Cat Power: « Covers »

Les reprises font partie intégrante de l’évolution de la musique. Lorsque différents musiciens interprètent des chansons, ils laissent une empreinte sous la forme de paroles modifiées ou d’une mélodie légèrement différente. Ces mises à jour peuvent modifier l’essence d’une chanson – ou même, dans le cas de reprises radicales, la transformer – et, dans d’autres cas, faire ressortir des nuances inédites.

Au cours d’une carrière marquée par des dizaines de reprises transformatrices, Chan Marshall, alias Cat Power, a fait tout ce qui précède, et même plus. Elle excelle à creuser dans les sables mouvants émotionnels de chaque chanson pour en faire ressortir des thèmes et des angles surprenants. Sa reprise en 2000 de la chanson « I Can’t Get No) Satisfaction » des Rolling Stones, d’une sobriété trompeuse, est un mélange puissant d’agitation et de nostalgie, tandis que sa reprise en 2008 sur « Lost Someone » de James Brown & The Famous Flames ressemble à une chanson douce-amère, faite à parts égales de chagrin et de désespoir.

Plus récemment, sa version de 2018 de « Stay » de Rihanna réduit la chanson déjà usée à un piano dépouillé et à une voix sombre au cœur brisé. Alors que l’original ressemble à une supplique adressée à un amant, l’implorant de revenir, la version de Marshall est une catharsis solitaire, une performance destinée uniquement à son propre chagrin.

L’objectif de son nouvel album de reprises, Covers, semble être de documenter l’histoire partagée tout en favorisant la connexion. Je joue des reprises tout le temps », écrit Marshall dans sa biographie jointe à l’album. Et il est important pour moi de les enregistrer parce que c’est ce que mes auditeurs et moi-même obtenons ».

À cette fin, Covers – sa troisième collection de ce type, après The Covers Record en 2000 et Jukebox en 2008 – équilibre une fois de plus l’introspection avec des manifestations extérieures d’émotion commune. Sa version plus lente et sombre de « Here Comes A Regular » des Replacements, en particulier, ressemble à un éloge funèbre d’une vie antérieure, soulignée par la phrase suivante : « I used to live at home, now I stay at the house » (J’avais l’habitude de vivre à chez moi, maintenant je reste à la maison). En revanche, la reprise par Marshall de « Bad Religion » de Frank Ocean, qui ouvre l’album, modifie légèrement les paroles pour décrire un moment spontané de conversation significative. Le chauffeur de taxi de la chanson devient un confident (« He said, ‘Praise the Lord-hallelujah. Little girl, you need freedom ») – Il a dit : « Louez le Seigneur, alléluia ». Petite fille, tu as besoin de liberté  » – pour récupérer l’oppression et la tristesse de la composition originale.

Comme ces deux chansons l’indiquent, l’album présente la sélection habituelle de reprises intéressantes et inattendues de Marshall. Cette fois-ci, elle a élaboré un mélange intriguant et sombre de pop moderne, de country vintage et de rock classique, avec des chansons reconnaissables (« Against The Wind » de Bob Seger, « These Days » de Jackson Browne, qu’elle a déjà repris sur scène) et des choix plus obscurs (« Pa Pa Power » de Dead Man’s Bones, le groupe de l’acteur Ryan Gosling, et « The Endless Sea » d’Iggy Popp en 1979). Marshall a également produit les sessions d’enregistrement de Covers, à la tête d’un groupe comprenant son bassiste de longue date, Erik Paparazzi, et d’autres personnes.

En plus d’offrir une toile de fond plus riche à sa voix, l’album dispose d’une palette instrumentale plus large que son précédent album, le minimaliste Wanderer datant de 2018. « Unhate » – une nouvelle version de son propre « Hate », tiré de The Greatest en 2006 – est plus lustré que l’original, avec un clavier flottant, une batterie à sec et une guitare turbulente. « I Had A Dream Joe » est immédiatement reconnaissable comme une reprise de Nick Cave – c’est un blues gothique sinistre et agité – tandis que « White Mustang » de Lana Del Rey emontrera sa capacité à exercer un twang tordu et ensoleillé. Toutefois, Covers laisse aussi la place aux transformations plus subtiles de Marshall : le titre « t Wasn’t God Who Made Honky Tonk Angels » de Kitty Wells suinte un jazz-lounge cool et sobre, tandis que « A Pair Of Brown Eyes » des Pogues, lui, s‘annonce comme un hymne funèbre.

S’il y a un fil conducteur, tant sur cet album que sur les précédentes reprises de Marshall, c’est la révérence. « Quand je fais des reprises, je ressens une telle responsabilité envers les artistes que j’aime – certains que je n’ai jamais rencontrés, d’autres que j’ai rencontrés « , dit Marshall. Cette attention permet de s’assurer que même les chansons familières sont fraîches. À cet égard, sa version studio de « These Days » sur le disque sera plus proche de l’interprétation hantée et tranquille de Nico, en y ménageant, en revanche, un peu plus d’optimisme.

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