Adam Geoffrey Cole: « The Tracks of the Afterlander »

31 octobre 2022

Sous le nom de Trappist Afterland, Adam G Cole s’est taillé un catalogue intransigeant et souvent excitant de folk spirituel acide qui tisse des signatures temporelles orientales, des drones éthérés et des voyages audio méditatifs, qui ont abouti à Seaside Ghost Tales en 2020. Le double album culmine dans une série de chansons qui semblent en désaccord avec ses performances live, et avec le plus grand des respects, on a l’impression que Cole a exorcisé toutes les possibilités sonores de son domaine trappiste avant de s’en débarrasser dans un acte de transcendance audio. 

Les pistes dépouillées de l’Afterlander sont un antidote parfait à l’édition ultérieure du Trappist Afterland, se limitant à des instruments à cordes soigneusement sélectionnés et supprimant les nombreux instruments de percussion. Cela permet aux compositions d’Adam Cole d’avoir de l’espace pour respirer et, en effet, avec beaucoup de chansons revisitées, une chance d’apprécier leur brillance sans le bagage sonore supplémentaire qui a fait que ses sorties précédentes s’insèrent bien dans le paramètre folk acide. 

The Tracks of the Afterlander montre également la subtilité du jeu de Cole et la façon dont il a trouvé sa voix en tant qu’instrument, avec des murmures et des chuchotements agréables qui s’intègrent parfaitement à son travail instrumental sûr. Une autre observation qui devient évidente est la façon dont Cole s’est concentré sur l’écriture de fils concis, avec la moitié des pistes qui font moins de 3 minutes. S’agit-il d’un exemple de Cole se lançant dans la pop baroque acoustique ?   

Cela ne va en aucun cas polariser l’auditeur, car les morceaux les plus longs (notamment « Clay Sparrows » et « Man of Sorrow ») conservent leur brillance médiative et fonctionnent encore mieux comme des exercices de voix et de guitare avec seulement le plus subtil des soutiens, fourni par Anthony Cornish, collaborateur de longue date.

Cette régression naturelle donne naissance à un album qui plaira aux fans actuels tout en attirant l’attention d’un nouveau public grâce à un son accessible qui conserve les nuances qui ont fait des précédents albums de Trappist Afterland des expériences uniques. The Tracks of the Afterlander ressemble à la quintessence d’un moment de Janus, regardant à la fois vers l’avant et vers l’arrière, et évaluant la bifurcation naturelle de la route qui aboutit à deux voies musicales à explorer davantage en toute confiance. Un album accompli.

***1/2


Trembling Bells: « The Sovereign Self »

1 juillet 2015

Avec un titre d’ouverture aussi vibrant et tourmenté que « ’Tween the Womb and The Tomb » servi par les vocaux cathartiques de Lavinia Blackwall qui semble mettre à nu une âme pour se réapproprier son être, on a une parfaite adéquation entre le fond, la quête existentielle, et la forme, une basse lourde et des grooves de guitares. Il faudra bien ces longues huit minutes conduites par du « delay » et de la distortion pour que l’on soit immergé dans cette expérience où se mêlent constructions énormes et jachères instrumentales, mélopées, improvisations, riffs crasseux et grincements de claviers.

Trois ans après leurs premières manifestations, Trembling Bells sont de retour sous la même forme acide« Killing Time in London Fields’ » arborera un riff incessant à une guitare électrique en pleine improvisation et l’énergie déployée semble inébranlable. The Sovereign Self demeurera trempé dans ce mélange de verdeur et de recherche d’originalité comme si il était important de maintenir la tension avec constance. Chose parfaitement maîtrisée pour qui appréciera la démarche.

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Howard Eynon: « So What If Im Standing In Apricot Jam »

8 janvier 2015

En 1974, un petit album est sorti en toute discrétion en Australie, album qui, même si il a fait quelques vagues hors de son pays natif, pourrait être un des nouveaux chefs d’oeuvre méconnus des années 70. Howard Eynon est né dans une petite ville britannique, St . Ives, et il a passé la majeure partie de sa jeunesse avec sa famille dans une ferme laitière de Tasmanie.

Au départ, Eynon rêvait d’être acteur et il c’est à Melbourne à l’âge de 17 ans qu’il l’entama. Il composait en même temps et on lui demanda d’écrire un morceau pour une pièce. Cela lui parit de passer du temps en studio et d’enregistrer ce So What If Im Standing In Apricot Jam devenu depuis album culte.

Le disque est, en effet, dans le style acid folk un véritable joyau. Il combine le facétieux, le fantaisiste et fantastique, le cérébral, le sarcastique et le politique, ou le tout simplement bizarre de manière aigüe, engageante et d’une étrangeté intrinsèquement ravissante.

Débutant sur un récit atypique, «  Wicket Wetdrop, Quonge and Me », l’opus va développer un climat folk alternant avec des orchestrations et une instrumentation propres à déclencher, à l’écoute, ce qu’il peut y avoir d’émotion vibrante en nous. Il touche à l’épidermique mais aussi à l’esprit et l’affect en un alliage qui aurait réuni les voix de Cat Stevens, Donovan et Bob Dylan.

C’est un album diversifié mais doté d’une vision mystique cohérente. « Vision Hill » est une composition folk orchestrée de 7 minutes à la narration parlée vantant les vertus de la nature, « Commitment to the Band » se veut une réponse à l’appel du vide préconisé par Sartre (constructions sociétales abandonnant toute responsabilité) avec son protagoniste debout devant un précipice et tenté d’y plonger alors que « Happy Song » est un morceau directement inspiré du Cat Stevens des années 70. Ajoutons un « Now’s the Time », folk pop aux délicieux arrangements à cordes, « French Army » profession de foi politique agressive accompagnée de cuivres lui donnant un tempo de marche militaire, « Gone to the Pine Tree » une mélodie parfaite sur un amoncellement de textes dont le non-sens surréalisteséduit et, enfin un « Hot B.J. » merveilleusement capricieux.

On peut se demander ce qui a fait que cet album soit passé inaperçu à l’époque où on n’était pas assiégé de sorties discographiques comme aujourd’hui. On restera sur ce mystère tout en se réjouissant de cette réédition qui, on peut l’espérer, ne subira pas le même sort que l’opus original.

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Ted Lucas: « Ted Lucas »

27 décembre 2014

Ted Lucas est un musicien de Detroit ayant passé décennies sur décennies à rechercher tranquillement la perfection musicale. Durant les années 60 et 70, il participa à de nombreux groupes de rock dans le Michigan, fut même musicien de session pour Tamla Motown (il a interprété une partie de cithare incroyable, et non créditée, sur le « Psychedelic Shack » des Temptations, a joué pour Stevie Wonder ou The Supremes) avant que le label ne décide de déménager à Los Angeles.  Il étudia également pendant quelques temps, le raga sous la houlette de Ravi Shankar et, avec son groupe « revival » folk, The Spike Divers, il ouvrit pour Zappa, Yes, Black Sabbath et les Eagles.

Il mourut en 1992 sans avoir cessé ses activités musicales ne laissant derrière lui qu’une documentation de ses oeuvres assez éparpillée et informelle, le seul produit construit en étant un album solo éponyme sorti en 1975.

Ce disque ressemble à de ces nombreux opus psyche-folk tels qu’on en en sortait à l’époque. Enregistré pour la plus grande part chez lui, il est divisé en deux parties ; la première est constituée de six titres dépouillés de folk psychédélique mesuré, la deuxième de deux instrumentaux et d’une longue jam blues.

Le côté direct de la face un est plaisant de par l’honnêteté qui semble l’animer. Sur «  Plain & Sane & Simple Melody », Lucas gratte doucement de sa guitare et nous invite à déguster la musique. La mélodie est simple et fraîche et cette constante se poursuivra sur les morceaux suivants, un « Baby Where You Are » entraînant comme une valse ou le côté chantant de « It’s So Easy (When You Know What You’re Doing) » ou « It Is So Nice to Get Stoned ». Sur un versant plus pensif on saura apprécier « Now That I Know » et « I’ll Find a Way (To Carry It All) », où les sentiments nostalgiques et brisés sont véhiculés avec cette douceur acide propre au psyche-folk

La face deux mettra en évidence « Sonny Boy Blues », un drone blues saisissant et « Love & Peace Raga » qui démontera son art à intégrer des sonorités hindouistes à la musique occidentale. Plutôt que d’accentuer ce mélange, Lucas va se servir d’arrangements tout simples comme pour montrer qu’on peut trouver la même émotion dans la frénésie d’un raga qua dans un refrain folk. Terminer ainsi est une façon de renforcer la thématique d’idéalisme et de compassion si typique de l’époque. Celle-ci court tout au long d’un disque qui se distingue encore aujourd’hui de bien d’autres par ses arpèges délicats à la guitare, son exotisme éclectique et ses climats pris en accords mineurs pour mettre en valeur une voix calme et légèrement rauque malheureusement disparue et injustement oubliée tant autant que cet album dont la réédition est une des merveilleuses nouvelles de cette année.

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Wooden Wand: « Farmer’s Corner »

12 mai 2014

Farmer’s Corner est le nouvel album du prolifique James Jackson Toth. Enregistré lors de ses voyages lors de 6 sessions différentes dans de multiples états mais la participation constante de Darin Gray à la basse et des William Tyler et Doc Feldman.

Ce refis de se conformer aux canons de l’industrie musicale permet de nous délivrer un disque à l’atmosphère relâchée mais avec un son unifié traversant diverses frontières musicales.

Ainsi « Alpha Dawns » ouvrira sur un nuage de bios éléctroniques avant de s’installer confortablement dans des loops au grooves country (banjo, pedal steel). « Uneasy Peace » continuera dans cette veine « americana » avec un blues lo)fi sur 12 mesures, même si certains puristes pourraient se plaindre de l’intrusion de guitares électriques.

« When The Trail Goes Cold » offrira des modulation en modes majeur et mineur ; chanson, d’amour au tempo assez enlevé mais en même temps rêveur. « Adele » interviendra en contraste par ses riffs et des vocaux en harmonies qui ne seront pas sans évoquer J.J. Cale.

Le « single » « Dambuilding » était selon Alex « une musique sur laquelle regarder le soleil se coucher à la fin d’une longue journée d’été » et cette description est parfaite avec une guitare frappée doucettement apportant une humeur fraîche et presque désinvolte entrecoupée par la verdeur d’une pedal steel.

Les morceaux alterneront ainsi avec bonheurs climats différents entre refrains country et tempéraments plus rock montrant la facilité avec laquelle Wooden Wand est capable de se lâcher de diverses manières sans que les collisions styllistiques ne plombe Farmer’s Market. L’intégrité du contenue restera intacte et c’est sans doute un des plus chauds candidats pour un top 10 idéal consacré à l’« americana ».

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Tunng: « Turbines »

19 juin 2013

Le fait que Tunng sorte un cinquième album est assez surprenant dans la mesure où Mike Lindsey, le leader de ce groupe de « folktronica » puisque c’est ainsi qu’il a été caractérisé, est parti vivre en Islande et s’est réinventé sous le pseudonyme de Cheek Mountain Thief.

Ceci dit, une séparation officielle n’aurait pas fait grand bruit tant la carrière de Tunng était,depuis dix ans, restée confidentielle.

Turbines est donc un véritable disque et, peut-être en raison de ce cheminement resté « underground », il s’avère être leur album le plus accessible. Sur ses neuf plages, on les voit en effet mettre sous l’éteignoir les composants les plus expérimentaux qui leur avait donné cette étiquette hybride par les critiques, qualification qu’il avaient toujours accepté avec réticence.

Les chansons vont être plus immédiates, par exemple le « single » « The Village » avec sa mélodie infectieuse ou, dans un autre style, le titre phare « So Far From Here » dont la lente combustion est irrésistiblement addictive.

Il ne faudra pourtant pas se fier à ce type de considération, Tunng a toujours été capable de distiller enchevêtrement et dissonance à des compositions qui semblent chaleureuses et délicates. La complexité mélodique de « Follow Follow » devient très vite apparente, tout comme celle qui accompagne le rush avenant mais vertigineux de « Bloodlines » ou, encore, la façon dont la voix de Lindsay épouse celle de Ashley Bates sur « Once ».

Tunng donnent le sentiment d’être plus enclins à embrasser l’élément folk de leur musique mais les morceaux qui ferment l’album (« Embers » ou « Heavy Rock Warning ») conservent la signature dérangeante qu’ils ont toujours mise en avant. « Trip Trap » sera le titre qui leur ressemble le mieux avec son alliage d’electronica scintillante et de mélodie étourdissante ; il sera signe que Tunng sonnent toujours comme le meilleur d’eux-mêmes.

Ici, néanmoins, « The Village » est signe qu’il nous a conduit dans un endroit fictif, assez semblable ou Village Green des Kinks, avec pour différence qu’il ne se complait pas dans une utopie bucolique mais aborde des climats qui peuvent y être vecteurs de malaise, vague certes, mais prégnants.

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