Il est difficile de croire que Tegan and Sara en sont à leur dixième LP. Les sœurs jumelles Quin ont fait leur apparition à Vancouver grâce à leur quatrième album, So Jealous, sorti en 2004, et ont depuis été certifiées platine et ont remporté de nombreux prix. Leur nouvel album, Crybaby, a été créé en partie par Sara qui jouait avec une application d’échantillonnage.
Elles ont emmené des démos construites principalement à partir de ces boucles au studio avec le producteur John Congleton (The War on Drugs, St. Vincent). Avec Crybaby, les deux sœurs ne sont pas au mieux de leur forme. Les chansons écrites par Tegan, comme « Fucking Up What Matters », « Pretty Shitty Day » et « Smoking Weed Alone », donnent l’impression qu’elle traversait une période difficile.
Au sujet du titre de l’album, Tegan a dit qu’elle enviait la capacité des enfants à être des pleurnichards : « Je me sentirais mieux si je pouvais me jeter par terre et faire une bonne vieille crise de colère. Et puis me relever et être totalement rétablie, parce que j’ai tout évacué de mon système. »
Cette attitude commence tout de suite avec le titre principal « I Can’t Grow Up », une chanson pop très entraînante. Si cet album a un défaut, c’est que Tegan et Sara se penchent trop sur les boucles vocales. Chaque composition de Crybaby est soit construite autour de boucles vocales, soit généreusement ornée de boucles vocales, mais sous ces boucles, on retrouve les mêmes solides compétences en matière d’écriture de chansons dont les deux femmes ont toujours fait preuve. « So lemme lemme get what I want/ And when you break it off/ Get me up and back to the start/ ‘Cause I can’t grow up »(Alors laisse-moi avoir ce que je veux/ Et quand tu romps/ Remonte-moi et recommence/ Car je ne peux pas grandir) , dit le refrain, et c’est une auto-critique cinglante, même si elle critique son partenaire : « You’re always cut-cut-cutting me off! » (Tu es toujours en train de me couper, de me couper, de me couper !)
Après le stress deu confinement les sœurs sont là pour se défouler, se défouler sur leurs proches et sur elles-mêmes. « Fucking Up What Matters » est optimiste et dansant, même si ses paroles expriment la dépression et le désarroi. « Je n’essaie pas de nous détruire, je déteste juste ce que nous sommes devenus/ Sans toi, je me sens vide mais autour de toi, je me sens engourdie »,( I’m not trying to destroy us, I just hate what we’ve become/ Without you, I feel empty but around you, I feel numb), chantent-elles sur un rythme propulsif et des synthés frénétiques.
Un des points forts de l’album est « Yellow », une chanson plus lente avec une accroche qui va droit au cœur. « Cette ecchymose n’est pas noire, elle est jaune. Mon cœur se brise, alors fais attention » (his bruise ain’t black, it’s yellow/ My sweet heart breaks, so be careful,), chantent Tegan et Sara. Si vous écoutez bien, vous pouvez entendre Luke Reynolds (Guster, Sharon Van Etten) à la basse et Joey Waronker (Beck, Elliott Smith) à la batterie tout au long de l’album, et bien qu’ils soient un peu en retrait dans le mixage au profit des boucles vocales, leur jeu est parfait et sert les chansons avec art.
Tegan et Sara jouent également avec la façon dont nous pensons que les émotions doivent sonner. « Pretty Shitty Time » a un côté jovial, presque country-western, mais les voix des sœurs se combinent pour exprimer des sentiments comme « Je n’ai jamais été très douée pour dire quand je souffre, mais je souffre maintenant ». « Under My Control » utilise une cadence confiante et un chant de pom-pom girls pour déclarer : « Je devrais recommencer à travailler sur moi-même/ Je dois maîtriser ces sentiments que je ressens en moi/ … » (I should start working on myself again/ Get these feelings that I feel within/ … Under my control). Toutes ces chansons sont très chargées en synthétiseurs, comme leur travail l’est depuis Heartthrob en 2013.
Il faut s’attendre à ce que Tegan et Sara, après tout ce temps dans la musique, continuent à chercher de nouvelles idées et de nouvelles façons de construire des chansons. Les boucles vocales sont nouvelles, mais les sons excessivement traités semblent plus gadgets qu’inspirés. Il serait intéressant d’écouter une version acoustique de cet album, comme celle que le duo a enregistrée pour « So Jealous » (intitulée Still Jealous), pour voir si les chansons tiennent la route sans toutes les cloches et les sifflets, car c’est probablement le cas.
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