La relation souvent citée et rarement expliquée entre la composition et l’improvisation refait surface dans cet enregistrement studio en quatre parties. Le pianiste Eli Wallace qualifie son énigmatique Precepts de composition. Dans certains cas, c’est une bénédiction pour un érudit de jeter un coup d’œil aux écrous et boulons éparpillés sur la table de l’atelier d’un compositeur, comme dans le cas du système musical Ghost Trance d’Anthony Braxton. Et puis, à d’autres moments, il est presque préférable de saisir la monnaie sonore et de s’enfuir. Precepts se situe fermement dans ce dernier camp.
Le pianiste et compositeur Wallace a réuni la violoniste Erica Dicker, le violoncelliste Lester St. Louis et le bassiste Sean Ali pour lire sa rubrique, ou du moins c’est le mot utilisé pour décrire la partition graphique qu’Ali a préparée pour être jouée à l’époque du COVID. Toutes les hauteurs sont autant suggérées que prescrites, aucune répétition n’est requise, et si les interprètes se voient effectivement attribuer des hauteurs, ils sont libres de jouer celles qui appartiennent à d’autres. Tout cela donne une musique qu’il vaut mieux parcourir plutôt que d’être obsédé par les détails de la composition.
Prenons l’ouverture magique du deuxième mouvement : elle s’anime pour ensuite s’arrêter presque complètement, ou du moins se diriger vers un moment de stase. Ce moment est plein des rouages d’une session, des mouvements subtils de préparation et d’exécution si importants pour la syntaxe du musicien, et c’est ce qui rend ce moment si spécial. Il s’agit d’une étendue sonore assez dépouillée dans l’ensemble, mais ce quasi-silence rend chaque instant important d’une manière qu’une partition ne peut qu’évoquer, comme ce que mon oreille appelle un accord diminué particulièrement efficace à 6:33. Plus que toute élucidation de la composition, cette relation tendue et multidimensionnelle régit l’écoute active de la progression de la musique, en particulier la première section magnifiquement harmonique du dernier mouvement, où la sonorité est dans un état constant de flux de développement, changeant d’octave et de timbre d’un moment à l’autre. D’une certaine manière, tout ce qui précède l’a préparé.
Il serait trop facile, et un peu dédaigneux, de tracer un parcours allant de la saturation relative des premier et troisième mouvements à la réflexion dépouillée des deuxième et quatrième. Chaque mouvement contient des éléments de l’autre et, qu’elle soit lancée ou non, la musique se rassemble et se disperse en masses mystiques de sons, de silence et de toutes les zones intermédiaires. Si la partition de Wallace suscite de tels amalgames, tant mieux, mais le quatuor de musiciens expérimentés et une production viscérale sont certainement la clé du succès de l’album.
***1/2