Steven James Adams: « Old Magick »

1 juillet 2016

Pour faire de la bonne musique il suffit simplement des bonnes idées, les compétences nécessaires à les mettre en place et la confiance à vous faire aborder le travail en studio.

Cela exclut derechef l’accompagnement d’une dizaine de musiciens de sessions pour les arrangements, un producteur trop intrusif dans son entreprise de polissage de l’instrumentation et un œil cyniquement fixé sur le hit-parade.

Steven James Adams et son nouvel album, Old Magick, en est justement la preuve tant il frappe par son climat dépouillé. Le chanteur et leader de The Broken Family Band disait vouloir réaliser un disque minimaliste dans son instrumentation ; c’est chose faite mais il ne s’agit pas ici d’un opus dont l’impact serait a minima.

Old Magick nous remet en mémoire la puissance que la musique acoustique pouvait générer quand les morceaux étaient axés sur nos peurs et frustrations. « Togetherness » évoque la façon dont nos société traite les personnes issues d’autres pays de manière suffisamment accessible et accrocheuse pour que n’importe qui puisse s’y reconnaître. Ce point de départ sera confirmé par un « King of the Back of the Bus », une autre composition phare où l’insouciance de la jeunesse passent insensiblement au stade de la maturité.

Old Magick est une leçon de vie qui illustre la notion de ne hjamais considérer les choses comme acquises et de les savourer quand nous en avons encore le temps.

***1/2


Annah Cohen: « Pleasure Boy »

10 avril 2015

Malgré un titre, Pleasure Boy, et une pochette où elle apparaît comme plutôt aguicheuse, Hannah Cohen n’a rien d’une nymphette sexy et écervelée. Ce deuxième album, bien au contraire, confirme qu’elle est la singer-songwriter de talent que les débuts avec Child Bride avaient laissé pressentir.

Elle s’est à nouveau associée avec le producteur Thomas Bartlett (David Byrne, The National et Antony Hegarty) qui assure également les claviers mais qui sait surtout parfaitement , et celui-ci sait mettre parfaitement en valeur le paysage éthéré de Cohen.

On perçoit immédiatement que Pleasure Boy est un disque de rupture dans lequel le lyrique et le personnel sont soigneusement imbriqués avec une honnêteté émotionnelle qui ne se dément pas. L’orchestration est soignée, particulièrement aérienne sur la guitare, et elle contraste plaisamment à la douleur évidente qui a donné naissance à l’album. Il n’est que de l’entendre psalmodier « Tell me her name, tell me her name / was she worth it ? » sur le refrain désabusé qui ouvre le disque, « Keepsake », pour apprécier sa manière de subvertir une mélodie accrocheuse et d’annoncer ce qui de quoi la suite sera constituée.


« Watching You Fall » jouira d’un arrangement plus traditionnel (batterie directe, effets plus légers) pour évoquer des émotions comme la pitié, le regret de n’avoir qu’effleuré la satisfaction que chacun peut ressentir quand son ancien partenaire a entamé une nouvelle vie amoureuse. « Lilacs » jouera sur cette confusion des sentiments quand la douceur laisse peu à peu place à cette intensité de vengeance tranquille qu’on peut parfois éprouver.

« Clarement » sera dépouillé et délicatement agencé pour former une association fluide avec « Quuen of Ice » qui précédera le poignant « torch song » « Take the Rest » dont la percussion profonde accentuera le caractère dramatique. Cohen semble ici succomber au désespoir et à la résignation avant que le « closer » « Baby » illustrera à merveille l’expressivité d’une voix qui, au milieu des tourments, ne tombe pas dans l’affliction en cultivant une once subtile de second degré.

Malgré seulement huit compositions, Pleasure Boy s’avère être un album complet et accompli. Entendre Cohen mettre ainsi son âme à nous ne peut déclencher une empathie car elle le véhicule avec distinction, grâce et sensibilité délicate, chose que personne n’est assuré d’être en mesure de faire.

****


Blake Mills: « Heigh Ho »

17 octobre 2014

Blake Mills est compositeur, musicien de session (Beck, Andrew Bird ou Neil Diamond), guitariste (Rick Rubin et T Bone Burnette font souvent appel à lui) et producteur (ZZ Top, Conor Oberts, Alabama Shakes) plus que renommé, quelqu’un dont même Eric Clapton a vanté les mérites ? Bref, Mills n’a pas besoin de s’afficher comme guitariste, d’autres lui font sa promotion.

Pour son deuxième album, Heigh Ho enregistré aux légendaires studios Ocean Way à Los Angeles, dans une pièce construite pour Frank Sinatra et où ont enregistré Dylan, Ray Charles ainsi qu’une pléiade d’autre musiciens. Auto-produit, le disque référence plusieurs genres sans qu’on puisse pour autant dire qu’il appartient à l’un plutôt qu’à l’autre.

Pour cela, Mills a demandé une aide aussi prestigieuse et diversifiée que les styles qu’il voulait aborder : Jim Keltner, Don Was, Jon Brion, Benmont Tench, Mike Elizondo et Fiona Apple avec qui il s’offre deux duos : le « single » folk « Don’t Tell Our Friends About Me » aux délicieux arpèges et le bucolique « Seven ».

Plus que toute autre philosophie c’est la simplicité qui règne ici. Les percussions sont légères et languides et la guitare principalement acoustique. Il sait pourtant faire résonner avec fluidité les deux accords auxquels on s’attend au sortir dune mesure ou faire entendre son nasillement country au moment opportun.

« Shed Your Head sera, par contre, un long riff comme pour établir une transition avec la chaleur qui émanait des 10 plages précédentes sans que, pour autant, une note non nécessaire ne se fasse entendre. Musicien de session réputé, Blake Mills est en train de devenir un vénérable artiste qui n’a pas besoin de prouver qu’il est un virtuose mais un guitariste qui crée son propre style et un son qui n’a rien à voir avec les envolées acrobatiques associées en général aux « guitar heroes ».

***1/2


Mark Lanegan & Duke Garwood: « Black Pudding »

17 mai 2013

Depuis la séparation de Screaming Trees, Mark Lanegan a toujours su s’entourer de collaborateurs Queens of the Stone Age, Greg Dulli, Isobel Campbell…) ; aujourd’hui c’est avec le multi-intrumentiste londonien Duke Garwood qu’il s’associe pour Black Pudding.

Garwood pourrait être considéré comme l’équivalent britannique de Ry Cooder de par sa manière cinématographique de déployer des arpèges de guitare poussiéreux, registre on ne peut plus approprié à celui de Lannegan que l’album semble parfois être plus un disque de Garwwod que l’inverse.

Deux instrumentaux, « Black Pudding » et « Manchester Special » encadrent d’ailleurs le disque même si celui-ci est,ailleurs ponctué par le baryton caractéristique du chanteurs. Garwood y intercale également ses propres plages vocales, plus discrètes et se concentre avant tout sur des arpèges dont la complexité nourrit l’intensité des compositions. L’instrumentation peut être dépouillée, comme sur « Last Rung », ou plus atmosphérique avec le fantomatique « Sphinx », le climat va rester chargé voire funéraire. « Death Ride » ou « War Memorial » vont exemplifier cette humeur macabre et un des titres les plus marquants, « Mescalito », nous embarquera dans un univers tex-mex ou la mélopée itérative de Lannegan, les accords plaqués et répétitifs de Garwood transforme le lent cheminement de ce titre  en un mantra hypnotique dont la destination est comme implacable.

La seule exception sera un « Cold Molly », funky et presque sexy dans lequel la voix lugubre de Lannegan sera contrebalancée par la basse élastique et la travail à la slide de Garwwod.

Il en faudra plus néanmoins pour se détacher de la qualité solitaire véhiculée par Black Pudding. A-t-on d’ailleurs envie de s’en échapper tant celle-ci est nimbée d’une chaleur admirable ? Celle-ci est, en effet, traduite par les petits accidents de parcours qui englobent les compositions : qui une guitare légèrement désaccordée, qui un bois presque dissonant. Il suffit alors de ce peu supplémentaire pour que l’émotion transpire ainsi au travers de ces morceaux aux confins du morbide : Black Pudding en est la splendide démonstration.

★★★★☆