WE, le premier véritable LP d’Arcade Fire en presque cinq ans, semble un peu mince au premier abord. Comparées aux 64 minutes de The Suburbs ou aux 75 minutes de Reflektor – sans parler de l’édition deluxe de 102 minutes de ce dernier – les 40 minutes du nouvel album semblent particulièrement maigres. En fait, sans compter les singles ou la bande originale de HER, ces sept titres constituent la plus courte sortie du groupe canado-américain depuis son premier EP de 33 minutes en 2003.
Certains pourraient penser qu’un groupe – surtout s’il est aussi bien accueilli commercialement et par la critique – devrait avoir plus à offrir après une demi-décennie d’absence. Pourtant, WE ne montre aucun signe d’avoir été jeté pour une bouchée de pain ou bricolé comme un produit pour une tournée. Entre la production épurée de l’album et ses chansons claires et directes, on a l’impression que Win Butler, Régine Chassagne et les autres ont pris le temps de trouver exactement quoi dire et comment le dire. Cela rappelle la citation de Blaise Pascal : « J’aurais écrit une lettre plus courte, mais je n’ai pas eu le temps. »
Et finalement, c’est à cela que ressemble WE : Une lettre bien ficelée et sincère d’un vieil ami que vous n’avez pas vu depuis longtemps. Même s’il n’a pas les détails piquants et le pouvoir cathartique de The Dream d’Alt-J ou, surtout, d’Angel in Realtime de Gang of Youths, l’empathie et la bonne volonté de l’album lui permettent de passer le cap. Bien sûr, les mélodies solides et les rythmes enjoués aident.
De manière typiquement grandiloquente, Arcade Fire divise le LP en faces et sections avec des étiquettes imprégnées de présage. La première face, intitulée « I » (comme dans « me, myself, and »), se concentre sur le désespoir pas si tranquille de la vie pendant MAGA, COVID-19 et le changement climatique. La deuxième face, « We », appelle à l’unité, à la guérison et à la persévérance face à ce désespoir. Les compositions de chaque face portent des noms comme « End of the Empire I-IV ». Heureusement, toute cette pompe liturgique se dissipe dès que l’on appuie sur le bouton de lecture.
La face « I » commence par le thème « Age of Anxiety I ». Sur un piano doux et plaintif, Butler se lamente sur notre « époque actuelle où personne ne dort », peu importe la quantité de télévision que nous regardons ou le nombre de pilules que nous prenons. Des accords de synthétiseur fantomatiques planent en arrière-plan, comme les inquiétudes lancinantes que toutes nos commodités modernes ne parviennent pas à apaiser.
Mais à mesure que la musique enfle, le frontman semble puiser sa force dans la batterie régulière et la voix céleste de Chassagne. Le morceau se transforme finalement en un rythme disco palpitant. « Je dois faire sortir cet esprit de moi » (Gotta get this spirit out of me), gémit Butler alors que Chassagne flotte et tourbillonne autour de lui et que les accords de synthétiseur vont crescendo comme le soleil levant. Voilà, en résumé, le message de l’album : On ne s’en sortira qu’ensemble.
Mais ce message ne passe pas tout de suite. Le deuxième morceau, « Age of Anxiety II (Rabbit Hole) », montre Butler et Chassagne en train d’essayer à nouveau le confort des créatures de l’ère moderne. « Heaven is so cold », soupire-t-il, et les synthés glacés et le rythme robotique ne font rien pour apaiser son désespoir.
La face « I » se termine par le sombre « End of the Empire I-IV ». Piano, guitare acoustique et synthétiseur se rassemblent alors que Butler médite sur le déclin et la chute de l’empire américain. Le rythme solennel et quelques cordes qui s’évanouissent donnent au morceau une atmosphère funèbre.
Le premier single de l’album, « The Lightning I, II », donne le coup d’envoi de la partie « We ». Le grappillage urgent de Butler annonce la fin de la nuit noire de l’âme de la première face. « Nous pouvons y arriver si tu ne me laisses pas tomber/je ne te laisserai pas tomber » (We can make it if you don’t quit on me/ I won’t quit on you), promet-il tandis que le groupe marche à ses côtés. Lorsqu’ils se lancent dans un galop extatique à la Springsteen vers les trois minutes, c’est comme le premier jour chaud du printemps après un hiver long et froid.
Vient ensuite « Unconditional I (Lookout Kid) », aux accents folk, dans lequel Butler offre sa solidarité à tous les jeunes qui devront se frayer un chemin dans ce monde désordonné. « Fais confiance à ton corps/ Tu peux danser, tu peux te secouer » (Trust your body/ You can dance, you can shake), dit-il. Le rythme enjoué et trépidant les encourage à le faire.
Sur « Unconditional II (Race and Religion) », Chassagne promet une dévotion sans faille sur un groove sensuel et bouillonnant. « You and me/ Could be we », roucoule-t-elle. On peut lire cela de manière romantique ou politique.
WE se termine par la chanson titre, sobre et lumineuse. « I wanna get well, I wanna get free/ Would you wanna get off this ride with me ? » (Je veux aller mieux, je veux être libre/ Voudrais-tu descendre de cette voiture avec moi ?) demande Butler. Les guitares acoustiques qui résonnent laissent entrevoir les merveilles qui attendent l’auditeur s’il répond par l’affirmative.
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