Young Prisms: « Drifter »

9 avril 2022

Cela fait plus de dix ans que Young Prisms n’a pas sorti d’album. Mais même en 2012, ils ne semblaient pas avoir un impact énorme. Ils ont souvent été mis dans le même sac que la partie « et autres » du Shoegaze Revival, souvent relégués à une note de bas de page dans les sections « vous pourriez aussi aimer » de groupes comme A Place to Bury Strangers, No Joy et Silversun Pickups.

Mais l’obscurité est rarement un marqueur de manque de qualité (c’est pratiquement la devise de tous les snobs de la musique), et la première série de Young Prisms, composée d’un EP et de deux albums, a réussi à trouver une profonde dévotion parmi les fans hardcore de shoegaze – leur premier album Friends For Now vient d’être réédité après onze ans d’absence.

Et maintenant, après une pause de dix ans, Young Prisms est de retour – et ils ne se contentent pas de se prélasser dans le succès culte de leur première série. Drifter semble familier aux fans de leurs précédents travaux, mais ils semblent plus sûrs d’eux que jamais.

Le paysage musical est un peu différent de ce qu’il était au début des années 2010. Les guitares vaporeuses et les voix sirupeuses ne sont plus tout à fait la nouveauté qu’elles étaient avant que les aficionados du shoegaze ne trouvent des communautés importantes sur les médias sociaux, les photos de pédaliers et les démos récoltant des hordes de likes sur Instagram et TikTok. Même le terme « Shoegaze Revival » est tombé en désuétude, car la résurrection de l’esthétique a duré plus longtemps que la scène originale, avec beaucoup plus de groupes adhérant aux principes des pédales de fuzz et de réverbération. Il ne suffit plus de sonner juste (bien qu’un certain nombre de groupes essaient de le faire avec ce truc). C’est une peau attrayante, mais elle doit être étirée sur une forme assez ferme pour se tenir debout toute seule.

Heureusement, les muscles d’écriture de Young Prisms ne se sont pas atrophiés pendant leur hiatus. Les voix lointaines, les guitares brumeuses, les nuages de synthés et les rythmes de batterie simples mais efficaces (certains joués, d’autres programmés) sont portés par un songwriting rêveur mais affirmé qui rappelle le bonheur domestique de Brian Wilson.

Les mélodies aussi accrocheuses sont généralement appelées « hameçons », mais le terme semble presque trop violent pour ce qui se passe ici. Un hameçon est tranchant et barbelé, attirant une victime par inadvertance. Au contraire, les lignes ici sont comme les invitations d’un vieil ami. Ce sont des bras ouverts qui offrent une étreinte. Ce n’est pas assez affirmé pour exiger un oui – et ce serait probablement pire si c’était le cas – mais accepter l’invitation apporte une récompense plus riche que ce à quoi on pourrait s’attendre.

Une grande partie de cette affection sonore est probablement due à la réunion réelle des membres du groupe après une décennie de chaos et de calamité. Et avec les jours les plus dangereux de la pandémie probablement derrière nous, il reflète beaucoup des retrouvailles que beaucoup d’entre nous ont probablement en sortant de quarantaine. Et dans ce sens, c’est une sortie parfaitement synchronisée.

***1/2


Camera Shy: « Camera Shy »

20 juillet 2015

Ce duo indie pop de la Bay Area se débarrasse ici de la shoegaze bruitiste de son groupe parent, Whirr, pour nous offrir une pop plus gentille et aérée voisine de groupes des 90’s comme The Sundays ou The Softies.

Nous sommes ici donc dans le domaine de la dreampop aux lisières de la mièvrerie et du « college rock ». Le disque s’axe avant tout sur la voix délicate de Aexandra Morte évocatrice de mélancolie et de langueur amoureuse. Des titres comme « Remember » ou « Take Your Time » abandonne les guitares spartiates de Whirr pour se faire carillonnantes, aériennes et servies par des mélodies douces, apaisantes et colorées.

Ailleurs « Glowing » se fera langoureux et « Underwater Days » scintillant alors que es trompettes délavées de « Seemingly III » tenteront une atmosphère à l’onirisme distant.

Camera Shy est dans l’ensemble un album plaisant, tamisé et discret. Quelque part il porte bien son nom tant il semble se tenir à l’écart de toute ostentation et vouloir fuir le flash des appareils photo.

***


All We Are: « All We Are »

4 février 2015

Bien que ce trio vive à Liverpool, ses origines sont plus bigarrées puisqu’il est constitué d’un Brésilien, un Norvégien et un Irlandais. On ne sera donc pas surpris de constater que sa musique est un véritable melting pot, si ce n’est de nationalités, du moins de genres musicaux sur de « debut album ». Tour à tour chillwave, R&B, soft rock et pop décalée, ceux qui ont été décrits comme des « Bee Gees sous diazepam » (donc Valium) All We Are est un disque où la dream pop est accompagnée d’une « vibe » dance et de vocaux en falsetto.

Le résultat est parfois déroutant et détonnant ; l’unique notre au piano de « Ebb/FLow » débouchant sur un synthé dont le trémolo apporte pulsation et verdeur ponctuées par des percussions en 4/4 ou duo vocaux qui permettent de donner chair à l’ouvrage ou d’alterner les humeurs.

Même sur des titres downtempos ou proches de la psychedelia comme « I Wear You » ert « Life Of Seven » le trio ne se départit pas d’une approche sophistiquée et d’une stylisation dans las accords de guitares dissonants.

Les seuls moments où l’atmosphère se fera plus ouatée se rencontreront paradoxalement dans des compositions plus uptempos comme un « Honey » qui semble enveloppé dans un emballage à bulles ou « Feel Safe » qui sonne comme un oreiller hypnotique.

Parfois, un titre comme « Something About You » tente de percer la sous-couche et de laisser respirer à l’air libre son refrain de cœur brisé mais l’affectdemeure soigneusement calfeutrée et filtrée comme si, à l’instar de Fleetwood Mac, il s’agissait de lisser les choses de manière à ce que rien ne dépasse.

Tout se produit comme si, All We Are privilégiait la distance sonore (parfois disruptive) à l’émotion ; il lui faudrait peut-être inverser ces priorités pour rendre le tulle qui enrobe ses climats moins opaques et faire ainsi jaillir l’enivrement.

***


Elbow: « The Take Off and Landing of Everything »

13 mars 2014

Si votre 6° album sonne de la même manière que le premier et ceux qui ont suivi on peut se demander si on est dans le bon sillon ou dans une ornière. C’est une question qui a probablement pesé dans la tête de Elbow pour The Take Off And Landing Of Everything. On a évoqué diverses méthodes dans le songwriting mais, au bout du compte, on a toujours le même line-up avec chaque membre apportant ce à quoi ils ont toujours contribué et des enregistrements qui ont toujours lieu que ceux utilisés pour les deux premiers disques. Stabilité donc, mais celle-ci peut très bien s’avérer être un handicap.

La plupart des titres ici sont des compositions indie assourdies, avec des tonalités très atténuées à la batterie, des cuivres occasionnels, le tout formant un amalgame doux et velouté. Ça n’est que rarement que Elbow essaie de s’éloigner de cette bride qu’il s’est lui-même imposé mais il le fait parfois comme pour l’épique « New York Morning » ou sur le morceau titre.

Leur leader, Guy Garvey, a indiqué que The Take Off And Landing Of Everything a été partiellement inspiré par le fait de vivre dans deux endroits différents, Manchester et New York, et par le fait d’avoir à se rendre de l’un à l’autre. Cette influence est à prendre au sens littéral avec quelques morceaux qui semblent batailler entre un côté britannique, calme et stoïque, et celui, plus impétueux, des Américains. Au final, c’est plutôt l’Anglais qui l’emporte, après tout Elbow est un combo issu de Manchester.

L’impression générale qui ressort est que jamais les membres du groupe vont au bout de leur talent, ils semblent même parfois sous jouer ; bien que la voix de Garvey parvienne toujours à véhiculer la hantise. La plupart des longues plages sont comme construites à partir de rudiments plutôt que basées sur un rythme ou une mélodie, visant sans doute à donner une sensation de contemplation méditative. Le revers de cette démarches est qu’elles peuvent sembler informes et sans vie.

The Take Off And Landing Of Everything est un disque parfait pour les jours de pluie, une grisaille douce d’où la mélancolie n’est jamais éloignée. On répondra donc à la question initiale que nous sommes en terrain connu et que, de ce point de vue, Elbow est à la fois dans son sillon et dans une ornière.

guitareguitare1/2