L’idée que l’on puisse interpréter comme de la musique tout son audible dans l’environnement qui nous entoure n’est pas un concept étranger pour nous. Pourtant, lorsque’on a entendu Cormac Culkeen, le chanteur de Joyful Joyful, se souvenir d’avoir chanté au son de son micro-ondes au début de sa vie on a hésité. Ce qu’on a compris instinctivement à ce moment-là, après s‘être plongé dans l’exultant premier album éponyme de Joyful Joyful, c’est que Culkeen fait partie de ces rares artistes qui doivent faire de la musique par nature. Ce n’est pas un hobby ou un intérêt pour eux ; c’est aussi fondamental à leur survie que de respirer, manger et boire. Culkeen a une âme sœur dans son collaborateur de Joyful Joyful, Dave Grenon. Les deux s’attirent comme des aimants, comme s’ils se complétaient l’un l’autre.
Il n’y a que cinq chansons sur Joyful Joyful, mais chaque composition renferme une myriade d’expériences musicales et d’expressions artistiques. Le duo qualifie ses chansons et ses sons de « drone hymns », mais cette description réductrice (mais raisonnablement précise) ne rend pas justice à leur musique. Il n’est pas non plus nécessaire de qualifier ce disque de « musique », car l’art de Joyful Joyful est bien plus large que ce seul moyen d’expression.
« Allons donc, renonçons à notre art, c’est blasphématoire » (So come now, let us renounce our art, it’s blasphemous), témoigne Culkeen dans « Oh Jubilation », « Car qu’est-ce que l’art comparé à votre peau et à des nuits comme celle-ci ? » (For what is art compared to your skin and nights like this ?). Jon a beau les entendre proclamer ces lignes, les poils sur la nuque e se hérissent. Culkeen dit que la chanson parle « de la vie qui insiste sur elle-même » (about life insisting upon itself), ce qui confirme notre théorie selon laquelle Culkeen et Grenon sont plus des conduits pour leur expression musicale que des compositeurs. Les champs sonores de Grenon – des terrains de jeux sonores luxuriants remplis d’enregistrements sur le terrain, d’échantillons vocaux affectés et de drones ambiants – servent d’espaces sûrs où Culkeen peut exprimer son homosexualité et sa fascination pour l’iconographie et les mythes religieux.
« Cecilia » invoque la patronne de la musique pour intercéder en faveur de l’humanité : « Si l’homme se tournait vers l’homme et comprenait / Tendait sa main et disait ‘Je vous comprends’. / Nous chanterions des chants de salut / Nous oublierions nos torts » (If man would turn to man and understand / Extend his hand and say ‘I feel ya.’ / We’d sing salvation songs / forget our wrongs . C’est beau et déchirant ; on n’entendra rien de tel que rarementu voire jamais. On n’écoute pas une chanson comme la plus proche « Sebaldus » autant qu’on la vit. Connue depuis longtemps par les fidèles de Joyful Joyful comme le final du spectacle live du duo, elle vous fera retenir votre souffle tout au long de ses douze minutes, de peur que le simple fait de respirer ne vous détourne de sa merveille. Le fait que « Sebaldus » soit la première chanson que Culkeen et Grenon aient écrite ensemble témoigne de la pureté de leur art et du puits profond de leur collaboration et de leur amitié. Si c’est là que Joyful Joyful a commencé, imaginez où ils doivent encore aller ?
Leur nom est peut-être une répétition, mais leur art est singulier. Que Joyful Joyful nous engloutisse longtemps dans leur chanson.
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