On ne sait jamais à quoi s’attendre de la part du prolifique et prophétique Damon Albarn. Et c’est une bonne chose. Qu’il s’agisse de la pop alternative britannique de Blur, avec des chansons percutantes comme « Song 2 » et « Girls and Boys », ou du groupe Gorillaz, imprégné de hip-hop, qui est apparu comme un miracle moderne au début du siècle et n’a cessé de se développer depuis, avec certaines des plus grandes collaborations de notre époque. Même son groupe The Good, The Bad, and The Queen, avec ses arrangements circassiens et ses paroles insolentes, a été une surprise.
Sa dernière aventure, un album solo intitulé The Nearer The Fountain, More Pure The Stream, est une autre direction époustouflante pour Albarn. Comme il a l’habitude de le faire sur ses albums solo, tout est un peu dépouillé et atténué, par rapport à ses autres projets. C’est un disque quelque peu sombre et apocalyptique, et d’une manière fantomatique, j’ai l’impression que David Bowie a peut-être passé le flambeau à son collègue champion britannique. On y retrouve le rythme mesuré des albums oubliés de David Bowie, la voix résonnante et britannique, la poésie qu’il faut lire pour en saisir toute l’ingéniosité. Il y a même des saxophones.
L’album commence lourdement, thématiquement, avec le morceau titre, un éloge funèbre qui aurait pu être écrit pour le défunt Bowie, ou pour toute personne chère à votre cœur. On est en droit de se demander, comme vous le ferez probablement, étant donné sa douleur palpable, qui voit Albarn poursuivre sa commémoration. « Tu es parti / Le sombre voyage qui ne laisse aucun retour / Il est inutile pour moi de te pleurer / Mais qui peut aider à faire son deuil » (You have gone / The dark journey that leaves no returning / It’s fruitless for me to mourn you / But who can help mourning). « Penser à la vie qui riait sur ton visage / dans le beau passé / est si désolant maintenant ». « Quand la jeunesse semblait immortelle / si douce qu’elle tissait / le halo du ciel autour de toi » (To think of life that did laugh on your face / in the beautiful past / left so desolate now. » « When youth seemed immortal / so sweet it did weave / Heavens halo around you). Ce titre vaut le prix du disque, et il ne peut que nous mettre la larme à l’oeil tan tc’est l’une des plus belles chansons sur la perte d’un être cher qu’on ait jamais entendues.
La même sensibilité et le même talent artistique dont Bowie a fait preuve au cours de sa carrière apparaissent tout au long du disque. Il n’y a pas de gadgets dans ce disque, juste un cœur sombre qui bat, peut-être pour une planète qui semble sur le déclin, certainement pour une humanité qui partage le même destin sombre. L’espoir du ruisseau titulaire apparaît pourtant tout au long du disque. « Plus proche de la fronyière / Je suis sauvé » (The nearer the fountain / I’m saved). C’est un album aux proportions bibliques, avec des détails lyriques comme la pluie qui se transforme en neige, les cormorans sur « Tower of Montevideo ».
Si vous entrez dans ce disque en vous attendant à son penchant pour les tubes insolents, vous risquez d’être déçu. Bien qu’il y en ait quelques-uns qui s’en approchent, comme « Royal Morning Blue », avec sa touche alt-british. Mais si vous y allez avec une oreille attentive pour écouter un véritable artiste, qui traite du thème très réel et très universel de la perte, vous serez peut-être profondément ému, voire ému aux larmes, par cette offrande de onze titres.
Comparer ce disque à David Bowie est le plus grand compliment que’on puisse lui faire, même pour ses disques les plus discrets. Il est touchant de voir que même après notre mort, notre héritage peut perdurer. Lorsque le moment sera venu pour Damon Albarn de quitter ce corps mortel, il y aura quelqu’un, nous l’espérons, pour porter sa torche flamboyante à sa place.
***1/2