Told Slant: « Point the Flashlight and Walk »

18 novembre 2020

Peu d’artistes ont un impact aussi fort que Told Slant. La voix de Felix Walworth ne cache rien. De ses moments les plus cathartiques sur des titres comme « Ohio Snow Falls » à ses moments plus intimes sur des chansons comme « Tsunami », les auditeurs ressentent chaque mot exactement comme Walworth les prononce. La semaine dernière, Walworth a sorti son troisième disque sous les titres Told Slant, Point the Flashlight et Walk.

L’album nous montre un son plus mûr dchez Walworth, en ajoutant plus d’instruments à leur son, ainsi qu’une production plus raffinée que leurs disques précédents. « Meet You in the City » semble ainsi presque trop optimiste pour une chanson de Told Slant, mais c’est un excellent début pour le disque, avec ses claviers carillonnants et une légère couche de percussions. « Bullfrog Choirs » s’inspire très bien du morceau d’ouverture avec une merveilleuse section de chant et un travail de batterie complexe qui fait de Walworth l’un des batteurs les plus remarquables de New York. La fin est étonnante et ne ressemble à rien de ce que nous avons entendu de la part de Told Slant : une énorme guitare et un synthé-basse en construction avant que le morceau ne s’efface.

L’album tire son nom d’une ligne de « Flashlight On ». Le morceau est construit à partir d’une base de guitare triée sur le volet et de la voix de Walworth recouverte de distorsion, ce qui ajoute une qualité nostalgique. La chanson se construit jusqu’à ce que la voix de Walworth prenne de la vitesse en chantant :

« J’ai passé une grande partie de ma vie sans aucune passion : Je veux juste me perdre, pointer la lampe de poche et marcher » (I’ve spent so much of my life with no passion at all/Just want to get lost, point the flashlight and walk).

Ce sont des lignes comme celle-ci qui définissent l’écriture de Walworth. Honnêtes, souvent de façon brutale. Ce sont des émotions que beaucoup d’auditeurs ressentent – toute personne qui a été amoureuse ou qui s’est sentie coincée. Une chanson comme « Run Around The School » résume si bien ces émotions. C’est un concept simple et parfois innocent sur l’amour à l’école, mais Walworth ajoute la véritable couche de la façon dont même un amour non partagé peut être quelque chose à célébrer.

Les deux titres suivants, « Whirlpool » et « Family Still », semblent créer un tampon entre deux moitiés assez distinctes de Point the Flashlight and Walk. Ce sont deux chansons plus lentes et intimes, avec une instrumentation très intéressante. Elles comprennent également des moments vraiment incroyables, comme lorsque « Family Still » se brise et que Walworth entonne : «  Je pose ma main sur ta poitrine / J’espère qu’elle battra quand je te quitterai » (put my hand on your chest / I hope it beats when I leave you).

« No Backpack » est accompagné d’une batterie et d’un piano marte. Il contient également certaines des meilleures parties de guitare du disque, ce qui crée une atmosphère incroyable. « Moon and Sea » »est suivi d’un piano électrique dans une approche très folk. C’est l’un des morceaux les plus émouvants du disque, en particulier lorsque Walworth chante «  Non, n’arrête pas cette respiration » (Don’t stop this breathing) et qu’il se transforme en un superbe solo de clavier.

Certains affirment que l’avant-dernier morceau d’un album est le plus important, et « From the Roofbeams » est la pièce maîtresse de Point the Flashlight and Walk. Il résume à la fois l’album et presque tout ce que Told Slant a sorti jusqu’à présent : des moments déchirants, des moments de catharsis et une intimité tranquille. Walworth chante « Prenez tous ces tambours de canon, les sentiments de trompette du ciel que j’ai pour vous » (Take all these cannon drum, heaven trumpet feelings that I have for you), ce qui, bien que ce ne soit peut-être pas intentionnel, évoque l’imagerie du dernier morceau du précédent album de Told Slant.

Le disque se termine par l’étonnant « Walking With the Moon ». Bien qu’il ne s’agisse que de quelques mots, il conclut toute l’émotion de l’album avec une question supplémentaire : « Ne devrais-je pas t’aimer ? » (Shouldn’t I love you?)

Dans un article de blog, Walworth dit qu’ils se sont inspirésdu Nebraska de Springsteen pendant qu’ils travaillaient sur ce disque. Il y a d’ailleurs beaucoup de parallèles entre The Boss et Walworth. Ce sont des histoires humaines, elles sont racontables. Elles parlent d’amour, de perte, d’amitié, et de l’étrange, et parfois réconfortant, des lieux émotionnels entre les deux. Point the Flashlight and Walk est un disque puissant, bien que discret. Il emmène cependant les auditeurs bien au-delà de ce qu’ont pu faire les disques Told Slant dans le passé. Des parties de guitare immersives, des mélodies de harpe glaçantes, des claviers et d’autres sons nouveaux amènent la musique de Walworth à des sommets incroyables. C’est une croissance et une évolution qui leur convient bien, faisant de cet opus leur meilleur album à ce jour.

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Save face: « Merci »

9 juillet 2019

Save Face est un nouveau venu de la scène pop-punk américaine. Il s’agit d’un trio venu tout droit du New Jersey composé des membres Tyler Povanda (chant, guitare), Phil McGarry (guitare), Chris Aveta (basse) et Chris Flannery (batterie) et décide de frapper fort dès le départ avec leur premier album intitulé Merci, deux ans après leur premier EP.

Marchant sur les pas de Queen et Green Day pour le côté opéra, Merci se veut être un récit en musique d’un homme qui se remet sur pied après un passage en cure de désintoxication. Et bien évidemment, tout n’est pas toujours évident car la paranoïa et les sentiments négatifs reprennent le dessus tout au long de ces quatorze titres bien explosifs mais cohérents. Que ce soit sur « Bad », « Heartache » ou bien même sur « Jonesin’ », Save Face respecte la trame comme personne.

Entre emo et pop-punk, le quatuor du New Jersey sait rendre sa musique la plus visuelle qui soit afin que l’on puisse saisir le dénouement jusqu’au bout. C’est avec l’aide de cuivres et de cordes sur certains moments que Merci peut prendre des allures de mélodrame notamment sur « Mercy », « Nothin’ » ou bien même sur « Plans ». Cela peut sonner un peu pompeux à la longue mais Save Face parvient à se démarquer et à faire preuve d’originalité pour un « debut album  »qui sauve la face.

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The Appleseed Cast: « The Fleeting Light of Impermanence »

4 juillet 2019

Très productif durant les années 2000 qui ont fait de lui un des élèves intellos de la scène emo, Trhe Apopleseed Cast s’est, ensuite, fait plus rare en raison de nombreux changements de line-up. Nes reste, du combo originel, que le chanteur Chris Crisci qui s’était tenu coit pendant quatre ans d’absence. Sans chercher à se réinventer,The Fleeting Light of Impermanence souligne plutôt la faculté de son leader à durer et se recréer sans, pour autant, jamais tourner totalement les talons à ce qui a fait l’identité de son projet « (Asking the Fire for Medicine »).

Entouré de trois musiciens qui l’accompagnent sur la route depuis trois ans mais qui n’avaient encore jamais enregistré avec lui, Crisci a fait table rase du passé, jusqu’à adopter une toute nouvelle méthode de composition consistant à immortaliser quelques idées sur bande avant de les rassembler pour constituer de nouveaux morceaux. Et aussi étrange que cela puisse paraître, ce nouvel album ne souffre aucunement de manque de cohérence ou de fluidité. Surprenant également, le parti pris du groupe d’inverser son spectre instrumental au moment de mixer l’album.

Ainsi à l’image de l’entame « Chaotic Waves », les voix reculent considérablement pour mieux laisser la batterie au premier plan, contribuant ainsi à l’identité de The Appleseed Cast qui signe ici parmi ses plus belles lignes mélodiques (« Time The Destroyer »). A la fois complexe et réfléchie, sa musique s’offre également quelques progressions post rock intéressantes (« Petition », « Collision », « Reaching the Forest »), des passages ouvertement aventureux (« The Journey »), et une pincée de sonorités nouvelles (la présence des synthétiseurs, inédite à ce point) qui, réunis, contribuent à une des plus franches réussites d’un groupe que l’on a pourtant cru mort à plusieurs reprises.

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American Football: « American Football (LP3) »

25 mars 2019

Ce quatuor de Chicago avait changé la facette de l’emo avec un premier album désormais mythique en 1999 avant de se reformer en 2016 pour un second disque montrant qu’ils n’ont rien perdu de leur verve. Trois ans plus tard arrice ce nouveau chapitre de leur carrière.

Contexte : même si leur prédécesseur était de plutôt bonne qualité, American Football se sentaient encore brimés dans l’expression de leurs émotions et dans leur processus créatif. C’est pour cette raison que la bande à Mike Kinsella veut revenir en force et nous prouver qu’ils n’ont pas encore dit leur dernier mot. Une fois de plus, le quatuor de Chicago mise tout sur la force tranquille comme l’atteste le titre d’ouverture mélodique et sentimental du nom de « Silhouettes » où on se laisse bercer par ses notes de guitare limpides et ses rythmiques sereins le tout teinté d’une douce mélancolie et nostalgie.

Avec une production toujours aussi chaleureuse et plus audacieuse que jamais, le groupe de Chicago ira pousser la aberre un peu plus haut en invitant des voix féminines à se greffer à leurs compositions emo aériennes. Ainsi, American Football pourra compter sur la participation d’Elizabeth Powell de Land of Talk sur le langoureux « Every Wave To Ever Rise » qui n’hésite pas à alterner l’anglais et le français mais aussi sur celle d’Hayley Williams de Paramore sur le résolument emo « Uncomfortably Numb ». Mais la vraie surprise vient de Rachel Goswell de Slowdive qui vient sublimer un peu plus « I Can’t Feel You » possédant une pointe de shoegaze.

L’univers du combo arrive bien à s’insérer dans la métamorphose musicale d’American Football avec des petites touches de post-rock et il suffira d’écouter des moments planants comme « Doom In Full Bloom » et « Mine To Miss » pour s’apercevoir que non seulement l’influence de Mike Kinsella est palpable mais aussi que le groupe de Chicago a réellement atteint la sagesse ultime pour ce troisième album.

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Animal Flag: « Void Ripper »

26 février 2019

Cela va faire une décennie qu’Animal Flag est dans les circuits et trace sa route sereinement sans jamais connaître sa popularité. Le groupe emo new-yorkais a déjà une riche discographie et c’est presque une routine que de les voir revenir avec leur dernier disque : Void Ripper.

Sans surprise aucune, Animal Flag nous offre un disque sombre etatrabilaire. Il suffira, pour s’en rendres compte, d’écouter des titres comme les agressifs « Candace » et « I Can Hear You Laugh » mais également « Stray » et « Fair » qui sont beaucoup plus immersifs pour y être plongé de plain pied.

On pense à The Hotelier ou encore Manchester Orchestra qui puisent tout dans le pathos et, à cet égard, Void Ripper se montrera résolument cathartique. Animal Flag trouve toujours une certaine beauté dans la souffrance ; il en résulte des moments d’exception à l’image de « Lord of Pain » ou même de la dévastatrice « Five » en guise de conclusion. Parfois, bien sûr, trop de pathos tue le pathos ; il n’en démeure pas moins que personne ne peut se dire insensible à ta teneur emo du combo.

***1/2


Cursive: « Vitriola »

12 février 2019

Groupe précurseur des sonorités emo / post-hardcore, souvent décrit à ses débuts comme proche des d’At The Drive In, Cursive a multiplié les pains tout au long de sa carrière, qui débuta au milieu des années 90s, à Omaha, dans le Nebraska. Un hiatus entre 1998 et 1999 permis à la troupe emmenée par le talentueux Tim Kasher de revenir plus inspirée que jamais, mettant un peu de piment dans ses compositions en y incorporant un violoncelle électrique. Bien que l’instrument ne soit pas au cœur des ambiances tourmentées que Cursive déploie avec brio sur un album tel que Ugly Organ (2003), il retient l’attention de l’auditeur curieux. La dernière décennie fut plutôt terne pour Cursive, incapable de livrer un album convaincant depuis Happy Hollow, sorti en 2006, ce huitième album, Vitriola, redore le blason d’une formation dont on attendait plus grand chose…

Quelle bonne nouvelle, l’inspiration est de retour ! Vitriola est un album sincère, franc et qui fait mouche, contant volontiers les malheurs du monde sur des compositions dissonantes et volontairement brinquebalantes. Le violoncelle un temps disparu, reprend sa place, pour donner un peu plus de relief aux complaintes de Tim Kasher. A la croisée des chemins entre emo et post-hardcore, Cursive livre des morceaux efficaces, à l’image de « Pick up the Pieces » ou du massif « Under the Rainbow », et réussi le pari de nous surprendre avec « It’s Gonna Hurt ». Les envolées de violoncelle, et de ce qui semble être un thérémin, nous transportent dans un univers tout à fait original.

Cursive joue de sa palette pour rompre la monotonie et dessiner des ambiances variées. Elles se font parfois lascives (« Remorse ») poussant l’auditeur à l’introspection. ou totalement contrastées par la rigueur hypnotique de riffs dissonants (« Ouroboros »). Vitriola fini par nous convaincre par un ultime brûlot indie rock (« Life Savings ») au refrain franchement entêtant, avant de s’éteindre après 7 minutes d’une complainte progressive résonnant comme un point d’orgue irréductible et quasiment pérenne (« Noble Soldier / Dystopian Lament »).

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Steady Hands: « Truth In Comedy »

28 décembre 2018

Des cendres de Modern Baseball les différents membres du groupe s’émancipent chacun de leur côté. On avait vu Jake Ewald qui nous a présenté Slaughter Beach, Dog et maintenant, c’est au tour de Sean Huber, bassiste du groupe, de nous présenter son nouveau projet qu’est Steady Hands avec un nouvel album intitulé Truth In Comedy.

Sean Huber reste dans son élément en partant à la croisée de l’Americana et power-pop. Il en résulte des titres audacieux et racés comme l’introduction explosive du nom de « 40 Ox » mais encore les accents emo de « New Tattoo » et de « Indifferent Belushi » avec ses synthés reluisants.

Steady Hands n’a pas perdu la main en matière d’arrangements, qu’ils soient plus amples avec l’apparition de l’orgue sur « Drop D And Dance Beats » ou des cuivres sur « Saint Lucas » ou sophistiqués avec un solo de piano raffiné sur « Better Days ».

Ajoutons aussi les prestations vocales convaincantes de Sean Huber sur « No More Funerals » ou encore la conclusion bien pleine de densité de « Christmas At The ‘Vous ». Steady Hands n’atteint pas la grâce incarnée de Slaughter Beach, Dog,mais s’en tire avec les honneurs sur un opus riche en instrumentations en tous genres allant au-delà de l’emo.

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Cursive: « Vitriola »

14 octobre 2018

Après quelques albums en solo ou avec son « autre » groupe, The Good Life, Tim Kasher est de retour avec son avatar originel, Cursive, et un opus, Vitriola, au titre on ne peut plus évocateur. « Originel » est un adjectif qui convient d’ailleurs très bien à l’album puisqu’il voit le combo revenir à un son qui était sa marque de fabrique, aux croisées du hardcore, de l’emo et de l’indie rock stricto sensu.

Des titres comme « Free To Be Me Or Not To Be You And Me », « Under The Rainbow » et « Remorse » sont toujours aussi explosifs et, comme chez beaucoup d’autres artistes, gravitent autour d’une stigmatisation de la présidence Trump. À cet égard,  Pick Up The Pieces » en est un exemple emblématique au même titre que un « It’s Gonna Hurt » où l’apparition d’un violoncelle dénote mais n’en est pas pour autant incongrue.

« Everending » et « Life Savings » sont, quant à eux, plus immédiats mais tout aussi véhéments tout comme « Life Savings» ou « Noble Soldier/Dystopian Lament » qui, concluent un album à mi chemin entre l’honorable et le bienvenu.

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Pinegrove: « Cardinal »

9 juin 2016

Cardinal, le deuxième album de ce groupe du New Jersey, est un disque dont la charge principale est l’émotion, assortie de ce dilemme existentiel qu’est prendre conscience de son âge qui avance et l’assortir d’une guitare dont la tonalité est celle d’un « twang » mélancolique.

Tout est livré ainsi au débotté , que ce soit un texte comme « Old Friends » ou une instrumentation où le rock indie flirte avec l’americana.

C’est un choix judicieux pour ce qui est d’évoquer ce crépuscule qui tombe de manière prématurée sur des humeurs qui ont nom angoisse et perte. La sixe cordes sur « Then Again » contient ainsi sauvagerie et délié, pureté et œil féroce tout comme « Aphasaia » qui en est une suite parfaite.

Pour s’extraire du désagrément, « New Friends » touchera le dernier point cardinal en clôturant le disque sur une note d’espoir plus soul ne serait-ce que pour capter une attention qui nous laissera cois et presque apaisés.

**1/2


The Desaparecidos: « Payola »

25 juin 2015
Treize ans après leur « debut album », ce collectif indie du Nebraska mené par Conor Oberst (Bright Eyes) sort enfin Payola, un disque raillant toujours la vie moderne des les banlieues US mais en lui ajoutant une dimension plus générale, comme pour donner au dédain qu’a le combo pour l’« establishment » globale.

Le résultat est moins cohérent thématiquement et il se veut d’ailleurs plus « fun », façon d’injecter un peu d’humour dans l’activisme qui préside au groupe. L’industrie musicale en prend pour son grade tout comme tout comme la culture d’entreprise (« Golden Parachutes »), le tout servi par une musique rageuse et des riffs incisifs.

Payola regorge d’hymnes engagés où les textes prennent aisément le pas (« The Underground Man » ou « Te Amo Camila Vallejo ») mais aussi de titres décisifs soniquement (« MariKKKopa » ou « The Left Is Right »).

On ne va pas se plaindre d’un combo qui sait véhiculer sa rage en lui donnant une facette plus articulée. On se réjouira plutôt que la musique « hardcore emo » soit capable de se focaliser sur autre chose que son nombril.

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