Limbs, le deuxième album de l’actrice anglaise devenue musicienne Keeley Forsyth, est une confrontation étonnamment intime avec le corps humain. Au fil des huit chansons, Forsyth développe une atmosphère épaisse et enivrante. Au cœur de la musique se trouve sa voix : une mezzo-soprano inoubliable. Sur Limbs, elle repousse les limites de sa voix, découvrant de nouveaux sons qu’elle peut produire et de nouvelles façons dont elle peut représenter le corps entier lui-même. C’est un disque hanté et obsédant d’une artiste qui n’a pas peur d’incorporer tout son être dans la musique.
Debris, le premier album de Forsyth sorti il y a deux ans, était un disque austère, issu de la tradition de l’avant-folk d’albums comme Desertshore de Nico. La musique mettait en valeur une instrumentation plus détendue, souvent accompagnée d’une guitare acoustique et d’un piano. Avec Limbs, Forsyth étend son son au-delà de l’instrumentation de l’auteur-compositeur-interprète et s’aventure sur un terrain électronique, ponctuant ses paysages sonores lents de lourdes distorsions et de percussions brutales. L’épine dorsale de la musique de Forsyth est un mélange minimaliste de drones inquiétants et de cordes délicates : des textures aériennes plus ambiantes que mélodiques. C’est à la fois plus cohérent et plus envoûtant que Debris. Le mélange d’orchestration de cordes classiques et d’électronique distordue est la clé de l’ambiance tendue et désespérée de l’album. Par exemple, sur « Blindfolded », une section de violon mélancolique est recouverte par un pad de synthétiseur bruyant, qui noie les sons purs des cordes dans la distorsion. Rien n’est purement joli sur Limbs. Il y a toujours une violence sous-jacente au moindre soupçon de tendresse.
La voix de Forsyth est au centre de toutes les compositions de l’album. C’est une voix dramatique et opératique, qui se déploie presque toujours dans des états de grande émotion. Forsyth a un don pour la vulnérabilité, laissant sa voix vaciller avec un vibrato intense, tout en gardant un contrôle impeccable sur les chansons. Dans ses performances live, elle incarne un personnage, se déplaçant de manière recroquevillée et gesticulant lentement avec des bras tendus. Pour Forsyth, le son est intimement lié au mouvement. Elle ressent la chanson avec ses bras et ses jambes (d’où le titre approprié de l’album, peut-être), comprenant le rôle du chanteur comme une performance : une qualité évidente même en dehors de ses performances live.
Les enjeux du drame dans Limbs sont certainement la vie et la mort. Le personnage que Forsyth incarne sur l’album est dans un état perpétuel de désespoir. Elle supplie sans cesse des personnages anonymes. « Save me from the chair/ Where sadness lies », crie-t-elle sur « Fire » » Le deuxième morceau, « Bring Me Water », s’articule autour de deux suppliques répétées : la ligne du titre et « Let me begin again ». Forsyth mendie constamment son salut, s’humiliant sans prétention pour demander l’aide d’autrui. Les chansons habitent un état de quasi-désespoir, envahi par des sentiments de noirceur intérieure. Ces supplications qui jaillissent des lèvres de Forsyth se lisent comme un ultime effort de survie. L’esprit de la mort plane toujours sur ces chansons : une terreur dont l’horreur découle de son caractère inévitable.
Avec Limbs, Forsyth s’éloigne partiellement de la poésie plus directe de son précédent album. Sur certaines chansons, comme « Blindfolded », les paroles se déploient comme des énoncés de mots uniques, répartis sur toute la piste. Dans d’autres, elle s’attarde sur des sons non verbaux produits par sa bouche : des gémissements profonds ou de doux soupirs. L’album est lent et sombre, mais il est aussi un témoignage clair du potentiel illimité de la voix humaine. Bien que dépourvu de présence visuelle, Limbs met toujours en avant le corps : sa production de sons et sa capacité à encapsuler une tapisserie de sentiments. Une fois de plus, Forsyth démontre une capacité impeccable à mettre tout son être – corps et âme – dans sa musique.
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