Norman Westberg, de la légende Swans, est associé depuis longtemps à la production de « bruit lourd. » Pendant plus de trois décennies, son style a été un élément déterminant de l’un des groupes les plus singuliers, et une entité rare, à savoir un guitariste qui était plus qu’heureux de matraquer les mêmes deux ou trois accords pendant un quart d’heure. Je m’aventurerais même à dire que Westberg est un guitariste vraiment unique, et que son appréciation et sa compréhension de l’espace sont inégalées – un joueur qui n’est pas seulement à l’aise, mais dont la signature est une pause apparemment infinie entre les accords.
Ces dernières années, la production de Westberg s’est orientée vers un angle moins abrasif, avec une succession de sorties solo à partir de 2016 explorant un territoire ouvertement ambiant, à travers MRI¸ The All Most Quiet, (tous deux 2016) et After Vacation (2019).
First Man in the Moon voit Westberg se connecter avec le contrebassiste Jacek Mazurkiewicz, qui a soutenu Swans en tournée en Europe en 2014 sous le nom de son projet solo 3FoNIA,.Le résultat de leur collaboration, enregistré pendant quelques temps morts avant les deux spectacles de Michael Gira à Varsovie vers la fin de 2019, est cinq pistes improvisées d’une évocation riche en résonances. Le pitch en étant, selon lui une œuvre « au-delà des frontières du drone atmosphérique, du jazz abstrait et de la musique expérimentale [qui] brouille les lignes entre l’acoustique et l’électronique ».
Tout y est, en effet, flou : de souples lavis sonores peints à grands traits constituent la toile de fond ambiante, semblable à un nuage, de cliquetis et de grincements, ainsi que de bleeps et de ronflements occasionnels. C’est une question de contraste : Le jeu de Mazurkiewicz est polyvalent, son travail à la contrebasse allant de sons profonds et sombres, très caractéristiques de l’instrument, à des boums sonores, en passant par le son d’un arbre gémissant et sur le point de tomber.
Jusqu’où peut-on aller dans une œuvre aussi ambiante et abstraite ? À quel moment la dissection devient-elle futile ? First Man in the Moon est un album qui mérite de l’espace, de la réflexion, de respirer et de suivre simplement son cours – un album à savourer plutôt qu’à décortiquer. Il crée une atmosphère souple et évolutive de doux drone et un paysage sonore soporifique dans lequel on peut se lâcher.
Une basse hésitante émerge des contraires brumeux de « That was Then » », et « Falsely Accused » est une pulsation lente, une marée qui va et vient… et pas grand-chose d’autre. First Man in the Moon est un album qui dérive, qui reste en arrière-plan : il ne demande pas d’attention ou de concentration. L’attention et la concentration apportent des récompenses différentes, mais il y a beaucoup à dire sur le fait de simplement s’asseoir, de tamiser les lumières et de siroter un whisky pendant que les sons de cette œuvre subtile et nuancée vous immergent.
En matière de collaboration, Westberg et Mazurkiewicz forment une paire magnifique, créant un album qui témoigne d’une intuition musicale touchante : tout dans First Man in the Moon coule simplement, sans effort, naturellement, et crée un espace dans l’espace – c’est-à-dire un espace mental dans lequel se vider. C’est rare, et c’est spécial.
****1/2