On a beaucoup parlé du fait que David Crosby a connu une renaissance créative au cours de la majeure partie de la dernière décennie, un fait qui se confirme si l’on considère qu’au cours des sept dernières années, il a sorti cinq albums solo, dépassant de loin les résultats qu’il avait obtenus à ses débuts en ne proposant que trois albums individuels de 1971 à 1993. L’accalmie de vingt ans qui s’est produite entre ce moment de sa trajectoire et sa récente réapparition suggère qu’un anniversaire historique de 80 ans l’a déterminé à faire autant de musique que possible pendant le temps qu’il lui reste à faire. Le récent documentaire Remember My Name éclaire clairement le désir et la détermination de Crosby, compte tenu des remords et des regrets qu’il a confessés pour les erreurs commises dans le passé.
En effet, l’une des conséquences de son comportement peu judicieux est la réalisation que Crosby, Stills, and Nash et son conglomérat plus important, Crosby, Stills, Nash, and Young, n’existent plus, résultat de la rupture des relations entre Crosby et les autres directeurs. Bien que Crosby accepte clairement d’être tenu responsable de leur disparition, il a également cherché d’autres alliés pour l’aider dans sa créativité. Son fils James Raymond, disparu depuis longtemps et exceptionnellement talentueux, son partenaire de confiance Michael League du groupe Snarky Puppy et les musiciens qui composent son groupe Sky Trails ont tous contribué à combler le vide laissé par la séparation du CSN et du CSNY.
En vérité, Crosby a toujours été à son meilleur lorsqu’il faisait partie d’un groupe, que ce soit les Byrds, CSN ou CPR. Ainsi, alors qu’il est ostensiblement seul, For Free lui permet de partager le temps de studio avec des invités formidables, dont Michael McDonald, qui ajoute des chœurs à la chanson d’ouverture « River Rise », ainsi que Sarah Jarosz, qui facilite son retour à la musique de Joni Mitchell sur la chanson titre. Le lien avec Mitchell ne peut jamais être sous-estimé ; après avoir produit son premier album, son affinité avec sa musique reste entière, puisqu’il a repris son classique « Amelia » sur l’album Sky Trails. De même, la différence d’âge de 50 ans entre Crosby et Jarosz n’est pas apparente et est insignifiante.
Il est à noter que Crosby ne joue pas de la guitare sur aucun de ces albums, mais se contente de chanter. Cela dit, sa voix fait clairement oublier son âge, elle résonne avec une résonance et une détermination qui évoquent une clarté et une conviction plus jeunes. C’est évident sur des titres comme « River Rise », « Ships in the Night » et « The Other Side of Midnight of Midnight » en particulier, mais cela se répercute sur l’ensemble de l’album. De même, plusieurs sélections sont particulièrement révélatrices en termes de réflexion immédiate.
« J’ai franchi la redoutable ligne verte où les blessures auto-infligées sont lentes à guérir » (I’ve stepped across the dreaded green-line where self-inflicted wounds are slow to heal) , chante Crosby sur « Boxes », l’une des chansons les plus émouvantes de l’album. « Je vais devoir trouver mon chemin par le toucher et le sentiment » (I’ll have to find my way by touch and feel).
Pourtant, la proposition qui a clairement l’impact le plus fort est la dernière entrée de l’album, « I Won’t Stay for Long ». Ecrite par Raymond, prétendument inspirée par le film Orfeu Negro (1959) et une relecture du mythe grec d’Orphée et de sa tentative de ramener sa femme Eurydice à la vie, elle voit Crosby se mettre dans le rôle de celui qui renaît : « Je fais face à la ligne de grain/d’une tempête millénaire/je ne sais pas si je meurs ou si je suis sur le point de naître » (I’m facing the squall line/Of a thousand-year storm/I don’t know if I’m dying/Or about to be born). À la fois évocateur et effusif, c’est une façon idéale de terminer l’album, un opus où, de toute évidence, Crosby est satisfait de l’endroit où il se trouve encore, un artiste dont l’énergie et la détermination sont toujours aussi fortes. À ce titre, sur For Free, David Crosby s’envole pour sa plus grande satisfaction. Ainsi que la nôtre…
***1/2