Le titre de l’album est assez précis, mais les cyniques pourraient penser : oh, je sais à quoi cela va ressembler. Après tout, il y a pas mal de groupes scandinaves qui font ce qu’on pourrait appeler de l’ »avant-folk ». Et dans une certaine mesure, les cyniques auraient raison.
L’accordéoniste Frode Haltli et ses collaborateurs – parmi lesquels Erlend Apneseth aux violons Hardanger, Ståle Storløkken à l’harmonium et Hans P Kjorstad au violon – évoluent confortablement entre ce que les journalistes appellent des genres (folk traditionnel, jazz, composition contemporaine, improvisation, musique du monde) et ce que les musiciens appellent à juste titre « juste de la musique ».
Cet album n’évolue pourtant pas de manière tout à fait habituelle. Pour commencer, ils sont rejoints par Hildegunn Øiseth à la trompette et à la corne de chèvre, Rolf-Erik Nystrøm aux saxophones, Juhani Silvola et Oddrun Lilja Jonsdottir aux guitares, Fredrik Luhr Dietrichson à la contrebasse et Siv Øyunn Kjenstad à la batterie et au chant. La trompette et le saxophone apportent de nouvelles textures au son folk, tandis que les guitares et l’électronique l’étirent davantage.
Et s’il y a une bonne part de mélodie traditionnelle (et même réellement traditionnelle) soulignée par des harmonies parfois jazzy, il y a aussi des choses plus originales. Prenez Kingo, basé sur un hymne féroïen. Il commence par un accordéon et un harmonium qui grondent sur un rythme bas et insistant, les harmonies prenant une teinte moyen-orientale. Les violons chantent par-dessus et le rythme devient plus groove, puis une guitare électrique apparaît dans un solo qui rappelle Ali Farka Toure et le blues du désert ouest-africain.
« Grâta’n » incorpore un fond d’atmosphère synthétisée, tout en noirceur et en gouttes, en échos, en souterrain et en étirement vers le noir (Sarah Lund de The Killing est-elle descendue dans une autre caverne souterraine, armée seulement d’un pull scandinave et d’une torche mourante ?) Lorsqu’un joli air de violon émerge par-dessus, c’est une véritable surprise, tout en étant étrangement approprié. L’ambiance est initialement maintenue dans le dernier morceau, Neid, mais elle se déploie lentement au cours de ses 13 minutes pour inclure des improvisations de jazz prolongées au-dessus d’un groove de plus en plus lent, créant au passage, comme les quatre morceaux précédents, une véritable profondeur. Il se fond dans un riff répété et majestueux qui sous-tend un solo de saxophone passionné, avant de se dissiper dans quelque chose de plus libre et de moins tangible, pour finalement revenir à la terre avant-folk.
Le mérite de la diversité de l’album revient non seulement à Haltli mais aussi à son coproducteur, l’artiste sonore d’avant-garde Maja S.K. Ratkje. Il ne s’agit donc pas d’un album avant-folk ordinaire,mais d’une expérience fascinante et sombrement charmante.
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