Kranky, qui existe à Chicago depuis près de 30 ans maintenant, est l’un des labels les plus remarquablement constants qui soient. Ils ont aidé à définir le « post-rock » dans les années 90 avec des sorties importantes comme celles de Labradford et God Speed You ! Black Emperor, et ils ont sorti toutes sortes de postpunk, de rock psychédélique et de monstruosités électroniques, tout en conservant une identité esthétique unifiée.
Et tout en faisant tout cela, ils sont aussi discrètement devenus l’une des plus importantes plateformes de musique ambiante au monde.
Avec des artistes comme Loscil, Ethernet et Steve Hauschild, ils ont construit un catalogue de musique qui semble exister en dehors des flux et reflux des tendances electronica, riche et luxuriante dans ses atmosphères immersives, mais qui délivre une réelle complexité émotionnelle même si elle vous élève et vous éloigne des tracas quotidiens. Et c’est dans ce contexte que s’inscrit la musique de Jacob Long aka Earthen Sea, qui en est à son troisième album pour kranky.
Ce disque a été enregistré à New York lors des premiers confinements liés au Covid, et on peut y entendre l’isolement et l’intimité – tous les sons percussifs sont petits, comme le cliquetis d’objets domestiques, les crépitements de l’électricité ou le tapotement des meubles, tandis que des accords semblables à des nuages s’élèvent et tombent autour d’eux comme des humeurs et des pensées isolées. Beaucoup de ces accords sonnent comme du piano électrique, d’autres comme le tintement inversé de cordes de guitare, d’autres encore sont tout à fait synthétiques, mais tous, ainsi que les percussions, sont traités de manière à avoir une douceur de velours.
D’ailleurs, même le plus électrique des grésillements n’agite pas : tout ici est doux. Mais cela ne veut pas dire que c’est sans puissance. Comme dans toute situation d’isolement, les pensées peuvent s’emballer, et Long donne l’impression qu’une émotion forte est maintenue en stase, que les pensées s’égarent vers des territoires étranges, tristes ou même dangereux, mais qu’il suffit de les reconnaître et d’aller de l’avant plutôt que de s’y enfermer. Et dans ce sentiment, malgré l’isolationnisme de l’esthétique, il y a un rappel de l’humanité partagée, de la communauté même lorsque nous sommes déconnectés. C’est peut-être un disque doux, mais il est aussi très, très beau.
***1/2