Quatre ans se sont écoulés depuis le dernier album en collaboration entre Ulrich Schnauss et Jonas Munk, l’exquis et éthéré Passage. Après presque trois ans de travail entre d’autres projets musicaux (Schnauss travaillant dans Tangerine Dream et Munk enregistrant avec Causa Sui, Billow Observatory, Nicklas Sorensen, et en solo), les deux magiciens du studio ont sorti leur suite, Eight Fragments Of An Illusion.
Tout en conservant la luminosité de Passage, Eight Fragments Of An Illusion est plus onirique et effervescent que son prédécesseur. Il arbore, en effet, poids émotionnel dans ces morceaux, comme si l’univers poussait un grand soupir et cet album en est l’interprétation musicale. Guitares, synthétiseurs et électronique se superposent en de grandes expressions, qu’il s’agisse d’amour, de vie, de réflexion existentielle ou simplement de regarder l’horizon pendant un court instant. Cet album donne l’impression de se perdre dans la brume de quelque chose de plus grand que nous.
« Return To Burlington » brille d’éloquence. Il me rappelle les premiers disques de 4AD. Il y a l’élévation de Cocteau Twins ; des capacités de musique pop cachées dans des sonorités éthérées. Ce morceau est l’équilibre parfait entre le poids électronique d’Ulrich Schnauss et les couches de guitare de Jonas Munk. C’est aussi l’un des rares titres à comporter des percussions. En revanche, le morceau suivant, « Solitary Falling », est un morceau d’ambiance mélodieux. Des murs de sons vaporeux, des guitares et des claviers créent une atmosphère vraiment émouvante.
Le morceau central est une sorte d‘épopée façon école de Berlin « Perpetual Motion ». C’est l’un de ces morceaux dont je ne me lasse pas. Des synthés bouillonnants et un rythme cardiaque komische portent ce morceau pendant près de 11 minutes. On peut y entendre certains éléments musicaux du travail de Schnauss sur les récents albums de Tangerine Dream, tandis que Munk superpose des guitares semblables à celles de Michael Rother. On pourra presque s’imaginer flotter dans l’espace en écoutant ce morceau. C’est tout simplement stupéfiant.
Ailleurs, « Narkomfin » a un côté mélancolique, presque baroque à croire que la ligne de guitare de Munk est jouée sur un clavecin jusqu’à ce qu’il nous lance dans une boucle avec une ambiance presque Dick Dale. « Along Deserted Streets » s’élèvera dans les nuages avec ses tonalités cristallines et ses couches brumeuses, tandis que « Polychrome », qui clôt l’album, termine mystérieusement sur des notes répétitives et des drones qui deviennent hypnotiques, voire psychédéliques, à la fin. Une sorte de finale de type Through the Looking-Glass.
Eight Fragments Of An Illusion valait la peine d’être attendu. Ulrich Schnauss et Jonas Munk n’ont pas seulement atteint les sommets de ce qui a précédé, ils les ont dépassés. C’est un album d’une beauté éthérée, avec des couches sonores à éplucher pendant des années, ce qui nous permet de trouver plus de choses à creuser et à se perdre à chaque écoute.
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