Du blues à la techno en passant par le krautrock et le black metal, il y a une tension dans « la musique de transport » avec des structures répétitives comme base pour des lignes d’évasion psychique. C’est un conflit que Fly Pan Am examine à la loupe avec Frontera, en traduisant en son les frontières, la surveillance et les asymétries flagrantes de pouvoir qu’elles représentent.
À l’origine, une collaboration multimédia avec la chorégraphe Dana Gingras et la compagnie de danse Animals of Distinction, le quintet canadien a créé une musique en réponse à la chorégraphie de la lumière et des danseurs. Les neuf titres de Frontera isolent le rôle de Fly Pan Am dans le projet, mais le fait de retirer le multi du multimédia ne dilue pas les thèmes gravés dans la musique.
L’appareil de sécurité de l’État peut passer d’un inconvénient et d’une préoccupation pour la vie privée à une force inébranlable qui dicte brutalement les chances de votre vie. La dure vérité est que ceux d’entre nous qui sont nés dans le nord du monde ne ressentiront probablement jamais toute la cruauté d’un régime frontalier. La réponse de Fly Pan Am est de tracer l’échelle de la machine de surveillance omniprésente et changeante elle-même. Un groupe habituellement marqué par un contrôle habile de l’espace négatif est devenu étonnamment monolithique.
« Grid/Wall » est, à cet égard, un maillage savant de sons fabriqués au laser, d’électronique caustique et de guitares barbelées qui lacèrent un groove implacable. Même sur les mouvements plus calmes et moins rigides de Frontera, une présence inquiétante se cache, des dirges acousmatiques aux synthés qui sonnent plus dentaires que musicaux.
Qu’il s’agisse du titre d’un album, « N’ecoutez pas », ou du méta-funk glitch de « Ceux qui inventent n’ont jamais », Fly Pan Am a toujours interrogé avec humour les conventions de la musique rock, à mi-chemin entre le grand art et la farce. Les structures formelles sont traitées comme des récipients à remplir de contenus inconnus, le momentum comme quelque chose que l’on peut gentiment faire dévier de sa trajectoire. Les titres phares de Frontera, « Parkour » et « Parkour 2 », voient le groupe repousser les limites de la motorisation, interrogeant la frontière ténue entre lévitation et enfermement, transcendance évasive et chanson de marche. Sur « Parkour », le dénouement est constitué de cris déchirés qui s’échappent d’un crescendo kosmique, l’humain déchirant les barrières du panopticon numérique. Sur « Parkour 2 », c’est un chœur qui frappe un moment d’une beauté saisissante contre les rythmes des machines. Michael Rother a comparé la musique de Neu ! à de l’eau, mais Fly Pan Am fest parvenu à faire éclater les berges de la rivière.
***1/2