Le titre de l’album de Lambchop, sorti en 1997, était tiré de Thriller de Michael Jackson. The Bible est un pari plus audacieux, car Kurt Wagner tente de localiser le cœur spirituel des Américains, dans une nation ébranlée, souillée et brutalisée. C’est un disque de réflexion, de réconciliation et de rébellion tranquille.
Musicalement, c’est de l’Americana au sens le plus large. Le mélange de l’attitude punk et des racines de Nashville de l’alt.country, que Lambchop incarnait à l’époque où il était un vrai groupe difficile à manier et pas simplement une marque pour les pensées poétiques opaques et humaines de Wagner, a cessé de le satisfaire depuis plusieurs albums. En adoptant l’électronique et la mutation par le vocodeur de sa voix caractéristique, il a cherché toujours plus loin dans sa quête pour échapper à l’épuisement créatif. De toute façon, il semble toujours chanter depuis une arrière-porche de Nashville qui s’assombrit, les peines de cœur et les ombres se rapprochant.
The Bible est un album subtilement implicite sur l’état de la nation, dès l’ouverture « His Song Is Sung », avec son prélude en lever de rideau, une musique d’art orchestrale qui sonne comme un triste lever de soleil. Wagner entre dans un bureau comme s’il inspectait une scène de crime, pour y trouver un corps affalé désespérément sur un bureau, et un bloc-notes contenant des secrets codés. Les scènes changent, les saisons tournent, les souvenirs réconfortent et brûlent, l’autoroute divise une ville comme le mur de Berlin, et des fanfares de cuivre glitchy éclatent contre la voix de Wagner, qui admet : « Personne n’est plus audacieux que moi » (No one’s edgier than I).
« Little Black Boxes » est un funk numérique desséché qui contient la dévotion d’un amant ; « A Major Minor Drag » est une chanson torche sociétale à combustion lente. La musique country est désormais une présence étrange et chatoyante – la guitare en acier serpentant à travers les harmonies berceuses de « Dylan At The Mouse Trap », Wagner confessant s’être introduit dans le « cercueil de Hank Williams » pour tisser ses visions dans « Every Child Begins the World Again », et la « ballade d’un nerd de la musique country » de « That’s Music », qui confronte le conservatisme du genre, amoureux de la NRA.
Le vocodeur est appliqué avec légèreté, le changement de registre vocal étant plus naturel que la rupture synthétisée, tandis que les phrases forment des couches suggestives sur un terrain musical mouvant. « Il faut une armée, nous ne sommes pas une armée, nous n’avançons pas », chante Wagner sur le balancement calypso de « Whatever Mortal », alors que les chanteuses soul réclament « pitié » et dénoncent le statu quo. « Police Dog Blues » rend cette consternation explicite, alors que le racisme policier est vu à travers un prisme de vignettes, et que ce chœur soul insiste : « Je suis furieux. » Là où Nixon (2000) a fait la réputation de Lambchop au Royaume-Uni avec sa vision country-soul expansive, ces chanteurs de gospel-soul incarnent la foi juste d’une communauté meurtrie.
« So There » est une prière séculaire, implorant « d’être doux, d’être honnête, d’être gentil/d’accueillir l’inattendu avec un esprit insatisfait ». C’est une prière à laquelle la Bible répond, en trouvant le mystère dans le battement de cœur de chaque âme et dans l’aube de chaque jour. C’est un album d’une majesté profonde, d’une recherche musicale diversifiée, de secrets enfouis qui fleurissent soudainement et de fils de soie d’une connexion inattendue. Cette musique met en œuvre un contrat social menacé et, à ce titre, la prière de Kurt Wagner pour une Amérique en ruine est à la fois un baume spirituel et le signe d’un désarroi profond.
***1/2