La première chose à considérer à propos de Skullcrusher est son paradoxe apparent. Dirigé par l’auteure-compositrice-interprète Helen Ballentine et son collaborateur Noah Weinman, le projet folk-meets-ambient ne fait pas nécessairement penser à une situation menaçante ou dangereuse si l’on se fie uniquement à son nom particulier. Cela dit, les textures obsédantes qui imprègnent ses chansons élégantes et luxuriantes ont quelque chose d’intrinsèquement angoissant. Guidée par un simple strumming plutôt que par un fingerpicking complexe, la majeure partie de Quiet the Room sert de lieu de contemplation, d’identité personnelle et de beauté. Elle se trouve dans une position curieuse par rapport aux auteurs-compositeurs-interprètes d’aujourd’hui, car elle est moins portée par l’indie-rock confessionnel, mais elle n’est pas non plus liée au psych-folk des années 70 qu’elle imite parfois.
Un fond calme de sifflements entoure l’ambiance spacieuse de Ballentine, comme une extension naturelle de son environnement. Un thème qui se retrouve tout au long de l’album commence dès le début de Quiet the Room, alors qu’elle se demande si les non-dits peuvent être source de confusion ou de répression émotionnelle. Il y a aussi une qualité spectrale qui ne permet pas vraiment de savoir si elle parle des vivants ou d’un être spirituel, même si l’imagerie rurale de « Building a Swing » nous fait croire qu’elle pense au passé. L’utilisation d’un piano clairsemé et de cordes douces confère un effet apaisant à ce qui ressemble à des films familiaux regardés dans un état de rêve.
Ballentine explore également des scènes de sa jeunesse avec des détails saisissants, ajoutant des touches de réalisme magique pour donner une image plus complète de son monde intérieur. Elle rayonne positivement sur « Pass Through Me », l’un des moments les plus optimistes de l’album, curieusement réconfortée par une douce apparition qui veille sur sa fenêtre. « Outside, Playing » évoque également la douce innocence de Sufjan Stevens à l’époque de Seven Swans, un instrumental guidé par un banjo qui évoque parfaitement l’image de son titre, malgré ses sous-entendus inquiétants. Et alors qu’il insinue subtilement, une fréquence déformée vient brusquement perturber ce souvenir jovial. Les petites touches, des enregistrements audio de sa jeunesse aux balançoires et aux fenêtres qui grincent, éclairent davantage ses abstractions imaginaires.
De même, Ballentine module sa gamme vocale pour s’adapter à l’ambiance langoureuse. Elle s’en tient souvent à un frémissement chuchoté, quelle que soit sa portée, comme sur le bouleversant. « Lullaby in February, » qui joue un accord minimal sur un terrain glacé avant de se transformer en une pulsation sombre et caverneuse. Alors que sur le morceau-titre légèrement renommé, elle n’a pas encore trouvé de solution, bien que la clarté surprenante de sa voix implique qu’elle a trouvé une certaine perspective pour accompagner sa détresse. Il révèle une nouvelle facette de Ballentine, qui, d’un point de vue musical également, ressemble au jour et à la nuit si l’on considère les tons plus terreux de son premier EP éponyme.
Tout aussi transcendant et ancré dans la réalité, Ballentine nous rappelle la douleur et la merveille de retrouver une jeunesse perdue. S’il y a une chose qui freine le magnifique morceau d’ambiance de Ballentine, c’est le fait que Ballentine n’a pas encore développé sa propre identité musicale. Après avoir passé un certain temps avec lui, l’utilisation massive de textures ambiantes confère une préciosité globale qui détourne le centre émotionnel de l’album. Malgré ces défauts, Quiet the Room est un ajout digne de ce nom, comparable à The Magic Place de Julianna Barwick et We Walked in Song de The Innocence Mission, des rêveries folkloriques de chambre tellement ancrées dans leur propre petit monde qu’on peut pratiquement y vivre.
***1/2