Kee Avil: « Crease »

Kee Avil n’est pas un individu, ni un groupe, mais plutôt un concept, un collectif, un projet, la création de la productrice et guitariste montréalaise Vicky Mettler. Son premier album, Crease, est présenté comme « l’expression singulière d’une logique onirique fracturée, concrétisée par une guitare postpunk ciselée, une électronique sinueuse de bas de gamme, une panoplie de micro-échantillons organiques et numériques créant un rythme tour à tour saccadé et propulsif, et l’intimité anxieuse de son lyrisme et de sa voix finement ouvragés ».

Tout cela semble assez grandiose et suscite de grandes attentes. Heureusement, Crease ne déçoit pas. Pour gérer ces attentes élevées, il faut établir ici et maintenant qu’il ne s’agit pas d’un album conventionnel, avec des chansons faciles aux structures couplet/refrain évidentes ou accessibles.

« See, my shadow » commence par des relents de la première PJ Harvey, mais se transforme rapidement en post-punk industriel avec des rythmes électro/hip-hop, plus proche de Lydia Lunch aux commandes de Coil remixé par Portishead. Il se passe beaucoup de choses en l’espace de quatre minutes, mais c’est tout à fait normal ici : Crease est aussi riche en idées qu’en étrangetés sonores. Ce n’est pas un album facile à appréhender, et Mettler s’y montre tout à fait différente. Certains pourraient dire folle, déséquilibrée, mais ce n’est pas ça. Il est juste évident qu’elle existe sur un autre plan, et , ainsi, l’album évite les structures conventionnelles pour explorer des voies d’écriture qui reflètent plus étroitement une vision et un concept alternatifs des « chansons ».

 

On ne veut certainement pas dire que c’est une critique, mais, en disant que c’est de l’art, c’est fondalement supérieur. Si c’est supérieur, ça ne l’est pas pour cette raison ; Crease est clairement le produit d’un état d’esprit assez spécifique, et d’une détermination à trouver un moyen de s’exprimer. Et parfois, pour articuler, il faut aller au-delà du langage et des structures musicales conventionnelles. Ainsi, ce que le disqueexprime, c’est une séparation du reste du monde, l’agitation de l’esprit, la dualité du monologue interne.

« Drying » est clairsemé, buggé ; un cliquetis et un pop de percussions fournissant un cadre erratique pour l’instrumentation accessoire et le chant ralenti, opiacé, à la fois sulfureux et menaçant.

« And I » se veut dépouillée, à base de guitare acoustique grattée ; le picking tendu rappelle parfois les débuts de Leonard Cohen, et l’atmosphère est tendue à l’extrême. Il s’agit d’un cours magistral sur la façon dont le moins est tellement plus, et comme la voix haletante de Mettler s’arque sur les frettes, une sorte de magie se produit dans la façon dont il vous attire avec une sensation hypnotique. « Devil’s Sweet Tooth «  s’élance et se balance, les violons vacillent au bord de la rupture.

Il est souvent difficile de comprendre les paroles, alors vous vous penchez plus près pour essayer d’y mettre votre tête et vos mains. Vous échouez, mais vous êtes attiré par l’étrangeté dissonante qui est plus que de la musique : c’est un monde de déconnexion et de dislocation. C’est troublant, étranger, mais probablement meilleur que ce que l’on écoute en ce moment.

***1/2

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