« De toutes les façons de manger un gâteau, celle-ci est sûrement la meilleure » (Of all the ways to eat a cake, this one surely takes the knife), est la deuxième ligne de la merveilleuse composition « Passion Babe », extraite de l’aventureux quatrième album d’Aldous Harding, Warm Chris. Une phrase aussi impénétrable qu’incisive, que l’on peut prendre au sens propre comme au sens figuré. « Passion Babe » est tout aussi entraînante que « The Barrel » sur Designer, alors que le piano, la guitare et la batterie se lient et rebondissent à des fins apparemment contradictoires. Aussi absurde que puisse paraître le couplet de référence, il est clair que la chanson évoque l’échec d’une relation qui aurait pu être. « La passion doit jouer, ou la passion ne restera pas » (Passion must play, or passion won’t stay), gazouille la vocaliste dans des refrains ancrés au sein d’une myriade de styles vocaux. Un commentaire acerbe sur la romance moderne, c’est certain.
En travaillant avec le producteur John Parish pour la troisième fois, on atteintun niveau de confort détendu qui prévauttout au long d’un album, qui, selon Harding, a été le plus facile à mettre en place. Comme dans Designer en 2019, Harding explore une gamme d’approches vocales sur Warm Chris, de la bouche en bouillie à l’accentuation étrange, et les sons qui émanent sont tout aussi variés. Les tonalités qui en émanent sont ainsi tout aussi variées. « Passion Babe » et « Tick Tock » sont tous deux alimentés par des mélodies excentriques et à ressort alors que « Warm Chris », « Bubbles » et « Staring at the Henry Moore » font partie dles chansons les plus joliment composées de Harding. Bien que les significations soient difficiles à cerner, les thèmes des relations brisées et des frustrations liées à l’incapacité de contrôler les résultats et, inversement, au refus d’être contrôlé, abondent.
Ni « Fever » ni « She’ll Be Coming Round the Mountain » ne sont des reprises des chansons emblématiques auxquelles leurs titres font référence, mais les deux laissent des indices sur les enregistrements précédents. Le « Fever » de Harding est une affaire plus piquante que le classique de Little Willie John qui porte le même titre. La voix sulfureuse de l’ancienne chanson est remplacée par le cri plus déclaratif d’Harding, tandis que la ligne de cuivres est d’abord une résignation plutôt qu’une célébration. Et alors que la version traditionnelle de « She’ll Be Coming Round the Mountain » est typiquement interprétée comme un moulinet rapide mené par un banjo, le chant funèbre déconstruit de Harding est mené par un piano qui est associé de temps en temps à quelques coups de banjo sans vie. La chanson se termine par l’antithèse de la joie anticipée de l’ancienne chanson folk : « Tu en as fait une telle montagne, qu’elle ne viendra pas » (You made such a mountain, she won’t be coming ‘round).
Warm Chris est une merveille à contempler et un plaisir à écouter, bien qu’il soit traversé de signes révélateurs de brisures et de bulles éclatées. L’exemple le plus frappant en est le dernier morceau, « Leathery Whip », qui, par son titre et son ambiance, ressemble à un classique perdu du Velvet Underground avec une chute de la vie. « » Bébé, vas-y doucement, je sens que je me contracte » (Baby go lightly I feel me tightening up » , prévient Harding alors qu’elle se frotte aux limites. Une déclaration selon laquelle Harding n’a aucunement l’intention de se laisser guider par ses voies non conventionnelles, que ce soit dans la vie ou dans ladite composition.
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