Nous nous concentrons, de temps à autre,sur la musique dite « lourde ». Mais « heavy » n’est pas toujours synonyme de batterie double kick à grande vitesse, de guitares foudroyantes et de cris primitifs. Parfois, « Heavy » peut être un état émotionnel. Le sujet peut également être « lourd » et c’est le type de lourd qu’Emily Jane White apporte à la table dans son dernier projet artistique.
Le dictionnaire définit l’alluvion comme « le lavage ou l’écoulement de l’eau contre un rivage » ou « une accession à la terre par l’ajout graduel de matière (comme par le dépôt d’alluvions) qui appartient ensuite au propriétaire de la terre à laquelle elle est ajoutée ». Ce mot est un titre parfait et une description appropriée du dernier album d’Emily Jane White.
La musique vous submerge doucement et naturellement, mais avec toute l’intention d’une vague océanique. Enraciné dans un moment de catastrophe, Alluvion est un album sur le deuil personnel et collectif résultant de la perte de vies humaines et de la perte continue de notre monde naturel. Le chagrin se déplace par vagues et cycles, et à travers son inondation nous pouvons construire à nouveau.
Produit et arrangé par le multi-instrumentiste Anton Patzner (Foxtails Brigade, Bright Eyez), Alluvion a été écrit et enregistré au plus fort de la pandémie. Bien que la batterie de Nick Ott et les guitares de John Courage aient été enregistrées dans des studios en présence de toutes les parties, la plupart des instruments ont été enregistrés alors qu’Emily et Anton se trouvaient dans des endroits différents. Malgré la nécessité d’une distanciation sociale, ils ont réussi à développer un flux de travail cohérent en utilisant des méthodes à distance, liant l’enregistrement à l’intimité de la voix d’Emily, à la superposition méticuleuse des arrangements d’Anton et à un mixage exceptionnel d’Alex DeGroot.
Le premier titre et « single » « Show me the War » est palpitant et rêveur. Les guitares en écho et les synthétiseurs entraînants mélangent les tonalités du gothique des années 80 avec le groove et l’ambiance du trip-hop. Pensez à Portishead qui rencontre Siouxsie and the Banshees.
« Crepuscule » offre encore plus d’une vibration gothique des années 80. Le morceau se déroule de manière organique, avec la voix éthérée d’Emily qui le surplombe doucement. Sur le titre « Heresy », l’album prend une tournure un peu plus sombre. Nous entendons beaucoup des mêmes paysages sonores rêveurs et fantaisistes, mais avec un ton plus sombre.
« Poisoned », lui, offe une ambiance beaucoup plus folklorique que les compositions précédentes. On y trouve même un peu de country et on oserait même dire une influence rockabilly. Sur « Body Against the Gun », la voix mélodique et envoûtante de White s’ouvre sur une subtile accumulation de synthétiseurs et de tambours qui explosent en un refrain scandé. Beaucoup de refrains sur ce disque ont un aspect presque rock d’arène. Des percussions très simples et dépouillées, le type de rythmes sur lesquels un stade plein de gens pourrait taper du pied et applaudir.
« The Hands Above Me » rappelle beaucoup d’artistes gothiques. Cette chanson se vante également d’avoir des mélodies incroyablement magnifiques et superposées pendant le refrain. « Mute Swan » est construit sur une base de rythmes synthétiques ondulants qui se glissent furtivement sous les mélodies vastes et sinistres d’Emily Jane White, tandis que « Hold Them Alive » revient aux percussions minimales et aux mélodies de piano clairsemées qui aident à porter sa voix douce mais puissante. « Hollow Hearth » réunit, quant à lui, des harmonies chorales et un piano mélancolique avant de vous entraîner dans un autre gigantesque refrain digne d’un stade.
« I Spent the Years Frozen » offre probablement le plus grand changement de rythme jusqu’à présent sur le disque. Un rythme entraînant avec des éléments symphoniques, on retrouve toujours les styles vocaux caractéristiques d’Emily et son vaste refrain, mais l’ambiance de la chanson est très confiante, optimiste et, osons le dire,… victorieuse triomphante. La section breakdown avec les voix superposées de la chanteuse a’capella est magistrale, tout comme le retour à l’ambiance confiante et victorieuse de la chanson.
Et enfin, le titre « Battle Call » clôt l’album. La force est l’ambiance générale que j’ai ressentie dans cette chanson. Dépouillée et entraînante, elle ramène l’album à son point de départ avec « Show me the War » : « Tu es revenu de la guerre en rampant / La violence lave le rivage / Le passé est une cicatrice présente / Embodiment te connaissait avant » (You crawled your way back from the war / Violence washes the shore / Holding the past a present scar / Embodiment knew you before).
Ce morceau est la conclusion parfaite de cet ensemble de musique. En plus d’arborer cette sensation de générique de fin elle nous a donné envie de recommencer l’album et nous montre ainsique sa guerre mène maintenant à un nouvel appel au combat.
À ce stade, on ne peut qu’être séduit par l’esthétique éthérée, sombre, rêveuse et profondement authentique de White. Si vous êtes à la recherche de musique lourde ou heavy d’un genre différent, nous vous recommandons vivement d’écouter attentivement ce disque.
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