John Cale: « Shifty Adventures in Nookie Wood »

17 décembre 2012

Il n’y a que l’âge qui pourrait faire que l’on considère John Cale comme un dinosaure du Rock. Celui-ci n’a, en effet, jamais cessé de vouloir évoluer dans d’autres styles que le sien propre (en a-t-il un d’ailleurs?) et se frotter à la pop, au rock pur et dur et à la musique expérimentale. Ne serait-ce que cette démarche devrait suffire à évacuer certains commentaires irrévérencieux sur son nombre de printemps.

Ayant eu une éducation classique, cela lui a permis d’aborder différents genres avec habilété mais aussi cette distance presque clinique qu’il a avec la musique populaire. Dilettantisme affiché donc qui se traduit sur Shifty Adventures In Nookie Wood par un disque fait, une fois de plus, de coups de poings soniques percutants et de compositions prêtes à nous faire entrer dans une ère glaciaire.

En ouvrant, voix tranchante et guitare funk, avec un « I Wanna Talk 2 U » déclamatoire, Cale pourrait presque faire penser qu’il souhaite émuler Prince mas sa voix de baryton, glaciale, coupe là toute comparaison. S’il se saisit de ce titre pour demander à son auditoire de se réveiller, on n’en est pas pour autant certain de quoi il souhaite nous dégriser. Libre choix nous est donné en fait, tout comme la manière dont il agence musicalement ce nouvel opus.

« Scotland Yard » résonne comme un refrain tribalo-futuriste et « Decembers’ Rain », dans une veine voisine, fait penser à ces arrangements dont Giorgio Moroder était coutumier avec ces « beats » minimalistes et de brusques et brèves lacérations aux synthés.

Ce disque, au fond, est l’appréciation que Cale fait des nouvelles avancées technologiques, incessantes (‘shifty » = « changeant ») et de la façon dont il les appréhende. Son instrument de prédilection, la viole, est, à cet égard, utilisé avec parcimonie et de façon le plus souvent acoustique (« Living With You ») et même l’élégance mélancolique qui se dégage du morceau est contrebalancée par un jeu presque robotique. D’une façon similaire, « Sandman (Flying Dutchman) », morceau clôturant l’album passe d’un chuchotement folk avec des environnements beaucoup plus nébuleux.

On le voit, Cale n’a pas son pareil pour tordre le cou à la pop mais, son approche distanciée faite de sarcasmes, de textes cryptiques, semble ici marquer le pas au profit de climats post-industriels, de samples qui étayent sentiment d’isolation et d’aliénation. C’est en cela, sans doute, qu’on peut parler de message explicite : l’emprise de plus en plus grandissante que la technologie peut avoir sur nous. Cela explique le peu de présence d’instrumentation organique, cela accentue en outre une de ses particularités , l’attrait pour l’inconfort (une production qui semble être comme mise en boîte), une habileté à s’emparer des mixes et n’en faire qu’à sa tête (ceux-ci sont utilisés sans soucis de détails, de manière presque iconoclaste).

Bref Cale continue, avec Shifty Adventures In Nookie Wood, à etre fidèle à sa ligne de conduite intrépide et changeante. Il avait un jour déclaré : « J’ai l’ambition … de réaliser tout mon potentiel… Et je ne suis pas certain d’y être encore parvenu. » En manipulant (au sens propre et figuré) ainsi les auditoires, chose que son aisance technique lui permet, il n’est certes pas à cours d’imagination ni d’inspiration, il n’en demeure pas moins qu’en s’imposant une distance de plus en plus grande avec son art, il risque de se retrouver en état « d’auto isolation ». Peut-être est-ce la conclusion à laquelle il arrive et qu’il assume en s’inclinant, de plein gré ou pas, devant le modèle technologique dominant qui nous menace; elle n’en est pas pour autant convaincante et susceptible d’emporter notre adhésion.