorti dans les années 60 (chose dans laquelle Olivia Tremor Control ou The Apples In Strereo étaient passés maîtres). On est en droit alors de se demander ce que représente pour lui le fait d’exécuter une musique aussi passéiste. Au-delà de l’hommage, on peut penser qu’il s’agit de pointer l’absurdité de ce que nous entendons de nos jours. Nous avons affaire ici à un album qui n’a pas besoin de synthétiseurs pour nous envouter, ni d’élans outranciers pour nous transporter. Overgrown Path est un retour à ce qui manque le plus de nos jours dans la scène « indie », un véritable album à écouter dans l’intégralité du voyage qu’il nous propose et non pas un disque construit autour de deux titres chocs et dont les autres ne constitueraient que du remplissage !