Ce duo de saxophonistes expérimentaux, Nebbia et Shiroishi, explore la vulnérabilité humaine à travers dix morceaux de longueurs différentes. En plus d’un saxophone librement improvisé et de fragments de développement thématique, le duo utilise également des enregistrements de terrain (chants d’oiseaux, bruits environnementaux), des percussions (cloches, carillons, tapotements), des voix parlées et chantées, et d’autres éléments. Leurs lignes s’entrelacent, passant de tons clairs à des tons déformés, de l’intérieur à l’extérieur et vice-versa. Les voix servent d’instrument supplémentaire plutôt que d’instrument de chant – une autre couche de dialogue entre Nebbia et Shiroishi en plus de leur travail au saxophone.
Corre el Río… (jn racourcit un titre beaucoup plus long de plus de 20 mots), présente un quartet entièrement féminin dirigé par Nebbia et comprenant Barbara Togander au chant et aux platines, Violeta García au violoncelle, et Paula Shocron au piano, au chant et aux percussions. L’album s’articule autour d’un très long morceau (près de 40 minutes) qui est une représentation musicale d’une carte de la violence de genre en Argentine couvrant la période janvier-juillet 2020. Un sujet aussi sérieux mérite et reçoit une approche tout aussi sérieuse de la part de Nebbia et de sa compagnie.
Dans une improvisation structurelle avec peu de mélodie ou de rythme, García et Schocron apportent un sentiment d’urgence sourd avec des percussions staccato et un violoncelle grinçant. Ce paysage sonore obsédant est finalement recouvert d’un piano frénétique de Schocron et de vigoureuses explorations extérieures au saxophone de Nebbia. Bien que rugueuse et texturée, la pièce couvre une grande variété d’ambiances et de tonalités, alternant entre des explosions de sons et des moments plus calmes. Les voix sont pratiquement continues, encore une fois parlées plutôt que chantées.
Il est vrai que j’ai écouté ce morceau pour la première fois sans lire les notes de la pochette, et j’en suis sorti avec la réaction instinctive qu’il s’agissait d’un exemple émouvant et fascinant d’improvisation moderne sur lequel planait une étrange obscurité. Après avoir compris l’inspiration et les sources de l’album et après une nouvelle écoute, j’ai ressenti un ensemble d’émotions plus ciblées – l’anxiété et la trépidation de cette obscurité maintenant identifiée…
***1/2