Pour tous ceux qui suivent sa carrière, l’annonce d’un nouvel album de Nina Nastasia après douze ans de quasi-silence mystérieux était un motif de réjouissance. Mais cette joie s’est vite estompée quand on a appris ce qu’elle avait enduré pour y parvenir.
Les faits sont difficiles mais nécessaires à relater : Le partenaire et collaborateur de longue date de Nastasia, Kennan Gudjonsson, était, semble-t-il, psychologiquement abusif et contrôlant au point que Nastasia se sentait vidée de toute envie d’écrire ou de créer. Mentalement malade, Gudjonsson s’est suicidé le lendemain du jour où Nastasia l’a quitté pour se construire un avenir meilleur et plus sain. Compte tenu de ce sujet douloureux et intime, il n’est pas surprenant que cet album soit un véritable album solo. Il n’y a ni batterie, ni cordes, ni scie chantante ; juste une guitare acoustique et une voix sans fioritures. Le résultat est encore plus dépouillé que Dogs en 2000 ou que sa collaboration intentionnellement dépouillée avec Jim White, You Follow Me.
Les motifs de guitare de Nastasia sont ici subtils mais sûrs, et malgré la lourdeur du sujet, ses mélodies glissent comme des pierres effleurées, chacune envoyant dans son sillage des ondulations délicates et sans fin. Le contraste entre ces cadences faciles et le sujet cru donne un disque difficile à décortiquer et souvent difficile à écouter malgré son charme facile et son accessibilité immédiate.
Riderless Horse est un disque de rédemption plutôt qu’un disque cathartique, et malgré toutes les épreuves mentales et émotionnelles auxquelles elle a survécu, Nastasia reste impartiale et philosophique. Elle démonte les fils effilochés d’un partenariat toxique d’une manière franche mais jamais méchante, en évoquant la nature fastidieuse de l’amour à un âge avancé (« l’amour est fatigant quand on est plus vieux / le chagrin et la folie vous rendent plus froid ») ou, avec le petit et dévastateur « Ask Me », la destruction mutuellement assurée de deux personnes qui savent qu’elles sont piégées dans un cycle de douleur et qui ne veulent ou ne peuvent pas s’en sortir.
Bien qu’ils soient capables de vous faire passer par l’essoreuse émotionnelle, les albums précédents de Nastasia n’ont jamais semblé aussi autobiographiquement sincères que ceux de beaucoup de ses pairs opérant dans le domaine de l’alt-folk singer-songwriter. Au lieu de cela, elle semblait s’occuper principalement de croquis d’observation : des vignettes de personnes condamnées, tristes, effrayées, pleines d’espoir dans la veine de Raymond Carver, Carson McCullers ou Eudora Welty. Riderless Horse présente un contraste immédiat en raison de sa focalisation claire sur l’intérieur et de ses descriptions brutes de sa propre relation qui se désintègre et de ses conséquences. De plus, il permet également de mettre en lumière certaines parties de son passé, rendant certaines tristesses, certains désirs d’évasion ou des aperçus de comportements excentriques et déraisonnables encore plus poignants maintenant que nous connaissons le contexte général.
Malgré tout le mal et le traumatisme psychique qu’il a pu causer, Nastasia ne minimise pas l’impact que Gudjonsson a eu sur sa musique et sa carrière. Elle note que ses attentes irréalistes ont servi à pousser, aiguillonner et intimider son art dans des directions qu’il n’aurait peut-être pas prises autrement. Mais ce que nous constatons ici, c’est que l’absence d’une telle figure ne diminue en rien le talent de Nastasia, sa façon de raconter des histoires ou la puissance de sa musique. Bien que ces chansons aient jailli plutôt que d’être éditées et gérées de façon interminable, elles sont indéniablement les siennes, tout comme celles qui figurent sur « The Blackened Air » ou « On Leaving ». C’est comme si, avec cet album, Nastasia avait non seulement récupéré sa voix et son envie de créer après tant d’années émotionnellement éprouvantes, mais aussi son autorité sur son art dans son ensemble.
En fin de compte, il y a, au fond, un étrange sentiment de joie à trouver dans tout cela, malgré toute la tristesse : un sentiment durement gagné d’évasion ou de libération, comme l’évoque le » cheval sans cavalier » du titre – ou, en fait, le simple et doux pop d’une bouteille que l’on débouche, qui ouvre tranquillement ce premier album en douze ans , un opus qui s’écoute parfois difficilement mais qui, témoignant d’expériences difficiles, est d’autant plus vital.
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