Everything Everything: « Re-Animator »

12 septembre 2020

Les héros art-pop de Manchester apprennent à faire la lumière sur la sélection de onze titres Re-Animator, d’une grande créativité. Ce cinquième disque du groupe se veut inspiré, dépassant la dystopie mondiale de Get To Heaven de 2015, tout en retraçant les touches personnelles qui ont fait de l’ensemble A Fever Dream nominé aux Mercury en 2017, un véritable rêve.

Le générique « Lost Powers » louvre l’album sur un cri d’alarme, avec les superbes notes de falsetto de Jonathan Higgs qui se mêlent à quelque chose d’un peu plus brut. Puissant et lettré, « Big Climb » utilise des couches de pop béatifique, avant de culminer dans ce plaidoyer désemparé : « J’ai peur qu’ils nous tuent tous… » (I’m afraid they’re gonna kill us all…)

Disque mince et tendu tout en permettant une incroyable ampleur, Re-Animator est animé par un réel sens de l’objectif. « It Was A Monstering » traverse Radiohead de l’époque Kid A, illuminant ainsi l’humanité, tandis que la pop synthétisée de « Planets » aspire à une évasion en gravité zéro dans sa touche mélodique.

« Arch Enemy » est, quant à lui, imprégné de la monstrueuse paranoïa de 2020, mais le groupe vise ici à être plus direct. Refusant de tirer sur la corde, les gants de Everything Everything ont beau être décorés de paillettes, ils sont ciselés par des contreforts en acier avec un Jonathan Higgs qui crache pratiquement ses mots.

Cela ne signifie pas, toute fois, que Re-Animator est un disque politique – du moins, pas dans le même sens que Get To Heaven. Au contraire, il semble être un concertina des meilleurs travaux du groupe – « In Birdsong » est charmant et quasiment angélique dans son expérimentalisme digi-pop, tandis que « Violent Sun » voit chacun de ses sens s’ouvrir vers l’extérieur en une sorte de surcharge mélodique.

Re-Animator est un disque d’une puissance soutenue qui rassemble les meilleurs éléments du groupe, offrant quelque chose de complexe mais d’accessible. Parade étincelante de la future pop, éclairée par une vision personnelle, Everything Everything charme par une ouverture d’espriit dont on espère qu’elle perdurera encore longtemps.

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Klô Pelgag: « Notre-Dame-des-Sept-Douleurs »

11 septembre 2020

À la fin du deuxième chapitre d’une carrière à peine commencée, la détresse psychologique a conduit Klô Pelgag à une difficile introspection dans cette existence qui est la sienne, et qui sera la sienne pour longtemps. Admettons qu’il en soit ainsi, car elle a le talent et le pouvoir nécessaires pour déconstruire son art sans le nier, pour le reconstruire, pour le faire vivre toute une vie et plus encore. Pelgag sait parfaitement que ce n’est jamais acquis pour personne : il faut du courage pour se relever après les gifles et toutes les grandes incertitudes, pour lâcher prise, pour faire tomber le nombrilisme, pour aller de l’avant, pour faire de sa douleur un carburant pour la création. Notre-Dame-des-Sept-Douleurs incarne une transformation importante dans le troisième chapitre : Klô Pelgag devient la compositrice, parolière, arrangeuse, coproductrice de son œuvre, de surcroît chef d’orchestre, seule maîtresse à bord. Elle s’autorise même des arrangements ambitieux pour la pop de chambre, une tâche complexe autrefois confiée à son frère Mathieu, éduqué et formé à ce titre. L’écoute attentive de ses trois albums conduit à ce constat : sur le plan harmonique, ses arrangements pour cordes n’ont peut-être pas encore acquis la profondeur, l’ampleur et la contemporanéité de ceux de ses deux premiers albums, à quelques exceptions près – le final de « La Maison Jaune », par exemple.

Une écoute superficielle laisse plutôt l’impression d’une continuité, ce qui n’est pas exactement le cas, mais cette œuvre présente les germes d’un discours orchestral distinct, et nous excluons ici les trois arrangements plus mûrs pris en charge par Owen Pallett, lauréat du prix Polaris (sous le pseudonyme de Final Fantasy) et proche collaborateur d’Arcade Fire. L’organisation des sons pour un big band (cordes, cuivres) est un apprentissage concluant, la dynamique dans un petit groupe diffère de ce que nous avons entendu auparavant de Klô Pelgag, ici on sent une nouvelle force se déployer, un esprit parfois rock. Mais ce qui est le plus remarquable dans cet album, ce sont les paroles et la voix qui les porte. Les mots sont organisés plus simplement, les explosions poétiques sont mieux mises en valeur, l’auteur ne ménage pas ses efforts et rogne pour le mieux. C’est certainement un album dont l’appréciation grandit avec le temps.

***1/2


Blaue Blume: « Bell Of Wool »

23 décembre 2019

Blaue Blume est un groupe danois d’art pop alternatif avec une profonde connexion au romantisme de la scène britannique du début des années 80. En faisant référence à des artistes tels que Talk Talk, The Smiths et Cocteau Twins, il est clair que leurs influences se situent dans les aspects plus sensibles et magiques de la musique – et les éternelles questions de l’amour, de la vie et de la mort. Après deux « singles » (« Lovable » et « Vanilla »), l’album Bell Of Wool sort donc enfin. Il est convenablement enchanteur du début à la fin. Deux thèmes dominent l’opus ; l’obscurité et l’aventure. Le disque ayant été principalement réalisé avant que le chanteur Jonas Smith ne glisse dans un épisode dépressif, les paroles et les humeurs de l’album dessinent des images de l’obscurité, de l’anxiété et de la tension qui marqueront la dépression de Smith.

MUsicalement le disque sonne loin de tout ce qu’ils ont fait auparavant. L’indie, l’électro pop et le rock sont sortis, et à la place, l’album est fait de synthés doux et lumineux, comme une aube et un ciel transformés en sons. Même sur les traces de leur travail antérieur, comme l’acoustique « Rain Rain », le synthé entre en jeu et gonfle la chanson en en faisant ne composition grande et majestueuse. L’ouverture « Swimmer » introduit l’auditeur dans la douceur et la subtilité du nouveau son, tandis que des chansons comme « Morgensol » et « Bombard » montrent le groupe dans sa plus grande dimension et évoquant quelque chose de plus imposant.

***1/2


J. McFarlane’s Reality Guest: « TA DA »

9 décembre 2019

Martin Frawley de Twerps s’est lancé en solo ; Julia McFarlane, la guitariste du groupe,a, elle aussi, quitté le navire, en proposant son premier album sous le nom de J McFarlane’s Reality Guest.

Un point est à souligner, l’ex-Twerps s’éloigne de la jangle-pop qui a fait la renommée du groupe australien. Ici, J McFarlane’s Reality Guest s’aventure vers des contrées art-pop et proto-pop avec une dose de post-punk digne de Kleenex, Oh-Ok ou encore de Confetti. Il n’y a qu’à juger l’introduction instrumentale bien incongrue nommée « Human Tissue Act » avant que la voix de l’Australienne ne prenne le dessus sur les arrangements DIY de « What Has He Bought » et de « Do You Like What I’m Sayin’ ? ».

Avec une production technique et des compositions inventives mais joueuses, TA DA s’avère être une prise de risque menée avec précaution. Lorsque des titres à l’image de « Alien Ceremony » et de « My Enemy » surgissent, J McFarlane’s Reality Guest établit une frontière entre l’accessible et l’expérimental. Le contraste est bien défini jusqu’à la fin du disque avec « Heartburn » et « Where Are You My Love » qui ont de quoi rappeler Tamsen Hopkinson dans sa démarche.

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Bruce Soord: « All This Will Be Yours »

14 novembre 2019

On ne présente plus Bruce Soord. Pour les non avertis, sachez qu’il s’agit du maître à penser de The Pineapple Thief, l’excellent groupe britannique de rock alternatif et progressif. Le combo a vraiment doté son groupe d’un style reconnaissable entre tous principalement du fait de mélodies vocales très personnelles générant une mélancolie alanguie même sur les titres les plus saturés du groupe.
All This Will Be Yours est son second effort personnel après un album éponyme déjà très réussi. Si Little Man avec The Pineapple Thief avait été composé suite au décès de son bébé né grand prématuré, cet opus solo lui a été inspiré par la naissance de son troisième enfant suscitant la sérénité de par la fragilité ensommeillée émanant de son berceau pendant que Bruce composait. Cet album est contemplatif car né d’une nouvelle vision sur la vie et le monde qui entoure Bruce. Il est forcément très personnel et mets en lumière le côté acoustique du personnage musical avec des mélodies d’une douceur infinie dans lesquelles on retrouve presque systématiquement sur chaque titre les fameux et langoureux chœurs reconnaissables entre tous qui sont la marque de fabrique de TPT (et bien sûr de Bruce). A cet égard, la plage la plus caractéristique est certainement « One Misstep ». Cependant, cette douceur générale cache des paroles qui, encore une fois, ne respirent pas la joie. Cette naissance lui fait mettre en perspective le monde autour de lui, fait de sirènes (présentes tout au long du disque), de pauvreté, de cris, de drogue, de mort aussi. Ce qui provoque cette distanciation réfléchie, ce calme qui pose les choses mais qui permet aussi, dans cet espace de tranquillité, d’énoncer des vérités sur ce qui se passe autour de lui.

L’album est conçu un peu à la façon des vinyles. Sa première partie que l’on pourrait nommer la face A paraît plus cotonneuse alors que la face B semble plus stimulée. Le côté saturé et métallique des morceaux les plus agressifs de TPT est pratiquement inexistant. La trame acoustique est appliquée de la première à la dernière note de cet album intimiste même si quelques doucereux soli de guitare y sont saupoudrés. Alors une certaine langueur s’égrenne lentement à son écoute comme sur « The Solitary Path Of A Convincted Man » exécuté sur un rythme lent de bossa nova. Cependant quelques reliefs plus rythmés apparaissent comme pour le titre éponyme qui déroule son groove suave. Également, « You Hear The Voices » est certainement le morceau le plus ambitieux de la galette s’animant sérieusement sur une rythmique percussive et synthétique. Il y a aussi des parfums de Porcupine Tree sur « Cut The Flowers » alors que les couplets de « One Day I Will Leave You » rappellent les débuts du Pink Floyd.

All This Will Be Yours est clairement une invitation à entrer dans la vie privée de Bruce qui pour l’occasion apparaît comme une pause dans le temps, certainement du fait de l’évènement évoqué plus haut. Ce voyage intimiste empreint de beauté et de douceur ne peut laisser insensible son auditeur.

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Operator Music Band: « Duo Duo »

8 octobre 2019

En 2017, Operator Music Band avait publié son dernier album intitulé Coordination. Le trio de Brooklyn récidive ici et il reste toujours aussi inventif dans un art-pop des plus originaux avec son deuxième opus nommé Duo Duo.

C’est à grands renforts de synthés analogiques et de rythmiques syncopées qu’Operator Music Band parvient à nous faire dresser l’oreille, que ce soit sur l’introduction bien rythmée « Slim Spin » ou avec l’aventureux « Mondo » qui suit. Le groupe new-yorkais continue d’élargir sa palette et marcher sur les voies de l’expérimentation avec d’autres titres de haute volée comme « Practical Action » et le dansant « Income/Outcome » montrant Jared Hiller et Dara Hirsch totalement inspirés en nous faisant réflechir.

On ne sera pas au bout de nos surprises quand Duo Duo regroupera également d’autres trouvailles originales comme les allures lounge de « Rex » qui contrastent aux textes plus vindicatifs et personnels. Que dire en plus du bien trippy « Trippple » et la conclusion nommée « Juice » avec son riff entêtant et le tandem vocal Hiller/Hirsch qui n’en finit jamais de faire des siennes ? Tout ceci noe pqut que confirmer qu’Operator Music Band en a encore beaucoup sous la semelle, que ce soit en duo ou en trio ou même en solo.

***1/2


Cate Le Bon: « Reward »

28 mai 2019

Cate Le Bon est tout simplement une des artistes les plus brillantes de la scène galloise. Trois années après son Crab Day qui était déjà un opus emblématique, la musicienne reste toujours aussi prolifique et intrigante puisqu’elle a posé sa patte sur les disques de Deerhunter ou Tim Presley.

Sa nouvelle œuvre solo se nomme Reward, un disque sur lequel elle a décidé de faire tomber le masque. C’est en s’éloignant de tout pour aller chercher de l’inspiration du côté du parc national du Lake Districk dans le Nord-Ouest de l’Angleterre qu’elle a pu donner néissance à au disque. Son art-pop s’y montre des plus touchants et des plus maîtrisés comme l’atteste les trois premiers titres aussi bien mélodiques que doucement mélancoliques que sont « Miami » avec une guitare synthétique et quelques notes de saxophone mais également les lumineux « Daylight Matters » et « Home To You » qui met en valeur l’interprétation plus que vulnérable de la musicienne galloise.

Même si son aspect avant-gardiste est totalement dilué sur cette dernière sortie, elle n’hésite pas à faire appel à son côté freak et étrange sur « Mother’s Mother’s Magazines » rappelant les ambiances dignes du Low de David Bowie sans oublier « Here It Comes Again ». Bien évidemment Cate Le Bon n’est pas tout à fait seule dans cette « retraite spirituelle ». Elle a fait appel à Stella Mozgawa de Warpaint, Josh Klinghoffer de Red Hot Chili Peppers mais également Stephen Black et son éternel collaborateur Huw Evans.Pour coronner le tout, on reconnaîtra également la voix de Kurt Vile sur l’art-pop binaire et gentiment bancal « Magnificent Gestures ».

Pour le reste, on se laissera bercer par la douceur et l’étrange mélancolie des morceaux comme « Sad Nudes » mené au piano ou encore la touchante conclusion qu’est « Meet The Man » où piano et saxophone sont mis à l’avant. Parfois se couper du monde pour mieux se ressourcer, cela amène à du bon. Cate Le Bon l’a très bien compris et elle fera de Reward restera une de ses œuvres majeures.

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Modern Studies: « Welcome Strangers »

18 mars 2019

Vers la fin de l’année 2017, Modern Studies avait fait ses premières preuves avec leur premier album intitulé Swell To Great. S’en était suivie, pour le groupe de Glasgow une certaine consécration avec ses compositions à mi-chemin entre chamber-pop et indie folk. Cela lui a suffi popur décrocher unevéritable contrat d’enregstrement et de nous offrir un successeur : Welcome Strangers.

À partir de cela, Modern Studies séduit par leurs morceaux cinématographiques dont l’introduction splendide du nom de « Get Back Down » où les cordes et cuivres se mêlent à travers des textures chatoyantes et de l’interprétation ensorcelante d’Emily Scott contrastant à celle de Joe Simillie.

On ourra également noter des titres qui nous plongent dans cet univers plus particulier mais fortement attachant à l’image des chaleureux « Mud and Flame », « It’s Winter » et « Horns and Trumpets » où l’alchimie entre les différents groupes se font parfaitement ressentir.

Welcome Strangers regroupe également des moments élégiaques tels que « Young Sun » et « Fast as Flows » montrant que Modern Studies s’éloigne des étendards indie folk pour une pop arty inventive mais toujours captivante.

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Ben Shemie: « A Skeleton »

17 février 2019

Chanteur, parolier, guitariste, compositeur, artiste central du groupe art-rock-électro Suuns, le Montréalais Ben Shemie lance cette semaine A Skeleton, sommairement décrit comme «un album pop expérimental aux sons synthétiques froids avec des touches de psychédélisme».

Enregistrés et mixés par Dave Smith aux studios Breakglass, les 10 titres de cette production lo-fi ont été conçus sans surimpressions.

L’idée était de conserver toutes les empreintes laissées aléatoirement, Ben Shemie souhaitant ainsi évoquer «l’imprévisibilité et le chaos» du geste créatif.

Il y a notamment exploré les effets de réverbération générés par sa lutherie électronique. À travers ses textes de chansons, l’auteur se projette dans un avenir pas très éloigné de notre présent, mais bien assez pour illustrer ce pressentiment: l’intelligence artificielle dominera la vie humaine au point de faire de l’art.

Un peu plus précisément, l’album raconte les errances aléatoires et les rêveries métaphysiques d’un squelette, entité neutre devenue la muse de la machine, dépourvue de sexe ou de race.

Encore plus précisément, la poétique de l’album se fonde sur l’impossibilité de comparer les charpentes humaines une fois débarrassées de leurs couches musculaires.

Après tout, nous finissons tous en squelette… à moins d’opter pour l’incinération. Qu’en sera-t-il bientôt? Ben Shemie y a, on dirait bien, songé.

***1/2

 


Petra Glynt: « My Flag Is a Burning Rag of Love »

21 décembre 2018

Comment allier amour de la rave et appel à l’action politique se demande constamment une large portion de la population. Petra Glynt, artiste électro-dance-punk semble détenir sa réponse sur son second album.

La chanteuse et productrice qui est dotée d’attributs vocaux franchement impressionnants, se fait maîtresse de cérémonie à la fois présente et absente, insaisissable, à l’intérieur de ce monde baroque et touffu où les temps morts sont plus que rares.

Elle les façonne à grands traits de bidouillages, un peu coldwave (« I’m Watching You), » un peu euroclash. Il y a du Grimes (« Legacy ») là-dedans, mais aussi un peu d’of Montreal dans la percussion. Glynt est comme une Kate Bush de l’ère Internet : une mystérieuse sirène du vibrato. Sauf que celle-ci parle de la crise de l’eau à Flint et du mouvement #MeToo ayant déménagé sur un dance floor.

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