Avec le dernier enregistrement en trio de Johan Lindvall, les joueurs développent le terrain couvert dans No City, No Tree, No Lake en 2019, mais emmènent la précision agitée de Johan dans des directions légèrement plus sombres et plutôt rêveuses.
Les pièces de cet album ont toutes été écrites par Johan autour du piano, mais l’interaction entre les trois laisse entendre l’importance de chaque élément. À certains moments, le piano, la basse et la batterie s’entrechoquent, provoquant des plumes ébouriffées et de petites collisions, tandis qu’à d’autres, ils restent en retrait, laissant l’espace et le temps se mêler au jeu et permettant à l’auditeur de tisser ses propres impressions.
C’est un trio de jazz, en fin de compte, et « Give Up » présente une ligne de basse classique et fluide sur laquelle le piano pose une étrange roue libre en écho qui est subtile ; les regards amusés qu’ils affichent sur les photos de l’album se reflètent définitivement dans leur style de jeu. On a l’impression que c’est pour leur propre amusement et c’est un vrai bonus que l’auditeur puisse trouver autant d’attrait au résultat final.
Il y a un côté ludique dans le jeu du piano, dont le ton est haut et léger, mais qui produit souvent ce que l’on attend le moins. La basse d’Adrian Myhr, quant à elle, a le pied léger et se contente de passer un bras autour de l’épaule du piano pour se laisser aller à ses impulsions les plus folles. Le tout est rejoint par la batterie texturée d’Andreas Skår Winther qui fait allusion au rythme, mais qui s’intéresse davantage aux allusions et aux fioritures qui esquissent la toile de fond dans des tons impressionnistes et printaniers.
Leur ajustement est parfois maladroit, mais il y a un but à cette maladresse que l’on comprend progressivement au fil de l’album. C’est comme s’ils étaient si heureux de jouer ensemble qu’ils avaient juste besoin d’ajouter une touche de drame ou d’intrigue pour contrebalancer les choses. On peut presque sentir l’inquiétude face au temps qui passe dans le rythme effréné de « Listen », tandis que la chaleur rêveuse de « Getting Out » ressemble davantage à une couverture, avec le roulement et le tapotement de la batterie, un massage apaisant après une dure journée. Cette capacité à passer d’une humeur à l’autre rend le voyage agréable et les morceaux se terminent souvent au moment où l’on s’y attend le moins, ce qui vous donne envie d’en redemander.
Il y a des interludes à la Erik Satie qui se déroulent comme un matin d’automne et qui ne sont pas étrangers à la mélancolie de la fin de soirée, lorsqu’on boit un café à 3 heures du matin dans un bar miteux, en réfléchissant au monde et à ses méandres compliqués. Vers la fin, une foule enthousiaste encourage les joueurs et semble leur donner un peu plus d’élan, cette fois sous l’impulsion de l’initiative percussive d’Andreas. Il pousse les deux autres, son rythme s’entrechoquant comme les tasses de café sur les tables, les cloches semblant sonner à l’unisson.
La construction progressive et les motifs répétitifs du piano et de la basse sont une vision savoureuse d’un autre visage du trio, mais avant que vous ne le sachiez, This Is Not About You s’arrête agréablement. Il est, à ce titre, un album délicieux et vibrant qui, d’une certaine manière, vous fait réfléchir. Et cela ne peut être qu’une bonne chose…
***1/2