Cate Le Bon: « Pompeii »

À travers les jardins, les ports, les villes invisibles et les fontaines qui vident le monde, le sixième album solo de Cate Le Bon trace des territoires au-delà des salles fermées de Reykjavik et Cardiff où a commencé sa vie, au-delà même du monde mercuriel qui entoure encore lesdits territoires. Si certains disques de cette époque porteront sans doute plus que d’autres la marque de l’air du temps – « How I’m Feeling Now » de Charli XCX, « Spare Rib » de Sleaford Mods – on se souviendra davantage de Pompeii comme d’une excursion hors du banal que comme d’un documentaire sur celui-ci.

Alors que Reward, en 2019, affinait son répertoire habituel de saxo, de batterie et de drollerie sporadique en quelque chose d’un peu plus orné, le dernier album de Le Bon est luxuriant et verdoyant, occupé par des lignes de basse errantes et des éclats inattendus de falsetto. Même lorsque ses titres les plus pop, « Moderation » et « Harbour », côtoient le plus langoureux « French Boys », tous les trois donnent une impression de décadence, comme s’il s’agissait d’une même virée sur la côte d’Azur, mais à des vitesses différentes.

L’enjouement et le plaisir ne sont pas nouveaux dans la palette de Le Bon, bien sûr, mais ils ont peut-être été manqués par une industrie qui ignore souvent ces qualités dans l’art féminin. Le travail de l’auteure-compositeure galloise a déjà attiré le triumvirat de comparaisons critiques paresseuses que toutes les femmes de l’art-pop doivent recevoir – Kate Bush, Bjork, Tori Amos – bien qu’en vérité son nouvel album doive beaucoup plus au chic de la fin des années 80 de The Blue Nile, à la pop urbaine japonaise et particulièrement à The Colour of Spring de Talk Talk.


Pompéi rejoint, de ce côté, ce panthéon de disques exotiques, parfois surréalistes, et à une époque où tout semble soit morne soit dangereux, c’est un baume extraordinaire. L’amour de Le Bon pour les fioritures lyriques abstraites : «  J’ai poussé l’amour à travers le sablier / M’as-tu vu mettre la douleur dans une pierre ? » (I’ve pushed love through the hourglass / Did you see me putting pain in a stone ?), ainsi que le travail de production merveilleusement simple entre elle et son collaborateur de longue date Samur Khouja, aboutissent à un terrain musical et narratif qui semble aussi bienvenu qu’étranger.

D’ailleurs, comme Le Bon l’a souligné dans une récente interview, l’absurde a toujours été une lingua franca dans les périodes de douleur et d’austérité, du dadaïsme au Cabaret Voltaire. « Tout mon langage est vulgaire et vrai » (All my language is vulgar and true), chante-t-elle sur le morceau titre de l’album, et si le style présenté ici est souvent plus proche de l’élégance et du vague, les meilleurs moments de Le Bon contournent l’analyse rationnelle au profit de gestes radieux. Nous devrions les accueillir en ces jours plus froids.

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