A Beginner’s Mind de Sufjan Stevens et Angelo De Augustine est aussi brillant dans son exécution que dans sa conception. Stevens et Angelo De Augustine, qui a la même voix, se sont installés dans le nord de l’État de New York et ont écrit des chansons inspirées de films qu’ils ont regardés la veille. Les films allaient des premiers classiques hollywoodiens (All About Eve) aux films d’horreur de série B (Night of the Living Dead), en passant par un film de surfeur et de braquage (Point Break). Le matériel source des chansons, associé à l’approche à cœur ouvert des artistes, qui rappelle le plus sérieux des chants de Noël de Stevens, donne lieu à un mélange génial de paroles aussi sincères qu’hilarantes. L’exemple le plus frappant est « Fix it all, Jonathan Demme », au milieu de la superbe « Cimmerian Shade », qui utilise Silence of the Lambs comme point de départ.
En tant qu’auditeur, c’est à vous de décider si vous essayez de comprendre les références cinématographiques ou si vous vous contentez de flotter le long d’une douzaine de chansons de folklore de chambre impeccablement conçues. Sur le papier, la perspective de deux voix plus aiguës (celle de Stevens a un micron de raucité en plus) peut sembler une proposition à haut risque, mais comme le duo l’a prouvé sur « Blue » et « Santa Barbara » de De Augustine il y a quelques années, cela fonctionne étonnamment bien. Garfunkel & Garfunkel si vous voulez. Il n’y a pas si longtemps, De Augustine enregistrait des albums dans sa salle de bains (de bons albums, d’ailleurs), alors le voir se produire comme un pair aux côtés du fondateur et doyen de son label, sur un album complet, est pour le moins encourageant.
A Beginner’s Mind bénéficie de l’approche brevetée de Stevens pour structurer des compositions apparemment simples, mais aux couches infinies. Le morceau d’ouvertur, « Reach Out », présente l’approche vocale de l’artiste, qui consiste à couvrir de près le public, et s’épanouit musicalement dans une multitude d’endroits. De la même manière, la beauté auditive des dons de ces artistes est mise à profit dans des joyaux de l’album tels que le doux murmure de « Murder & Crime », la délicatesse du piano et des cordes martelées de « (This Is) The Thing », et le chœur aux cordes de nylon de « Lacrimae ». Mais en plus de ces moments plus doux, il y a des prises plus rapides tout aussi efficaces, comme la puissance de la batterie sur « Back to Oz ». Les répliques enfouies qui s’accordent parfaitement avec les films dont elles sont tirées ne sont que la cerise sur le gâteau. Dans « Lady Macbeth in Chains », Stevens révoquera lle personnage de Bette Davis sur All About Eve : « juste une opportuniste dans l’âme » (just an opportunist at heart). Les zombies de l The Night of the Living Dead prenndront, eux, quelques coups dans le titre ironique dqu’est « You Give Death a Bad Name », tandis que le personnage principal de Hellraiser III bénéféciera d’un rare avant-goût d’empathie dans « The Pillar of Souls » : « ma peau est ablatée avec des incisions saignantes » (my skin is ablated with bleeding incisions ).
À l’instar de la tentative de Stevens d’enregistrer un album pour chacun des 50 États, l’exercice d’écriture de chansons dans lequel lui et De Augustine se sont lancés sur A Beginner’s Mind pourrait facilement donner lieu à plusieurs albums de matériel prometteur. Avec un peu de temps et l’accès à un abonnement à la chaîne Criterion, une multitude infinie de résultats sont évidents. Un « pourquoi as-tu fait ça » au Travis Bickle de Robert DeNiro ou un conseil de voyage opportun à Janet Leigh de Psycho ne seraient que la partie émergée de l’iceberg du Titanic. Comme l’art engendre l’art, A Beginner’s Mind est à la fois une véritable source d’inspiration et un témoignage de ce que l’on peut obtenir en faisant son shopping musical avec des artistes de premier plan.
***1/2