Avec Lost Ships, la chanteuse de jazz albano-suisse Elina Duni présente son nouvel ensemble avec Rob Luft, guitare, que l’on peut entendre pour la première fois sous le label ECM, qui comprend également Fred Thomas, piano et batterie, et Matthieu Michel, bugle. La raison pour laquelle le chanteur n’est pas nommé seul, mais avec le guitariste sur l’album en tant que têtes solistes de l’ensemble, pourrait être que le jeune Rob Luft, âgé de vingt-neuf ans, est considéré comme un haut voltigeur de son instrument et a déjà enregistré des récompenses importantes, ce qui devrait certainement favoriser les ventes de Lost Ships. En dehors de cela, Rob Luft contribue de manière décisive au son de l’album. Mais les autres membres du groupe peuvent aussi revendiquer cela pour eux-mêmes. Et tant de choses sont déjà trahies : Lost Ships s’avère être un travail commun extrêmement réussi de tous les membres du groupe, qui ont réussi à créer un nouveau son.
Six des douze chansons ont été écrites par les deux solistes. Pour cela, ils ont puisé dans les traditions folkloriques de différents pays, notamment du sud de l’Europe, ce qui se manifeste aussi par le fait que les chansons sont basées non seulement sur la langue anglaise, mais aussi sur les langues italienne et albanaise, avec leur style caractéristique déjà différent. Les six autres chansons sont celles de grands noms de la chanson pop tels que Frank Sinatra et Charles Aznavour.
« Bella Ci Dormi » est une ballade traditionnelle du sud de l’Italie, avec Elina Duni surfant vocalement sur un accompagnement aérien au piano et à la guitare ; sa voix claire, manifestement entraînée avec soin, restitue la chaleur étouffante de la campagne de manière presque palpable. La chanson suivante « Brighton », réalisée en douceur par la chanteuse et finement structurée par la batterie, vit dans une mesure non négligeable du jeu coloré et élégant du bugle. La chanson « I’m a Fool to Want You » de Sinatra s’avère être le point culminant des chansons de l’album, riche en ambiance et en technique de jeu. Elina Duni ne l’entonne que discrètement, accompagnée par la guitare, suivie par le bugle qui fusionne avec sa voix et enfin une contribution de la cymbale, qui amène l’ambiance de la chanson au point.
Les chansons « Kur më del në derë » et « N’at Zaman » » composées dans la tradition albanaise, avec leurs signatures temporelles typiques du sud des Balkans, forment un contraste évident avec les autres chansons de l’album, dont la signature temporelle est plus occidentale. La chanson-titre, « Lost Ships », a une qualité nettement océanique grâce à un accompagnement de guitare qui gonfle et s’affaiblit et des accords de piano brisés qui mettent en valeur la voix pure et sans fioritures d’Elina Duni.
Lost Ships, qui est une œuvre commune cohérente de tous les musiciens du groupe Duni/Luft, avec la voix sincère et claire d’Elina Duni, le jeu aérien du guitariste Rob Luft et surtout grâce au bugle virtuose de Matthieu Michel, sonne de manière colorée et convaincante d’une chanson à l’autre, dans une expression musicale essentiellement relaxante. À cela s’ajoute une technique d’enregistrement numérique réussie qui présente l’action des musiciens en toute clarté.
***1/2