Velvet Kills: « Bodhi Labyrinth »

9 avril 2020

Le nouveau mini-album Bodhi Labyrinth des darkwavers Velvet Kills, duo basé à Lisbonne, arrive avec le soutien d’un véritable who’s who des labels darkwave underground actuels : Unknown Pleasures, Icy Cold et Manic Depression ont tous leur nom sur la version LP. C’est peut-être l’exhaustivité du coffret Velvet Kills présent qui suscite l’intérêt de tant d’entités différentes. En écoutant les six titres de l’album, vous aurez un aperçu des styles darkwave modernes, de la guitare rock gothique qui se déroule sur « In the Gold Mine » aux synthés étincelants et aux pads aériens de « Bitch Face » et aux vagues sons de clavier exotiques de « Hangover Calling ».

Tous les morceaux sont présentés comme des options raisonnables pour les pistes de danse, selon l’heure de la nuit et le style de musique que vous avez joué. La production est de bon goût et reste à l’écart des chansons. Bien que rien ici ne soit absolument époustouflant en termes de mélodie ou d’accroche, les voix jumelées sombres et menaçantes et les tempos enjoués donnent à la musique une personnalité et un peps suffisants pour s’engager. Les Velvet Kills comprennent clairement ce qu’ils veulent faire et le font avec beaucoup de souffle à défaut d’inspiration.

***


Fotocrime: « South of Heaven »

19 mars 2020

Fotocrime, c’est le psudonyme de Ryan Patterson, le leader de Coliseaum un combo punk Kentucky Sous cet alias, une nouvelle direction audacieuse est au programme : un effort post-punk à base de synthétiseurs avec des éléments teintés de goth-rock et de darkwave. Après la sortie de deux EPs et un premier album en 2018, Principle of Pain, South of Heaven va en être est la suite parfaite. Patterson ne s’éloigne pas du son de base de son premier pous, mais il poursuit la même attitude lâche et incertaine qui semble avoir mené à la création de ses précédentes aventures sonores.

« C’est un disque pour les voyages de nuit, une bande son pour les phares qui éclairent l’horizon », dit Patterson, et c’est la vérité absolue, tout simplement. Si vous plongez dans le « single » principal « Love is the Devil » ou sur le « closer » « Tough Skin », vous trouverez un peu de lumière dans toute l’obscurité que l’album a créée, guidé par le véritable refrain darkwave hook-led dans un voyage qui nous ramène dans des mondes passés (où le génie de groupes comme Depeche Mode, Sisters of Mercy et Bauhaus faisait la loi).

South of Heaven est brillamment conçu, addictif et nostalgique, avec de nouvelles dimensions et dynamiques sonores, mais c’est aussi un effort fondé sur la collaboration, avec des tâches de production de J. Robbins (Jawbox) et des sessions d’enregistrement avec Steve Albini chez Electrical Audio à Chicago, Simon Small à Londres et les Robbins susmentionnés à Baltimore. L’album comprend également une batterie d’invités, dont les magnifiques voix de Janet Morgan (Channels), Hayden Menzies (METZ), Nick Thieneman (Young Widows), Erik Denno (Kerosene 454) et Rob Moran (Unbroken).

Ce « sophomore album » est un disque captivant, dirigé par un leader charismatique, une pièce lunatique d’une mélancolie sombre avec quelques mouvements légers tout en restant menaçants ; un véritable hymne à faire venir et se poser la nuit.

***1/2


Black Marble: « Bigger Than Life »

7 novembre 2019

La nostalgie est le sentiment qui prédomine à l’écoute de ce troisième album de Black Marble. Il ne s’agit pas de cette nostalgie qui rend triste, celle qui se rapporte à quelque chose qui a été et qui ne sera plus. Il s’agit plutôt de celle qui fait naître un sourire sur les lèvres, où l’on regarde le passé de manière bienveillante et attendrie. Triste donc, mais pas triste en même temps.
Tout dans ce
Bigger Than Life respire la nostalgie. L’utilisation de matériel analogique et la diminution des effets qui voilaient la voix de Chris Stewart contribuent à rendre le disque moins froid, plus organique. « Feels » est probablement le titre qui capture le mieux l’esprit de l’album, tant dans la musique qu’au niveau des paroles. Le clip qui illustre la chanson est d’ailleurs particulièrement réussi et renforce le côté mélancolique du titre grâce à l’utilisation de VHS familiales de Chris Stewart. L’ensemble fonctionne à merveille.


Avec ce disque, Black Marble s’éloigne encore un peu plus de la noirceur de son premier opus
A Different Arrangement (2012) mais gagne en profondeur. Que ce soit la rythmique 80’s ultra répétitive de « One Eye Open » qui donne au titre un aspect quasi lumineux, la douceur adolescente de « Daily Driver », la fantastique ligne de basse de « Private Show » ou encore la beauté du morceau final « Call », les bons moments sont nombreux. On peut sans doute reprocher à Bigger Than Life un aspect parfois itératif, mais l’album dégage un tel charme qu’on le lui pardonnera.

**1/2

 


She Past Away: « Disko Anksiyete »

23 juin 2019

Lorsque l’on essaie de décrire la musique de She Past Away, on pense aux paysages hivernaux, aux couleurs grisâtres, à la mélancolie. Aussi l’annonce de la sortie d’un troisième album pendant la période estivale semblait-elle quelque peu antinomique, à moins que cela ne soit synonyme de changement ? Quelques indices pouvaient le laisser penser, le départ du bassiste du groupe, une signature sur Metropolis Records pour la distribution nord-américaine et pour la première fois, de la couleur sur la pochette de ce nouvel album Disko Anksiyete.
Que les fans de la première heure se rassurent, le mélange de post-punk synthétique et de goth qui a fait le succès du groupe turc n’a pas disparu, mais l’influence de la wave s’est considérablement renforcée. Le tournant plus électronique se note dès l’ouverture entièrement instrumentale et se confirme sur « Durdu Dünya ». L’enchaînement avec « Disko Anksiyete » et Izole est imparable : She Past Away démontre sa capacité à écrire des tubes pour dancefloors goths, toujours empreints d’une tristesse presque palpable. Les machines et claviers s’imposent sans pour autant que le groupe ne perde son âme, notamment grâce à la voix caverneuse de Volkan Caner qui fait toujours son petit effet.

Malgré des qualités évidentes, ce troisième opus a le même défaut que ses prédécesseurs : un certain manque de variation qui rend parfois les morceaux difficiles à distinguer. Belirdi Gece (2012) et Narin Yalnizlik (2015) souffraient d’une certaine monotonie qui, même si elle avait son charme, pouvaient être lassante au fil des écoutes. Sur Disko Anksiyete, ce défaut se retrouve surtout sur la deuxième partie de l’album, un peu moins efficace que la première, et plus particulièrement sur les morceaux les plus lents où She Past Away ne parvient pas à emporter complètement. Malgré sa superbe ligne de guitare, « Ağit », le titre final, n’atteint pas la beauté hypnotique d’un « Hayaller? ».
Disko Anksiyete ne constitue donc pas un tournant radical pour She Past Away, il explore simplement le versant plus électronique de la musique du groupe tout en conservant sa mélancolie glacée. Nul doute qu’il sera un excellent remède à la chaleur des nuits caniculaires.

***1/2


Sólveig Matthildur: « Constantly In Love »

7 juin 2019

S’intéresser à la scène musicale islandaise, c’est savoir que celle-ci regorge de talents et ne se limite pas seulement à Björk ou Sigur Rós. Les musiques froides y sont dignement représentées par le trio féminin Kaelan Mikla, l’un des groupes les plus excitants de ces dernières années au sein de la mouvance dark wave, dont Sólveig Matthildur assure les synthés et une partie du chant. Après une première escape solo en 2016 avec son très beau premier album Unexplained Miseries & The Acceptance Of Sorrow, Sólveig revient avec Constantly In Love.

Si son premier effort était assez cinématographique et flirtait parfois avec l’ambient, ce nouvel opus se révèle plus direct dès la première écoute, avec une voix nettement mise en avant. Le premier « single » « Dystopian Boy », en est l’illustration parfaite : un morceau efficace, dansant avec un refrain qui reste en tête et l’apport incontestable de Deb Demure (Drab Majesty) : une guitare qui signe une ligne magnifique. Le morceau miroir, « Utopian Girl » est tout aussi réussi avec ses répétitions phrasées et lancinantes.

À l’image de ces deux titres, plusieurs autres morceaux sont construits à la manière d’un diptyque (« My Desperation »/ « Your Desperation » ou encore « Constantly in Love » « Constantly Heartbroken »), Matthildur y navigue entre l’anglais et l’islandais en évoquant de manière poétique des thèmes universels : l’amour perdu, le spleen, les rêves.  Musicalement, l’album contient son lot de petites bombes dark wave (« My Desperation » /« Your Desperation »,notable par son excellent remix) mais aussi des morceaux plus planants comme le titre éponyme et sa sublime ligne de synthés ou encore « My Father Taught me how to Cry », véritable crève-cœur.

Difficile de ne pas être conquis par la voix puissante et parfaitement maîtrisée de Sólveig Mathildur, utilisée comme un instrument à part entière. Écouter simplement « Constantly heartbroken » pour s’en convaincre. Le dernier titre, « The End », vient renforcer cette impression : départ en douceur avec longue introduction au synthé puis montée progressive en puissance, magistrale, grâce à la voix de l’Islandaise.  Avec ce deuxième album, Sólveig Matthildur poursuit son émancipation et s’affirme comme l’une des artistes les plus importantes de la scène dark wave et au-delà. Avec des mélodies accrocheuses, des « featuring » de qualité (elle partage le titre « I’m OK » avec Some Ember) et une authentique signature vocale, elle signe, en termes de dark wave, un des meilleurs albums de l’année.

****


Sopor Æternus: « Death and Flamingos »

27 mars 2019

Anna-Varney Cantodea, leader du combo précité, nous revient avec un disque qui va continuer à nous siurprendre ; Death and Flamingos rompt avec les habitudes de titres sombres et éthérés de Sopor Æternus en employant un vocabulaire musical beaucoup plus rock gothique old school. Bien sûr, on reconnaît pas mal d’éléments en fond (les cloches, tintements, le clavecin, une voix toujours aussi singulière…) mais c’est tout de même une sacrée transformation. Impossible de savoir pour l’instant si cette direction sera celle suivie par le projet à l’avenir, mais on se permet d’en douter. Ce disque sonne plus comme un hommage à ce que Anna-Varney Cantodea écoutait à ses débuts, une fantaisie rétro, composante du son de Sopor Æternus certes, mais plus récréative que sérieuse.

Et il faut bien avouer qu’on prend un peu de temps à se réhabituer à entendre des guitares si franches et un côté si rock (j’ai pas dit énergique, mais rock quand même) accolés à de vraies chansons. Et est-ce que ça marche ? Parfois très bien, parfois moins. Mais on ne se permettra tout de même pas de faire la fine bouche ; un magnifique « The Boy must Die », un épique « Vor dem tode träumen vir » ou un effrayant « Mephistophilia » auront tôt fait de nous convaincre du bienfondé d’une telle démarche, et que, surtout, quelle que soit la forme qu’il lui donne, Sopor Æternus est pourvoyeur de titres obsédants et uniques. Alors qu’il choisisse de revenir à son gothique neo-classique / baroque ou de rester quelques temps patauger dans la fange death rock, nul doute que ses fans sauront le soutenir !

****


Dance With The Dead: « Loved To Death »

14 décembre 2018

Ce que l’émergence d’un style a de bon, c’est qu’elle permet de déloger des cavités certes confortables mais cavités quand même les anciens de la scène, ceux qui ont contribué à la créer et la faire perdurer durant des années et qui souvent ne sont pas ceux qui récoltent les fruits d’un subit (re)gain de popularité. Aujourd’hui, alors que sort le huitième album studio des américains de Dance With The Dead, il est temps de se pencher sur leur cas. Nous avons donc ici un duo californien qui pratique une synthwave à large tendance dark, mélangeant rythmique synthwave / dance-pop à de grosses influences metal, à renfort de guitares hurlantes.

Ajoutez à ça l’habituelle imagerie horrifique, et vous aurez une idée assez précise de ce que je tiens entre les oreilles. A ceci près que tout ça est conçu avec une expérience certaine, même si le duo est relativement jeune (formé en 2013), et donc Dance With The Dead sait comment placer ses pions sur l’échiquier de la dark synth pour garantir à ses fans à la fois de la personnalité et des titres percutants. Etant donné les références cinématographiques, la comparaison avec un Carpenter Brut s’impose, mais les deux formations tracent des sillons différents bien que parallèles. Loved To Death est un album bien calibré, et équilibré entre titres enlevés et autres plus calmes (l’ensemble restant assez énergique). Pas le meilleur album du groupe mais un bon disque tout de même.

***